Martin Zandvliet: «Le passé a tout à voir avec ce que nous sommes»

C’est en marge du festival du film de Rotterdam que nous avons discuté avec Martin Zandvliet, réalisateur danois qui venait y présenter son troisième long-métrage, le très réussi Land of Mine, qui conte l’histoire d’enfants-soldats allemands appelés à déminer les plages danoises à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un film qui avait été remarqué au festival de Toronto et a récemment été récompensé au Festival du film de Luxembourg. [scald=826534:sdl_editor_representation] Comment avez-vous découvert cet épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale ? J’avais envie de faire un film sur la Guerre 40-45, donc je cherchais des informations. Je suis tombé sur cette histoire cachée, oubliée de la guerre en lisant les documents de la Convention de Genève. C’est comme ça que j’ai appris que les Alliés utilisaient de très jeunes garçons pour déminer la côte ouest du Danemark (et ailleurs, NDLR). Le film est donc basé sur des faits réels ? Oui, mais cela reste une fiction. L’âge des garçons (même s’il y avait également des adultes), le travail de déminage, la manière dont ils étaient traités par les Alliés, tout cela est historique. J’ai construit une histoire autour de cela. Ces adolescents faisaient partie des jeunesses hitlériennes. Pour nombre d’entre eux, c’est peut-être la seule chose qu’ils ont vue de la guerre… Certains ont tout de même été en guerre car ce sont des prisonniers. Ils devaient avoir huit ou neuf ans quand celle-ci a commencé. Mais, à mes yeux, ils sont innocents. Ce sont les adultes qui ont fait la guerre. C’est une des questions que soulève votre film : ces enfants sont-ils responsables de ce que leurs parents ont commis ? Sommes-nous responsables pour les actes de nos parents ? Tout à fait. C’est une question que je trouvais intéressante à poser. Mon père est né aux Pays-Bas, je suis né au Danemark, comme ma mère. Quand ils ont divorcé, mon père a déménagé en Allemagne et a construit une nouvelle famille. Mes frères ont plus ou moins le même âge que moi mais les gens au Danemark continuent de leur parler de la guerre simplement parce qu’ils sont allemands. C’est assez effrayant de noter que plusieurs générations après, on en revient toujours à cela. Je veux dire, cela fait septante ans ! On est passé à la culture Instagram, c’est un monde complètement différent ! Pourtant, la trace de la guerre reste ancrée. En fin de compte, « Land of Mine » n’est pas un film de guerre, mais un film sur la fin de la guerre qui pose cette autre question : comment met-on fin à la guerre, à la haine ? Clairement, il ne suffit pas de signer un traité de paix… Une chose que je voulais démontrer avec ce film est qu’en réalité, les nations ne dirigent absolument rien. Qu’il s’agisse d’une guerre qui a eu lieu il y a septante ans ou de ce qui se passe actuellement avec le terrorisme ou les réfugiés, notre première réponse est toujours la peur et la haine de l’autre, au lieu de penser à trouver une solution pour résoudre le problème. C’est le dilemme de Carl, le sergent dont la mission est de déminer la plage : il est plein de haine pour les nazis, mais comment change-t-il cela en autre chose ? Il veut haïr ces soldats allemands, mais parce que ce sont des enfants, il n’en est pas vraiment capable. Il voit qu’ils sont pareils que lui, avec les mêmes besoins : manger, dormir, simplement rire… Votre film est-il une tentative de retrouver l’innocence perdue ? Je ne sais pas… C’est un film sur la manière dont les gens se traitent l’un l’autre. Sur le fait que nous devons d’abord penser plutôt qu’avoir cette mentalité « œil pour œil » qui n’aide en rien. Les rôles sont échangés dans le film. Les Alliés sont cruels… C’est compréhensible que les Allemands fassent le travail de déminage. Mais cela aurait pu être fait de façon plus humaine. Je pense qu’on doit rester conscient des valeurs pour lesquelles on se bat et ne pas les perdre en voulant les protéger. On devient les mêmes que ceux qui nous ont menacés… Comme aujourd’hui avec la guerre contre le terrorisme, la crise des migrants… ? Oui. Et je trouve très triste que septante ans après, nous n’ayons rien appris. Ma responsabilité en tant que réalisateur est de montrer ces choses. Parfois, je me dis que l’être humain a plus d’empathie aujourd’hui que dans le passé. Mais, en réalité, je ne le crois pas. Je pense que les choses sont de plus en plus dramatiques parce qu’on répète sans cesse les mêmes erreurs. Regardez la situation des réfugiés. Nous avons besoin de la photo d’un enfant mort sur une plage pour nous réveiller ! C’est aussi pour cela que j’ai choisi de montrer des enfants à l’écran parce qu’alors, soudain, ça nous touche, on se sent coupable, on voit l’humanité. Mais s’il s’agit par contre d’un soldat ou d’un migrant adulte de 45 ans, il ne nous touche pas. Le principal lieu d’action du film est une plage, soit un endroit attaché au plaisir et à la détente, qui s’est transformé en zone de guerre… J’ai imaginé cette plage comme une scène de théâtre. Je voulais montrer que sous cette sorte de paradis se cachent le danger, les mines, la mort. Et je voulais aussi montrer que ce sont les hommes qui détruisent tout. La nature est belle et innocente. Vous avez également choisi de ne pas montrer trop de sang. Je ne voulais pas faire un film qui en mette plein la vue. Mais il était tout de même nécessaire de montrer une explosion. Il y en a une, mais elle arrive assez tôt afin de passer à autre chose. Cette autre chose, c’est l’aspect positif, empathique de l’humanité ? J’ai toujours de l’espoir pour l’humanité. J’avais une fin différente, mais elle était trop sombre, même si c’est sans doute plus proche de ce qui s’est réellement passé. Mais j’avais besoin de montrer l’espoir. Ce titre, « Land of mine », peut se lire de deux façons (« Terre minée » et « Ma terre »). Etait-ce voulu ? Oui, c’était important de montrer ces deux traits. Parce que le titre fait référence à la manière dont on considère le monde aujourd’hui. Avec ses frontières, ces murs qu’on construit de nouveau pour empêcher les réfugiés d’entrer. « Land of Mine » est donc un film historique qui parle d’aujourd’hui ? Oui. Je pense que je questionne toujours notre époque actuelle. Parce que je ne peux qu’imaginer ce qui s’est passé à l’époque. Ma tante m’a un jour dit que lorsqu’elle avait 15 ans, elle avait fait de l’auto-stop seule à travers l’Europe. Aujourd’hui, jamais je ne laisserais ma fille faire de même ! Et ça m’attriste. Car une société construite sur la peur fait peur. Parfois, il est plus simple d’apprendre sur nous-mêmes en regardant le passé. Parce qu’on a beau se dire que c’était il y a longtemps, que cela n’a rien à voir avec nous, en réalité, cela à tout à voir avec ce que nous sommes aujourd’hui. [scald=826535:sdl_editor_representation]

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