«Je suis horrifiée par le racisme systématique qui se manifeste aujourd’hui»

La pandémie de coronavirus est-elle la pire crise depuis la Seconde Guerre mondiale – avec le confinement, la crise existentielle et la peur de la contamination qui l’accompagnent ? La comparaison est intéressante : j’ai vécu la Deuxième Guerre mondiale. Quand j’étais enfant, ma famille a quitté Prague pour s’installer à Londres. Sur place, nous avons été témoins du Blitz, cette fameuse campagne de bombardements menée par l’aviation allemande. J’en parle également dans mon livre, dans lequel j’essaie d’imaginer comment devaient se sentir mes parents à cette époque-là. J’ai appris beaucoup de leur attitude durant ces années-là. Qu’avez-vous appris ? Par exemple, qu’ils n’avaient aucune influence sur les bombardements. La situation échappait totalement à leur contrôle. Ce qu’ils pouvaient contrôler, c’était notre attitude. Mes parents avaient la capacité de faire apparaître normal tout ce qui était anormal. A l’époque, nous vivions à Notting Hill Gate ; c’était bien avant que la zone devienne un quartier branché. Et je me souviens que nous passions toutes les nuits dans un abri antiaérien. Cependant, je n’aurais jamais imaginé vivre une crise comme celle du coronavirus. Surtout pas avec les conséquences que nous connaissons actuellement aux Etats-Unis. J’ai toujours cru que nous, les Américains, pouvions surmonter un grand nombre de problèmes. Mais force est de constater que nous n’avons pas été capables de gérer cette pandémie comme d’autres pays l’ont fait. Dans votre livre, vous écrivez : « Aujourd’hui, quand j’entends parler d’une crise internationale, je me demande systématiquement ce que je ferais à la place du secrétaire d’Etat actuel. » Quelles mesures auriez-vous prises pour lutter contre le coronavirus ? Lorsque j’étais encore secrétaire d’Etat, c’est la question du VIH, donc du sida, qui nous occupait. Nous cherchions des moyens de coopérer avec d’autres gouvernements afin de mieux gérer la situation. Nous avions compris que les maladies et les pandémies ne s’arrêtaient pas aux frontières, qu’il fallait collaborer avec d’autres pays pour les combattre. Si j’étais encore en fonction, j’aurais maintenu tous les aménagements mis en place par le président Obama pour faire face aux pandémies et aux maladies. Les Etats-Unis ont récemment été le théâtre d’émeutes violentes et sanglantes en lien avec les protestations du mouvement Black Lives Matter. Craignez-vous que les conflits entre les partisans et les détracteurs de Donald Trump s’intensifient, conformément au principe « œil pour œil, dent pour dent » ? Toutes ces actualités sont très préoccupantes. J’essaie toujours de comprendre comment on a pu en arriver là. J’ai beaucoup de mal à accepter que toutes ces choses horribles soient devenues possibles aux Etats-Unis. Le fait qu’il y ait autant d’armes au sein de notre société m’a toujours beaucoup préoccupée, tout comme cette lubie américaine de devoir absolument posséder une arme à feu. Mais ce qui me préoccupe encore plus, c’est le racisme systématique qui se manifeste aujourd’hui au grand jour. Je ne m’attendais pas à cela de la part de l’Amérique. Je suis horrifiée, pour être tout à fait franche. [scald=27724420:sdl_editor_representation] Craignez-vous une nouvelle escalade de la violence lors de la phase finale de la campagne électorale ? Le danger est là. Tout doit être fait pour que la situation ne s’aggrave pas. Les politiciens ne doivent pas être ceux qui incitent à la violence. Nous ne pouvons pas coexister de la sorte. Il doit exister un moyen de parler de ces problèmes sans les aggraver. Comment devrions-nous procéder dans le climat de débat actuel ? J’admets que je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette question. A cet égard, l’un des discours prononcés par Joe Biden m’a beaucoup enthousiasmée. Il y affirmait que nous, les Américains, devions nous rassembler et développer un sens de la communauté, au lieu de fomenter la violence. Durant la campagne électorale, les Etats-Unis ont dû faire face à deux problèmes simultanément – la violence et la pandémie de coronavirus. Une combinaison jamais vue auparavant. Exactement. C’est vrai. A cela s’ajoutent également les problèmes économiques, qui ont considérablement creusé l’écart entre les parties très riches et très pauvres de la population. J’ai peut-être une vision romantique de l’Amérique. Mais j’ai moi-même de plus en plus de mal à comprendre combien de pauvres compte aujourd’hui ce pays. Les Etats-Unis n’ont plus de classe moyenne. Et quand je vois comment le gouvernement en exercice gère tous les problèmes actuels, je n’ai pas de mots.

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