«Lara»: femme au bord de la crise de mère

Il dit aimer se rendre dans son petit bureau, le réalisateur allemand, et faire de ses trajets quotidiens une sorte de rituel. Pour l’heure, il y travaille sur ses deux prochains projets. « Je voudrais surtout qu’il ne se passe plus sept ans entre la sortie de mes films », s’amuse Jan Ole Gerster. Il est vrai que Oh boy, son précédent et premier long-métrage, date chez nous de juin 2013. Quant au scénario de Lara, son auteur, le Slovène Blaž Kuti, se désespérait de le voir à la fois remarqué, primé même, et moisir dans un tiroir. « Il se disait qu’il en serait ainsi jusqu’à la fin des temps ! », raconte Gerster. Qu’est-ce qui vous a séduit, dans ce scénario ? Le personnage, le ton, la tragédie que la vie de cette femme est devenue et la manière dont Blaž Kuti est arrivé à la raconter en un jour, en ne faisant intervenir que quelques témoins. Ce texte m’a interpellé par son esthétique, l’écriture… Bref, j’ai tout de suite arrêté ce que j’étais en train de faire et j’ai appelé mon producteur pour lui dire que j’avais trouvé un nouveau projet ! Corinna Harfouch, qui a été primée au festival Karlovy Vary pour son interprétation de Lara, est exceptionnelle. On a même pu lire dans une critique française qu’elle était un peu « la Isabelle Huppert allemande ! ». C’est elle que je voulais pour interpréter ce personnage, je n’avais envisagé personne d’autre. Si elle avait refusé, je n’aurais même pas commencé à travailler sur ce projet. Alors, bien sûr, Isabelle Huppert est une légende vivante. A part Catherine Deneuve, il n’en reste plus beaucoup comme elle, Jeanne Moreau est malheureusement décédée… Corinna est aussi unique en son genre. Vraiment, c’est une bénédiction d’avoir pu travailler avec elle que je ne connaissais au préalable que pour l’avoir vue au théâtre et dont j’étais alors devenu très fan. Je comprends cette envie de faire des comparaisons, toutes les deux sont divines et il peut y avoir certaines petites similarités entre Lara et les films qu’elle a fait avec Michael Haneke (NDLR : Happy end, Amour, Le temps du loup, La pianiste). Mais d’un autre côté, vous n’avez pas envie de travailler pendant deux ans sur un film pour qu’en fin de compte, on vous dise que le vôtre ressemble fort à tel ou tel autre ! C’est parce que le spectateur voit son personnage froid et distant changer qu’il finit par l’apprécier ? Oui, mais même si l’on parle de l’urgence d’un changement, si on lutte pour ça, je crois qu’on ne change jamais complètement. Déjà pas comme individu, mais certainement pas non plus comme société… Nous vivons une époque dramatique, la planète est en feu, nous polluons notre atmosphère et notre eau, l’espèce humaine a encore une espérance de vie d’une centaine d’années. Je n’ai même pas envie d’imaginer à quoi le monde va ressembler dans cent ans, et il apparaît malgré tout que nous sommes incapables de changer. Jusqu’à un certain point, j’ai bien peur que ce soit notre sort. Le film nous emmène pendant 24 heures dans la vie de Lara, tandis que « Oh boy » se déroulait pendant un jour et une nuit : comme réalisateur, vous aimez les contraintes de temps ? Je ne vois pas tellement ça comme des contraintes, même si ça ne laisse pas tellement de liberté au niveau du montage, parce qu’une journée, c’est une structure fixe. Disons que ça joue plutôt sur des éléments pragmatiques, comme les costumes ou les décors. Quand je me suis lancé dans ce projet, le plus important me paraissait être de brosser le portrait et de raconter la vie d’une personne plutôt que de dépeindre une journée ou une semaine de sa vie. C’est l’une des principales qualités du scénario de Blaž Kuti, il vous raconte toute une vie en une journée.

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