Le baron Duesberg, son musée, sa sépulture et désormais sa rue

A 86 ans, l’âge commence à faire son œuvre, la canne est bien utile. Mais François Duesberg est le premier à sourire du temps qui passe : « On voudrait que j’aille décorer le paradis ? Hola ! Pas si vite… » Question décor, Saint-Pierre serait pourtant aux anges : le baron Elie-François et la baronne Betty ont accumulé des milliers d’objets historiques dont ils ont fait un musée à Mons, avant de donner et de léguer leurs collections à la ville qui les a accueillis, il y a un quart de siècle. [scald=27708242:sdl_editor_representation] Au téléphone, le baron a prévenu : « Les photos que vous ferez seront peut-être les dernières. » Alors, il soigne sa silhouette, lisse ses derniers cheveux, veille à sourire face à l’objectif, même si le moral n’y est plus vraiment depuis que son épouse, malade, est confinée dans les étages de ces anciens locaux de la Banque Nationale. Horlogerie fine, pendules à sujets exotiques, bronzes somptueux, porcelaine, orfèvrerie, faïence : François Duesberg a une histoire à raconter sur chacune des pièces qui garnissent les vitrines. On est ici entre 1775 et 1825, essentiellement en France avec la fin de la monarchie, le consulat puis l’empire : « Voici la pendule offerte par Napoléon au duc de Trévise ! Et celle-ci qui figure le hameau de Marie-Antoinette. Elle était noire de crasse. Son nettoyage m’a pris un temps fou. On se bat pour certaines de ces pièces. » Le « bon sauvage » Une revue allemande vient de qualifier le Montois d’adoption de « plus grand spécialiste du monde » dans son domaine. Il ne dément pas, pensez. La passion du conservateur est intacte. Elle est écrite en toutes lettres sur la tombe que le couple a eu l’autorisation de creuser dans la cour du musée . Commentaire du futur occupant : « C’est propre, simple, modeste et digne. » L’épitaphe est de Saint-Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion. » François Duesberg guide toujours ses visiteurs dans un océan de superlatifs et de louanges pour « le beau », comme il dit en permanence. Le rythme s’est un peu calmé pour ce personnage volubile et truculent, plutôt vache avec l’autorité, convaincu du caractère extraordinaire de son « trésor ». Et il le prouve le bougre, à coups de revues spécialisées qui comparent son musée au Louvre et à l’Ermitage pour les arts décoratifs de la fin du XVIIIe siècle : « C’est le plus riche au monde par mètre carré ! » Le Michelin n’est pas en reste qui lui accorde trois fois deux étoiles, ce qui n’est pas banal : musée, collection de pendules, collection de porcelaines… Tripadvisor est dithyrambique. A l’abri des regards, les collectionneurs ont accumulé 72 livres d’or qui regorgent de compliments. Derniers en date, ceux de visiteurs d’origine africaine dont les yeux écarquillés ont ravi le maître des lieux, comme le rire des enfants qui couraient entre faïences et bronzes précieux. Une visite qui permet d’aborder un sujet délicat par les temps qui courent : quelques-unes des plus rares pièces exposées à Mons illustrent le mythe du « bon sauvage » cher à Jean-Jacques Rousseau et la « négritude » telle qu’on la concevait il y a 200 ans. François Duesberg suit l’actualité de près et ne se dérobe pas : « Ce musée a une dimension multiculturelle. Dans le domaine qui est le mien, cette chasseresse africaine et les “négrillons” qui l’entourent, on disait ainsi à l’époque du consulat, sont considérés comme un chef-d’œuvre. Ces Africaines et ces Indiennes sont des stars de l’histoire de l’art, des déesses selon moi. » A ses visiteurs, le conservateur n’hésite jamais à expliquer que les pendules et les horloges qui ornent ses plus grandes vitrines illustrent en réalité des histoires qui ont changé le cours de la littérature et peut-être bien du monde : Paul et Virginie ou Robinson Crusoé, par exemple. Le goût du « beau » croise une passion pour la culture pas loin d’être encyclopédique. « J’en ai épuisé… » Depuis 1993, les rapports entre le couple Duesberg et la ville de Mons sont tumultueux, c’est le moins que l’on puisse écrire. L’idée de créer cet écrin permanent en Hainaut est née après le succès d’une exposition de la collection au musée Belle-Vue à Bruxelles, aujourd’hui musée de la Dynastie. Mons a déroulé le tapis rouge pour « s’offrir » la collection. Mais cela ne suffit pas à ces conservateurs exigeants. D’ailleurs, François Duesberg le reconnaît devant nous, et cela doit être la première fois : « Je l’avoue, j’en ai épuisé quelques-uns à la ville. C’est mon moment de lucidité : je leur ai rendu la vie impossible… » Les comptes peuvent être faits rapidement : en un quart de siècle de passion montoise, le baron a livré bataille à trois bourgmestres et quelques échevins de la culture, des fonctionnaires et des agents communaux, des émissaires de l’office du tourisme et même des femmes de ménage, à force d’outrances, de mauvaise foi et de coups de colère. [scald=27708148:sdl_editor_representation] La preuve ? Il y a quelques jours à peine, en application de la convention de donation conclue le 3 mars 2020, la « rue du musée François Duesberg » a été officiellement inaugurée à deux pas de là. C’était une exigence des conservateurs qui ont aussi été fêtés par la ville pour leurs noces de diamant. Heureux ? Le baron a écrit au bourgmestre pour dénoncer « les comportements obstinément et haineusement hostiles à son égard », sans que l’on comprenne pourquoi, sinon cette volonté qu’il a de céder quelques objets à la ville de Bruxelles. Les tractations traînent. Des péripéties qui ne doivent pas ternir les ors du musée. Ce sacré personnage dévoile aussi des côtés attachants et émouvants, comme cette photo de 1950 qu’il montre fièrement et qui le voit remporter le cross du Soir… (1) Musée Duesberg, Square Roosevelt 12, 7000 Mons. Renseignements et réservations : 065-36.31.64. www.duesberg.mons.be. Originaire de la région liégeoise, François Duesberg a donné une partie de sa collection à la ville de Liège. A voir au Grand Curtius.

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