Affaire Jacob Blake: le coup de poing du sport américain

Nous exigeons le changement : on en a marre » : huit petits mots pour un message à la portée universelle, si puissant que ce tweet a perforé la bulle de confinement que la NBA s’était créée afin de permettre la poursuite du championnat, en pleine pandémie. Lorsque le message est rédigé et posté par LeBron James, l’écho est assourdissant, à la mesure d’une star planétaire qui assume son leadership, proportionnel à l’émoi suscité par la violente interpellation de Jacob Blake, dimanche dernier à Kenosha, dans le Wisconsin. 1 Même après la mort de Martin Luther King… Dans le sport professionnel américain, l’acte de protestation contre l’injustice raciale est aussi fort qu’inédit : mercredi, les Milwaukee Bucks ont boycotté leur match contre Orlando, obligeant de facto la NBA à en reporter deux autres (Houston-Oklahoma City et Los Angeles Lakers-Portland), ces duels sont désormais différés et différents. Car la colère, souvent sourde et enfouie dans les entrailles, s’exprime désormais avec de plus en plus de véhémence, de puissance. Les gestes symboliques ne suffisent plus, la communauté sportive, américaine et mondiale, est passée aux actes. Ras-le-bol explicite et désobéissance assumée, en cette société américaine profondément clivée par quatre années de gouvernance Trump. Songez : même au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, en avril 1968, les basketteurs nord-américains n’avaient pas stoppé la compétition – sinon le jour du deuil national alors décrété par le président Lyndon Johnson. Le moment est donc sans précédent, il doit marquer un tournant dans la reconstruction d’une société civile plus que jamais divisée, à deux mois des élections. La saison de NBA est-elle terminée ? Lebron James et ses Lakers le souhaitaient, ils avaient comme les Clippers voté pour l’arrêt pur et simple de la compétition. Les discussions, qui ont repris ce jeudi entre joueurs, dirigeants et propriétaires de franchises, ont débouché sur une reprise des playoffs en cours de week-end, assortie d’un plan d’actions concrètes et durables pour lutter contre le fléau racial. 2 La contagion de la colère gagne le tennis, le baseball, le soccer… On est dans le rapport de forces, plus seulement dans la symbolique. La pose du genou à terre pendant l’hymne national, les mots « Black Lives Matter » peints en noir sur les parquets, les slogans au dos des maillots des joueurs… étaient depuis la reprise de la saison la preuve de la mobilisation générale au sein de la ligue, pour initier un changement dans un pays gangrené par le racisme. Fin juillet déjà, alors que la colère née de la mort de George Floyd s’estompait peu à peu, 80 joueurs de NBA avaient fait savoir que la compétition était secondaire par rapport à leur « lutte contre l’injustice raciale et sociale ». Ils avaient alors fait valoir leur droit de retrait, sans autre sanction de la part de leurs employeurs qu’une baisse salariale. L’indignation a fait tache d’huile. Deux matches de baseball (MLB) ont été remis, cinq des six rencontres du championnat de foot (MLS) également, et le tennis (USTA, WTA et ATP) a « collectivement pris position contre l’inégalité raciale et l’injustice sociale », les matches de ce jeudi étant suspendus. À New York, où elle devait affronter notre compatriote Elise Mertens en demi-finale du « Premier 5 » de Cincinnati, la Japonaise Naomi Osaka (née de père haïtien) a ainsi refusé de prester ce jeudi. « En tant que femme noire, j’ai l’impression qu’il y a des questions beaucoup plus importantes qui nécessitent une attention immédiate, plutôt que de me regarder jouer au tennis. » Elle reprendra le chemin des courts ce vendredi, estimant avoir été soutenue par la fédé internationale (voir ci-contre). 3 Le sportif va-t-il au-delà de ses prérogatives ? En prenant position sur le terrain politique, en exprimant sa désapprobation sociétale, le sportif sort-il de son rôle ? Va-t-il trop loin ? « Certainement pas ! » estime l’ancien basketteur international et diplômé en sciences de l’éducation, Jacques Stas. « Un athlète se doit de montrer le chemin de l’exemplarité, chacun de ses actes véhicule des valeurs qui permettent d’équilibrer la vie collective. Aux États-Unis, bien plus qu’en Europe, les sportifs sont assimilés à des icônes, des ambassadeurs dont la parole est écoutée et respectée. Qu’ils et elles entrent dans le débat est considéré comme tout à fait normal, et même plutôt sain. Certes, n’est pas Michael Jordan ou LeBron James qui veut, tout le monde n’est pas en mesure de poser des actes aussi forts qu’un boycott, de renoncer à son job face à des enjeux financiers colossaux. Mais on sent qu’il s’agit d’une vraie lame de fond, plus seulement d’une vague de ras-le-bol. » Dans un contexte radicalisé, « racialisé » ajoute Jacques Stas, de campagne présidentielle plus que jamais conflictuelle. « Dans l’absolu, ce serait sans doute dommage de ne pas aller au bout de cette saison de NBA qui, justement, avait été relancée dans des conditions uniques, atypiques (NDLR : la bulle « Disney World), pour offrir un peu d’oxygène à des millions d’Américains étouffés par la pandémie. Mais puisque le basket, le sport pro, est un véritable phénomène de société aux États-Unis, il est un acteur à part entière de débat. » Qui a asséné un véritable coup de poing, pour être écouté, plus seulement entendu.

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