L’expert: «Ma crainte, c’est que les mesurettes ne suffisent pas»

Stanislas Rebaudet est médecin infectiologue à l’Hôpital Européen de Marseille. Il est aussi chercheur en santé publique. C’est peu dire que la situation dans la cité phocéenne l’inquiète. Où en est la situation dans votre hôpital ? Nous avons une unité Covid dédiée, mais on va devoir en ouvrir une autre à court terme. On compte déjà une vingtaine de patients, plus une dizaine en réanimation. Mais on peine à ouvrir des lits, notamment faute d’infirmiers et d’infirmières. Ils ont été lessivés par la première vague. Les troupes, mal rémunérées, sont démotivées. Et puis, on ne peut plus déprogrammer toutes les autres interventions. Lors de la première vague, on avait deux coups d’avance. L’épidémie avait commencé dans le Grand Est et la région parisienne. Ici, dans les Bouches-du-Rhône, on avait eu le temps de se préparer. On avait mis au point les protocoles, les tours de garde, les circuits de prise en charge. Il y avait eu une immense solidarité. Et puis, il y avait eu le confinement qui avait gelé la circulation du virus. C’était certes une mesure moyenâgeuse, avec des tas de dégâts collatéraux, y compris sanitaires, mais il n’y avait pas d’autre choix. Quand avez-vous commencé à alerter sur la situation à Marseille ? Dès la mi-juillet, quand on a vu l’évolution des courbes des tests PCR. Il y avait des signaux faibles, avant-coureurs. On a vu l’abandon des gestes barrières. La jeunesse qui a souffert du confinement s’est relâchée dans une totale insouciance. Des fêtes ont servi de booster. Et puis ce qui devait arriver s’est produit. Chez les plus de soixante ans, le nombre de positifs augmente de manière continue depuis plus d’un mois. On peut discuter de son ampleur, mais la deuxième vague est bien là. Les Marseillais ont vécu dans une sorte d’illusion qu’il n’y aurait pas de deuxième vague, une illusion entretenue par ceux qui à mes yeux sont des négationnistes et dont je peine à comprendre les motivations. Vous n’avez pas été entendu ? On nous a écoutés. Les autorités ont pris conscience de la gravité du problème. Le constat est là : un nombre de nouvelles admissions en réanimation doublant tous les sept à dix jours. Si l’épidémie poursuit sa dynamique actuelle, selon nos projections, les hôpitaux seront saturés avant la fin septembre, nous obligeant à nouveau à prioriser certains malades au détriment des autres. Après, prendre des mesures politiques adaptées à ce constat, c’est difficile… Paris a laissé les coudées franches aux Marseillais, sans doute par crainte d’une défiance envers le pouvoir central. Pourquoi pas, je suis un fervent partisan de la décentralisation. Mais je crains qu’en marchant ainsi sur des œufs, en alternant l’insouciance et les serrages de vis, on soit amené à prendre à l’avenir des mesures pires encore que celles que l’on aurait pu prendre cet été. Le plan déployé n’est pas suffisant ? Ma crainte, c’est que les mesurettes déployées ne permettent pas de faire face aux enjeux. J’ai du mal avec la société de surveillance et le « biopouvoir ». Mais je ne vois malheureusement pas comment on pourrait se passer d’une forme de régulation des relations sociales. La Suède n’a pas confiné, pour éviter de restreindre les libertés. Mais le nombre de morts a montré les limites de cette stratégie. Le Covid a été une occasion manquée à plein de niveaux. On aurait dû profiter de l’apparition de ce virus pour réfléchir à l’articulation des priorités (la santé, l’économie, les relations sociales, la solidarité générationnelle, etc.). Mais on a raté ce rendez-vous pour redéfinir la citoyenneté. Depuis quelques jours, on semble malgré tout observer un plateau dans la progression de l’épidémie. C’est encourageant ? Quelques jours, ce n’est pas suffisant pour confirmer une tendance. On peut avoir cinq patients qui arrivent aujourd’hui à l’hôpital et vingt-cinq demain. Ce qui est sûr, c’est que rien ne permet de dire que le virus est moins méchant que lors de la première vague. Le professeur Raoult affirme qu’il a muté… Rien, absolument rien, ne permet de l’affirmer à ce stade. Il reste quand même des raisons de ne pas céder totalement au pessimisme ? Le virus galope tout de même beaucoup moins vite qu’en mars. Et même s’il n’y a toujours pas de traitement antiviral efficace, on a beaucoup progressé dans la prise en charge des patients.

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