Au Mexique, l’archéologie fait reculer de 15.000 ans la découverte de l’Amérique

A quand remonte la première conquête de l’Amérique ? La question divise depuis longtemps la communauté scientifique internationale. Les Nord-Américains s’appuient sur les études génétiques et défendent une conquête relativement tardive, vieille de 15.000 ans tout au plus. Tandis que les chercheurs français et sud-américains assurent que l’espèce humaine était présente bien plus tôt sur ce continent. Un article publié ce mercredi dans la revue Nature apporte de nouveaux éléments très solides arguant pour la seconde hypothèse. [scald=27641529:sdl_editor_representation] Des scientifiques mexicains présentent près de 240 artefacts produits par l’homme il y a 31.000 ans dans la grotte de Chiquihuite, au centre du Mexique. « Il est indéniable que ces objets ont été fabriqués par des mains humaines », explique Antoine Lourdeau, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle. « Ils permettent de confirmer une présence humaine il y a 31.000 ans, et, selon les données publiées, il semble qu’ils diffèrent des autres technologies connues pour une période similaire. » Un chemin bouché pendant plus de 10.000 ans A cette époque, l’Amérique du Nord n’était pas très hospitalière. Des glaciers de près de 2.000 mètres d’altitude recouvraient tout le territoire au nord d’une ligne droite reliant New York à Seattle. Un chemin que l’on a donc longtemps considéré comme infranchissable : les premiers Américains originaires de Sibérie ont donc dû attendre qu’une voie se libère avec la fonte des glaces pour s’avancer sur un continent vierge. [scald=27641530:sdl_editor_representation] L’hypothèse collait parfaitement avec la découverte de traces archéologiques vieilles de 13.500 ans sur le site de Clovis (Nouveau-Mexique, Etats-Unis) et, surtout, avec les analyses génétiques des populations modernes. En effet, le séquençage ADN nous permet seulement de remonter à un peuplement vieux d’à peine plus de 15.000 ans. « Quand on trouve des outils, ou des ossements découpés aux silex, on sait que l’homme était présent », explique Eric Boëda, professeur en anthropologie à l’Université Paris X-Nanterre, spécialiste des premiers peuplements au nordeste du Brésil. « Le problème avec le peuplement de l’Amérique, c’est que beaucoup de chercheurs refusent de se contenter de ces traces directes. Si l’étude génétique ne remonte pas aussi loin que les artefacts, ils refusent toute conclusion concernant l’Amérique du Sud. Gageons que cette publication changera les choses, même s’il ne s’agit pas de la première. » En effet, plusieurs articles publiés dans des revues scientifiques font écho de traces archéologiques dépassant les 20.000 ans, notamment au Brésil. En 2017, dans la même revue Nature , des archéologues américains présentaient même la preuve indirecte d’une présence vieille de 130.000 ans en Californie sur le site de Cerutti Mastodon. « Ces travaux ont soulevé beaucoup de débats et polémiques notamment aux Etats-Unis », explique Antoine Lourdeau. « La présentation de Chiquihuite semble plus solide. La question que posent ces découvertes reste ouverte : qui étaient ces groupes humains et comment sont-ils arrivés en Amérique ? » Il y a plus de 150.000 ans, nos ancêtres Homo sapiens entament leur marche hors du berceau africain. On trouve des traces témoignant de leur présence il y a de 65.000 ans en Australie. Paradoxalement, ils mettront un peu plus de temps à rejoindre l’Europe, puisqu’on estime qu’ils s’y établissent il y a environ 45.000 ans. A quelle époque ont-ils réussi à trouver un moyen de rejoindre l’Amérique ? « Entre 25.000 ans et 14.000 ans, la porte du détroit de Béring était totalement fermée », explique Eric Boëda. « Durant la dernière phase glaciaire, qui dure entre 70.000 et 12.000 ans, il y a eu de nombreuses fluctuations. On pense que la calotte glaciaire ne recouvrait pas toute l’Amérique du Nord. Il devait y avoir un corridor. Mais à partir de 25.000 ans, il y a une intensification du phénomène de glaciation qui bouche cette voie. Il y a donc deux solutions : soit ils sont arrivés longtemps avant, soit ils ont emprunté un autre chemin. Nos données d’Amérique du Sud et maintenant d’Amérique centrale attestent que des populations ont pu arriver bien avant cette dernière phase. » Des groupes effacés de la mémoire génétique L’équation est d’autant plus complexe que l’archéologie préhistorique se heurte à de nombreux obstacles en Amérique. La glaciation a effacé une grande partie des traces au nord du continent. Plus au sud, quand ils ne les ont pas détruites, les dépôts de sédiments ont enterré très profondément les couches stratigraphiques correspondant à ces périodes. Qui plus est, le niveau des mers était beaucoup plus bas. Il est donc fort possible que de nombreux sites témoignant du passage de certains groupes soient désormais submergés. « Le chemin du détroit de Béring est l’hypothèse la plus défendue, mais en réalité, on n’en sait rien », juge Antoine Lourdeau. « Pour atteindre l’Australie, Homo sapiens a dû traverser de larges étendues d’eau sans nécessairement visualiser la destination au départ. D’autres groupes humains ont été découverts sur des îles, comme à Flores, en Indonésie, ou à Luzon, aux Philippines. La navigation, ou tout du moins le cabotage, pouvait donc aussi être utilisée par d’autres groupes. » Car à mesure que nos ancêtres se sont aventurés sur le globe terrestre, ils ne sont pas tombés sur des zones vierges et inhabitées. L’Europe était occupée depuis plusieurs centaines de milliers d’années par l’Homme de Néandertal, et l’Asie, par les Denisoviens. « Est-ce que les Denisoviens ont pu naviguer sur l’océan Pacifique pour rejoindre l’Amérique ? », s’interroge Eric Boëda. « On n’en sait rien. C’est possible, mais aucun élément ne permet de l’attester. C’est en tout cas une hypothèse qui pourrait coller avec le site de Cerutti Mastodon qui, avec sa datation à 130.000 ans, paraît trop ancien pour Homo sapiens. » Autre difficulté de la paléoanthropologie en Amérique : les conditions de conservation sur les principaux sites archéologiques en zone tropicale ne permettent pas la conservation optimale des ossements humains. Au-delà de 15.000 ans, il y est donc quasiment impossible d’étudier l’ADN. En 2018, un article publié dans la revue Science ouvrait une brèche intéressante. L’analyse du patrimoine génétique d’une momie vieille de 12.000 ans découverte dans le Nevada révélait l’existence d’un groupe humain n’ayant aucune survivance dans les patrimoines génétiques récents référencés. S’agit-il d’un indice menant aux artisans de Chiquihuite ? Impossible de le savoir pour le moment. Mais une chose est sûre : si aucune trace des premiers peuplements n’a persisté dans les ADN contemporains, ce n’est pas qu’ils n’ont jamais existé, mais plutôt qu’ils ont été effacés de la mémoire génétique. Car des hommes et des femmes ont bien traversé le détroit de Béring il y a 15.000 ans. Et ont remplacé ceux qui les avaient précédés. Le fait peut paraître surprenant, mais il est très loin d’être unique dans l’histoire de l’Humanité. Rappelons que pas très loin de nous, l’arrivée des Européens en 1492, par l’Atlantique cette fois, a débouché sur la disparition de près de 95 % des populations autochtones…

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