Le Festival de Bruxelles s’ouvre avec «Des hommes»

Du gel hydroalcoolique, des masques et une distanciation feront en toute logique partie du décor de la troisième édition du Brussels international Film Festival (BRIFF), initialement datée en juin, et qui se déroule du 3 au 13 septembre. Pour cette première de l’ère post-covid, les organisateurs, soutenus par la Ville de Bruxelles, ont dû adapter leurs ambitions en raison des mesures sanitaires. Une ouverture en comité réduit mais dans trois salles, la suppression des ateliers jeune public et du grand chapiteau Place de Brouckère (au profit d’un plus petit Place de la Monnaie), un panel d’invités restreint, un programme moins étoffé, maximum 200 personnes par salle. On va s’adapter. Car l’envie est là de partager une passion par-dessus les toits de la capitale. Avec une compétition nationale et internationale, un invité d’honneur en la personne de Costa-Gavras qui donnera une master class, l’accent mis sur le cinéma croate et tchèque et l’envie de mettre en avant les initiatives belges comme les courts-métrages de La belge Collection. L’idée est de continuer à exister en cette rentrée culturelle particulière, de faire vivre le cinéma en lien avec l’actualité, de proposer un voyage citadin (avec les cinémas UGC De Brouckère, Galeries, Bozar, Palace et le Mont des Arts pour deux séances en plein air) et cinématographique. Et solidarité entre festivals, le BRIFF ouvre et clôture ses festivités avec deux films estampillés « Cannes 2020 » : Des hommes, de Lucas Belvaux, drame historique avec Catherine Frot et Gérard Depardieu, et Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, une comédie avec Laure Calamy révélée par la série Dix pour cent. Une ouverture forte qui secoue Le BRIFF commence fort avec le nouveau film de Lucas Belvaux, adaptation du roman de Laurent Mauvignier, Des hommes. C’est l’histoire de jeunes gars qui sont partis, la fleur au fusil, défendre la France en Algérie avant l’indépendance, et sont revenus meurtris dans leur chair mais plus encore dans leur âme. Le contexte est précis mais le propos universel. Verdun, la guerre 40, les fellaghas… « Il n’y a pas de mots pour raconter ça » entend-on dans le film de Lucas Belvaux. C’est tout l’enjeu du roman poignant et percutant de Laurent Mauvignier que le cinéaste franco-belge a adapté de façon très fine, s’appuyant sur les pensées et les états d’âme, soignant chaque image. Il s’empare de cette histoire française et filme la tragédie du silence en mettant en scène ces hommes qui avaient vingt ans à l’époque et qui, quarante ans plus tard, se consument encore de l’intérieur pour avoir vécu l’horreur, pour avoir fait, laissé faire, rien dit. Il transcende les époques avec un beau casting, mélange de jeunes inconnus et de stars du cinéma français. Il y a Depardieu massif, fossilisé sur lui-même, soufflant la haine ressassée depuis des années. Jeune, il est joué par Yoann Zimmer, Namurois de 28 ans qui s’impose superbement à l’écran, au milieu d’une poignée de jeunes acteurs d’une justesse sans faille. Des hommes aurait dû être présenté à Cannes en mai dernier, quatorze ans après La raison du plus faible. Conséquence de la pandémie, il n’y eut pas de festival, pas de montée des marches et pas l’émotion de la projection dans la grande salle Lumière. Du coup, le onzième long-métrage de Lucas Belvaux bénéficie d’autres terres d’accueil comme le Festival d’Angoulême qui vient de se terminer, comme le BRIFF où il fait l’ouverture ce jeudi soir en présence du réalisateur, de Jean-Pierre Darroussin, Catherine Frot et du jeune Namurois Yoann Zimmer, révélation du film, comme le Festival de Deauville où il sera projeté le 10 septembre, avant de sortir en salle le 11 novembre. Des mots qui giflent Des bûches se consument lentement dans une cheminée. À l’image des protagonistes qu’on va découvrir. La caméra s’élargit pour englober le lieu vétuste dans lequel un homme vieillissant (Depardieu) s’apprête à peu de frais pour aller à la fête d’anniversaire de sa sœur (Catherine Frot). Fatalement ça va déraper. Violemment, douloureusement, le passé revenant un boomerang. Avec des mots qui giflent comme « crouille, bougnoule, bicot ». Cela dit les trahisons, les rancœurs, le machisme, le racisme ordinaire. « Je croyais qu’à force de travailler avec vous, de vivre avec vous, on était pareil. Je me suis trompé, » confie Saïd. C’est sans doute parce que cette page d’histoire « travaille » encore la France que c’est un Belge (naturalisé français) qui s’est emparé du roman de Mauvignier avec un ton si juste et la bonne distance. Lucas Belvaux en donne une lecture visuelle soutenue, comme dans le roman, par un mélange subtil de voix off issues du passé comme du présent, qui se répondent et s’enrichissent. A plusieurs reprises, le nom d’Oradour est cité en référence à cette sanction terrifiante et meurtrière qu’est « C’était les ordres ». Que transmet-on de l’Histoire ? A travers son film, Lucas Belvaux soulève la question. Réflexion sur la guerre plus que chronologie d’une guerre, Des hommes suit le fil de la pensée des uns, des autres pour que puisse exister la voix de chacun au-delà du chaos. Impossible de sortir de ce film sans être chamboulé.

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