Bilan: à Deauville, le cinéma a gagné!

Directeur du Festival de Deauville depuis 25 ans, Bruno Barde a eu peur cette année. Peur que le festival, le plus grand en France après Cannes, n’ait pas lieu, peur que le public ne soit pas au rendez-vous. Mais appliquant dans sa vie la vertu d’espérance, cet homme toujours habillé de noir et qui eut ses premiers éblouissements de cinéma grâce à La Strada, de Fellini, a transformé sa foi et son optimisme en opiniâtreté. Pour prouver à quel point le cinéma est bien vivant à Deauville et que ça valait la peine de s’obstiner malgré les inquiétudes et obstacles induits par le Covid-19. Et il a réussi. 38.000 spectateurs contre 60.000 l’an dernier mais avec 37 % de sièges en moins, pour découvrir une passionnante sélection. Que dire sur cette édition 2020 ? Que le cinéma a gagné ! Tous les publics sont de retour dans les salles : les professionnels comme les spectateurs. C’était l’inconnue de départ. Cela fait six-sept mois qu’on s’inquiète car la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. On apprend tous les jours des choses sur le virus et on s’emploie à composer avec, avec une volonté inébranlable. On est parti dans une dynamique optimiste et dès le premier jour, l’ouverture fut bouleversante. Tout l’amour du cinéma était là ! Et le public était là. A Deauville, on propose le meilleur du cinéma américain. C’est un endroit où on essaie de faire en sorte que les gens s’aiment et soient heureux. Et ça marche. L’art a une utilité fondamentale, c’est de rendre meilleur, d’élever l’homme à sa vraie dimension. Ce retour en salle envoie quel signe fort à la profession ? A Deauville, cela fait 25 ans qu’on dit que le cinéma, c’est avant tout des films. Le retour au cinéma, c’est le retour des films. Je pense que les films sont bons. Dans ce contexte précis, cela prouve que l’exigence des années précédentes paie aussi aujourd’hui. Si vous programmez des bons films, les gens viennent. Donc, messieurs les producteurs, produisez des bons films, utilisez le talent et le public sera là. Le public n’abandonnera jamais le cinéma. Pendant le confinement, il a vu les films sur les plateformes. Le cinéma est bien vivant à Deauville. On porte cet espoir du vivant. Sans art, la civilisation meurt. Avez-vous dû convaincre pour que cette édition ait lieu, pour composer les jurys… ? Moins que d’habitude car les gens avaient envie d’en être. On a fait beaucoup pour les conditions sanitaires. On ne voulait pas gâcher la fête. Le maire de Deauville a été très clair sur ce point : on fait le festival dans des conditions de sécurité optimales. Pour que le public revienne rassuré. La peur tue l’esprit. Quelle leçon tirez-vous de cette édition particulière ? La confiance dans le public. Je sais qu’à Deauville, on peut tenter des choses. Cette édition nous a enseigné l’opiniâtreté, la générosité, la solidarité, la charité. Accueillir l’autre à travers les films qui racontent l’histoire du monde et à travers l’alliance avec d’autres festivals – Annecy, Cannes. On partage la même exigence de cinéma. Ce qui compte, c’est le talent, rien d’autre. Certainement pas la célébrité. La richesse de l’humanité est la richesse des genres. Quand le festival de Berlin annonce qu’il n’y aura plus de prix d’interprétation masculine et de prix d’interprétation féminine, ce sont des idiots. Ils en sont à être tendance, mouvement, mode. Ils oublient juste que ce n’est pas bien pour les films. L’Amérique dont témoignent les films sélectionnés est inquiète de son avenir. Partagez-vous cette inquiétude ? Trump n’est pas l’ami de l’art. Je l’ai qualifié « amant de la laideur » et on sait ce qui a derrière la laideur, c’est le mal. En fait, cet homme incarne le mal, la folie destructrice. Donc oui, les artistes américains ont peur. La figure patriarcale est très malmenée dans les films. Une figure du père qui punit, violente, ne comprend pas. Une figure de la barbarie. Et Trump installe la barbarie aux Etats-Unis. Il fait des horreurs tous les jours et ça passe. C’est au-delà de l’entendement. Mais j’ai confiance dans l’homme et j’applique dans ma vie la vertu d’espérance. J’espère que l’intelligence humaine va se réveiller et que Trump ne gagnera pas les élections. S’il les gagne, on ne va pas rigoler ! Le grand gagnant de l’édition 2020 qui comportait 15 films en compétition est The Nest, de Sean Durkin, avec Jude Law, qui remporte le Grand Prix du Jury, le Prix Révélation 2020 et le Prix de la Presse.

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