Berlin: comment la spéculation immobilière a tué le dernier bar punk

C’était un petit bar bruyant et toujours graffité, symbole du Berlin-Ouest des années 80. Un des derniers refuges pour des amoureux du mouvement punk. Après 35 ans d’existence, les locataires du « Syndikat » ont été expulsés par la force après une bataille juridique contre des investisseurs londoniens. Pour venir à bout de la procédure, les forces de l’ordre avaient bouclé la veille le « quartier Schiller » (arrondissement de Neukölln) pour éviter que les manifestants n’occupent la rue. Il a fallu plus de 700 policiers pour que l’huissier puisse pénétrer vendredi matin dans les locaux… [scald=27661320:sdl_editor_representation] L’histoire de cette expulsion n’est pas anodine. Le « Syndikat » est le nouveau symbole de la lutte contre la gentrification ou « boboïsation » des quartiers populaires. Il a permis de mettre au grand jour les pratiques des sociétés immobilières pour s’approprier des centaines d’immeubles sans se faire remarquer. La lettre du syndic annonçant que le propriétaire ne souhaitait pas renouveler le bail avait été glissée dans la boîte aux lettres en 2018. « Pour parler avec lui, il a fallu retrouver le propriétaire qu’on n’avait jamais vu. Ce n’était pas évident », raconte Christian, ancien serveur du bar et porte-parole du recours collectif contre l’expulsion. Les recherches aboutissent au Luxembourg à une adresse où sont déjà logées 75 sociétés-écrans. Il faudra quelques mois pour remonter à la source : le groupe immobilier londonien Pears Global. L’enquête du collectif, en coopération avec le quotidien berlinois Tagesspiegel, permettra de découvrir que cette société est active depuis plusieurs années sur le marché berlinois et qu’elle détient déjà plus de 6.000 appartements. Même la mairie de Berlin n’était pas au courant de cette OPA immobilière sur la capitale. Une forte mobilisation La révélation va mobiliser beaucoup de monde. Même les voisins qui se plaignaient du bruit occasionné par le bar punk rejoignent les manifestations en signe de solidarité. Ils étaient plus de 2.500 il y a une semaine et des centaines ce vendredi pour en découdre avec la police (44 arrestations). Le collectif s’était même envolé pour Londres en 2018 pour tenter une négociation. Un porte-parole de la société immobilière leur a répondu devant le siège : « Berlin n’est pas cher. Cherchez un local ailleurs. » Une solution qui aurait été envisageable dans les années 80 et 90 pour un petit bar comme le Syndikat. Mais plus maintenant : nulle part ailleurs en Europe, la hausse des loyers a été aussi violente que dans la capitale allemande (+ 90 % en dix ans). Les lois d’encadrement des loyers et de protection des locataires n’ont pas permis de freiner les hausses. La spéculation immobilière effrénée a complètement bouleversé la vie sociale et artistique de la capitale. Les artistes quittent désormais Berlin, devenue trop chère. [scald=27661319:sdl_editor_representation] Manifestations en faveur de la resocialisation du parc immobilier, levée de boucliers contre la présence de Google dans le quartier voisin de Kreuzberg… La mobilisation de l’opinion publique contre les spéculateurs avait permis de redonner une dernière lueur d’espoir au collectif. Mais rien n’y fait : la société immobilière a engagé une procédure judiciaire après que le bar a décidé de ne pas rendre les clés. Elle obtiendra gain de cause. La mort du Syndikat est la fin d’une époque et une défaite amère pour toutes les structures de la scène alternative. D’autres bars et centres culturels sont eux aussi menacés d’expulsion. La démonstration de force de vendredi a démontré que leurs chances de survie dans le Berlin des années 2020 sont désormais très minces.

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