Avec la Marche des Philosophes, le théâtre se remet sur pied

Les artistes d’aujourd’hui sont-ils les nouveaux péripatéticiens ? On ne parle pas ici de leur tarif à l’heure ou de ce qu’ils ou elles font de leur corps mais plutôt de leur remise au goût du jour de l’école péripatéticienne d’Aristote qui aimait philosopher en marchant et emmenait ses élèves dans la foulée. Comme son lointain successeur, Kant, qui flânait lui aussi, tous les jours, pour oxygéner sa pensée, les disciples de la Marche des Philosophes font de la randonnée leur nourriture quotidienne. Leur impératif ? Réinventer la culture. C’est Stéphane Georis, avec sa bien nommée compagnie des Chemins de Terre, qui a initié ce mouvement de « slow » théâtre. Lassé de parcourir le monde ou de faire des kilomètres en camionnette pour jouer ses spectacles, l’artiste a mis sur pied (au sens propre) la Marche des Philosophes. Le principe ? Marcher d’un village à l’autre, jouer dans un jardin ou sur une place publique, loger chez l’habitant puis repartir sur les routes le lendemain pour gagner le prochain hameau. Chaque été, il explore une région différente. Après avoir sillonné la Gaume par exemple, le randonneur a jeté son dévolu sur le Brabant wallon. C’est là, à mi-chemin, que nous l’avons rejoint, alors qu’il ralliait un habitat groupé, en lisière de forêt, à Wavre. Après 16 kilomètres de trotte, Stéphane Georis et son compagnon de scène, Chris Devleeschouwer, installent leur bivouac ce soir-là chez Dorothée et Cédric. Arrivés à 16 heures, ils se rafraîchissent avant de repérer où poser leurs tréteaux. Prairie entourée de pommiers ou clairière dans la forêt ? C’est finalement la deuxième option qui l’emporte, et les change du tout petit jardin où ils ont joué Ni cage ni nid la veille. [scald=27640616:sdl_editor_representation] Un moment de partage Qu’ils jouent chez un luthier ou des maraîchers, dans un centre Fedasil ou chez les Baladins du Miroir, le duo n’est pas difficile : « On demande à nos hôtes un repas, pas une pizza réchauffée dans notre coin, mais un vrai moment de partage avec la famille, précise Stéphane Georis. On demande aussi un lit et un petit-déjeuner. On ne réclame pas d’argent mais on leur demande de faire un peu de pub autour d’eux et on passe le chapeau après le spectacle. » La compagnie est également soutenue par un partenaire local, ici en l’occurrence, par le Centre culturel du Brabant wallon, qui paye le cachet des artistes. « Pour nous, ce projet est tombé à pic, avoue Christophe Rolin, coordinateur au CCBW. Avec le confinement, beaucoup de dates se sont écroulées et ce genre de propositions plus intimistes est devenu plus pertinent : on n’a jamais de foule puisqu’on joue dans les jardins principalement, pour une trentaine de personnes. » A 18 h 30, toute la bande se réunit autour d’une salade de concombres (du potager familial) et d’un délicieux curry au chou (du même potager). Les trois enfants du couple wavrien nous ont rejoints, ainsi que John-John Mossoux et Maurice Blanchy, qui vont jouer Rideau , en première partie de soirée, et tailleront eux aussi un bout de route le lendemain. « On est dans un tout autre rapport aux arts de la rue, apprécie John-John. Au festival de Chassepierre, les gens partent avant même les saluts pour vite trouver une place pour le prochain spectacle alors qu’ici, on prend le temps de parler aux gens après. On n’a pas non plus besoin de faire six heures de bagnole, trois heures de montage puis jouer 50 minutes avant de repartir. » Stéphane Georis abonde dans son sens. « C’est sûr qu’on est dans une tout autre énergie qu’au sortir d’un embouteillage. Tu as marché toute la journée, tu as vu la forêt, les oiseaux. Tu as rencontré des gens et puis tu joues. Ça crée une fatigue physique mais aussi une grande et belle force morale. » [scald=27640618:sdl_editor_representation] Retour aux sources L’expérience constitue, pour ces saltimbanques aguerris, une forme de retour aux racines des arts de la rue. « Au départ, le théâtre de rue s’est créé en opposition au théâtre classique, embourgeoisé, où il faut réserver, entrer dans un lieu sacralisé, avec une scène surélevée, une entrée des artistes séparée de celle des spectateurs, rappelle Stéphane Georis. Or, aujourd’hui, le théâtre de rue ne tourne plus que dans des festivals ultra-organisés, où il faut réserver, où les spectacles se vendent un an à l’avance pour être joués parfois à l’autre bout du monde. On est retombé dans le même mécanisme. Avec la Marche des Philosophes, on redescend le théâtre de son piédestal. Il n’est plus fermé dans une boîte mais devient un moment de partage. Un rendez-vous crée le suivant puisque ceux qui ont vu le spectacle peuvent en parler à d’autres qui peuvent le rattraper les jours suivant, à une distance à pied. » Jauchelette, Jandrain-Jandrenouille : les noms des villages traversés sont des poèmes à eux seuls. « Aujourd’hui, on est même passé par le Chemin du Vieux Poète, ça ne s’invente pas !, » s’enthousiasme Stéphane Georis qui colle de la poésie sur les murs des bourgs qu’il foule et chronique ses escapades dans un carnet. Au bic ou à l’aquarelle, ses esquisses gardent une trace des paysages et des rencontres. Sur une page, on peut voir des « merci » dans toutes les langues, signés par les enfants du centre Fedasil. [scald=27640617:sdl_editor_representation] Vous avez les jambes qui démangent, à la lecture de ces lignes, et jetez déjà un regard à votre jardin en imaginant y poser un spectacle ? Sachez que vous n’êtes pas les seuls. La Marche des Philosophes a déjà fait des petits. Pour ne citer qu’eux, les Arts Nomades sillonneront la Gaume et Victor B. traversera la province de Namur, selon ce modus operandi. Il semblerait que les crises actuelles, sanitaire et écologique, forment un terreau fertile pour ce genre d’approches locales et à taille humaine. Qui prennent le temps, tout simplement.

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