Yvon Englert, recteur de l’ULB: «Je suis très inquiet pour le financement futur des universités»

Le 14 septembre 2016, le médecin gynécologue Yvon Englert prenait la tête de l’Université libre de Bruxelles. Quatre années, un vaste plan stratégique et une crise Covid plus tard, il va transmettre sa toge à celle ou celui qui lui succédera mardi prochain. Dans l’attente, il dresse son bilan. Que retenez-vous de ce mandat ? Comme doyen de la faculté de médecine, je connaissais déjà bien l’institution mais j’ai tout de même énormément appris durant mon mandat de recteur. L’ULB est d’une diversité et d’une spécialisation fascinante. J’en sous-estimais la richesse. C’est un sanctuaire de la connaissance. Avec une très grande vitalité, dans des domaines qu’on ne soupçonne pas. En couvrant des domaines qui ne sont pas forcément dans les préoccupations du moment, les chercheurs sont amenés à faire des découvertes révolutionnaires. J’ai une anecdote à ce sujet : des chercheurs ont travaillé toute leur carrière sur un rétrovirus du poulet qui n’intéressait personne… et qui un jour s’est retrouvé propulsé au rang de contribution majeure pour la santé publique de la planète entière parce qu’il a permis d’avancer sur la compréhension du VIH. C’est une bonne illustration de ce qu’est l’université. Ce n’est pas un dépôt institutionnel inerte, c’est un vivier de connaissances qui doit garder cette extraordinaire indépendance par rapport aux priorités du jour, car vous ne savez pas quelles seront celles de demain. La crise actuelle nous montre bien que nous pouvons du jour au lendemain être précipités dans un autre monde, d’où l’intérêt de la recherche fondamentale. [scald=27697923:sdl_editor_representation] Vous parlez d’indépendance, l’ULB l’est-elle suffisamment ? Personnellement, je trouve que oui. Mais cela reste un sujet de débat. L’indépendance c’est deux choses : l’autonomie de décision et de fonctionnement, mais c’est aussi un financement sain et, à ce sujet, nous sommes sur la corde raide. On nous dit souvent, avec un petit sourire, que nos universités sont de bonne qualité, que donc elles ne sont pas si mal financées… La réalité c’est qu’il est très surprenant d’être encore dans un tel niveau de qualité lorsqu’on voit le sous-financement des universités belges par rapport à bien des institutions comparables. On ne peut tirer sur la corde sans fin… Vous en voulez aux politiques ? Je suis surtout inquiet. Le sous-financement de l’enseignement supérieur en dit long sur la santé économique extrêmement fragile de notre Communauté française. Et ça, ce n’est pas une découverte universitaire, tout le monde le sait… Dans les années à venir, la crise actuelle va exacerber l’équation budgétaire inextricable de cette entité fédérée… Donc, oui, je suis très inquiet… Quel bilan tirez-vous ? Je suis mal à l’aise pour défendre « mon » bilan, car il s’agit avant tout d’un travail d’équipe. La dynamique de l’institution a d’abord été initiée par mon prédécesseur avec la mise en ordre de la gouvernance. À partir de cet outil, nous avons pu mettre en place un certain nombre de choses. De par le nombre d’étudiants inscrits, les chiffres montrent de manière incontestable que l’attractivité de notre institution a augmenté : l’ULB a la croissance la plus forte de Communauté française. Croissance aussi de l’activité de recherche : l’un des objectifs de mon programme était d’augmenter d’au moins 5 millions la captation de budget compétitif : nous en avons obtenu 12, cet objectif est donc largement rempli. Croissance encore des collaborations, qui constituent une caractéristique de mon mandat : avec l’UMons, la haute école Condorcet, la ville de Charleroi, la VUB, la Région bruxelloise, la ville de Bruxelles, des universités européennes… Des collaborations qui peuvent parfois être un échec… C’est effectivement dans un de ces projets de collaboration que se trouve un échec de mon mandat : le rapprochement avec l’Ihecs. Ce dossier, qui était ficelé à 99 %, reste à mes yeux à la fois ce qu’il faut faire pour l’avenir de la formation en communication, pour les étudiants et pour Bruxelles. L’intérêt du projet fait qu’il reviendra sur la table au bon moment et avec les bonnes personnes. C’est un des enjeux des années à venir. Parallèlement comment avez-vous vécu le projet de fusion UCLouvain/Saint-Louis ? Je ne pense pas qu’il faut réduire ça a un conflit avec l’UCLouvain mais bien une question fondamentale de l’organisation de l’enseignement supérieur. Le fait que la fusion n’est toujours pas faite aujourd’hui montre que ça pose une question par rapport au décret Paysage et à sa signification. Ça a été médiatisé comme un bras de fer avec l’UCLouvain, mais le fond de la question est celle de la concurrence entre les institutions. Ce serait une autre institution, la question se poserait de la même façon étant donné la pénurie de moyens. Tout cela mérite une vraie réflexion de fond. Vous avez initié quatre plans de développement. N’est-ce pas frustrant de ne pas voir leur aboutissement ? Nous avons essayé de rendre l’université plus efficace en tentant d’utiliser nos moyens de façon optimale. Nous les concentrons sur quatre axes de développement : un plan immobilier, un plan informatique, un plan de modernisation de l’administration ainsi qu’un plan climat. Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas frustrant. Vu mon âge, j’ai été élu comme un recteur qui pourrait faire un mandat et pas deux. C’était dans le contrat, je ne pouvais pas me représenter. Il faut voir le poste de recteur comme celui d’un passeur de témoin. J’ai moi-même hérité de toute une série de projets initiés par mes prédécesseurs et mes projets seront eux-mêmes menés à bien par mes successeurs. Même si chaque recteur a sa propre vision, il y a un devoir de continuité parce que le fonctionnement de l’institution nécessite une vision sur le long terme. Je remets à celle ou celui qui sera élu la semaine prochaine une institution en ordre de marche. [scald=27697922:sdl_editor_representation] On dit souvent que l’ULB est l’une des universités les plus difficiles en raison de l’autocritique permanente. Exact ? Que les gens se plaignent, cela fait partie de l’ADN de la maison. Pourtant, lors de la crise sanitaire, la mobilisation du personnel a été remarquable. Mais cela témoigne aussi d’un réel paradoxe : ses propres membres adorent la critique et en même temps, il y a un attachement institutionnel très fort. Ça ne rend pas toujours la vie facile, mais ça donne un vrai sens à la liberté qui doit être le fondement d’une institution académique. Le libre examen et la liberté d’expression sont la base de la remise en cause perpétuelle de la connaissance et des choix que nous faisons. Je ne vais pas dire que cela ne m’a pas parfois irrité, mais c’est fondamental de le respecter.

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