Pierre Mertens: «L’affaire Wesphael est clôturée. Le parcours posthume de Pirotton ne fait que commencer»

Pierre Mertens n’a pas fait son deuil de la mort brutale de Véronique Pirotton. C’était en 2013, à Ostende. Il a appris la nouvelle alors qu’il sortait de clinique. D’ici le début de l’année prochaine, le romancier belge publiera un livre qui entendra célébrer la mémoire de celle qui était devenue, pour lui, une proche. Sous quelle forme ? Pas un roman, car « cela aurait été obscène et indélicat ». Un essai ? Non plus. « Ce sera le portrait d’une méconnue. Une sorte de méditation morcelée et vagabonde sur l’époque qu’elle a vécue. » [scald=27725633:sdl_editor_representation] On se souvient de l’émotion et de la colère de Mertens, en octobre 2016, lorsqu’il adressa au Soir un hommage, au moment du procès de Wesphael. « La mort violente d’une femme que j’ai bien connue naguère », écrivait-il, « n’a suscité d’abord qu’un silence assourdissant. Il n’y en avait que pour celui qui partageait sa vie, et sa chambre d’hôtel, à Ostende, le jour du “drame”. » [scald=27725634:sdl_editor_representation] Lui, c’était l’homme politique Bernard Wesphael, qui fut acquitté, lors du verdict de son procès, au bénéfice du doute. Mertens, qui ne remet pas en question ce principe sacré, ajoutait néanmoins, dans sa tribune : « Mais le droit de l’Homme le plus important, cela reste encore le droit à la vie (ce qui interdit, comme on sait, l’application de la peine de mort), et ce droit-là, bizarrement, semble retenir moins l’attention du commun… des mortels ! » Quatre ans ont passé, depuis le procès de Mons, pendant lequel Mertens témoigna à la barre. Aujourd’hui, l’homme se souvient, la blessure non refermée. « De par ma fonction de juriste, j’ai assisté à beaucoup de procès, au Chili, en Tchécoslovaquie, au Proche-Orient… Paradoxalement, je ne suis pas sorti aussi souvent glacé d’un palais de justice que du tribunal de Mons. Quand je suis entré dans la cour d’assises, on ne parlait que de “lui”. Les rares témoignages sur elle étaient inodores, insipides… ou malveillants. J’ai constaté pendant le procès que la mort de Véronique Pirotton était en somme quelque chose d’affreusement banal. » C’est en 1993 que Pierre Mertens entend, pour la première fois, parler de Véronique Pirotton. Celle-ci, étudiante en journalisme à l’ULB, vient de consacrer son mémoire de fin d’études à l’œuvre… de l’écrivain. Un travail remarquable, salué par une note maximale du professeur Eric David, membre de son jury. Mertens le découvre, le dévore. « Très rarement, un travail universitaire ne m’aura paru aussi intuitif. Elle avait deviné, pressenti, décelé des lignes de force. » Une rencontre s’ensuit, entre la jeune femme et le romancier. « Immédiatement, j’ai eu avec elle des “rapports d’écrivains”. Je lui disais : “Véronique, il y a déjà une romancière en toi.” » [scald=27725637:sdl_editor_representation] Véronique Pirotton projetait un moment d’écrire une biographie critique consacrée à Pierre Mertens, envisageant de se rendre, bourse à l’appui, dans les pays où il avait voyagé, principalement comme juriste international. « Le suicide ? Je n’y ai jamais cru » Souvent durant leurs dîners partagés, se souvient l’écrivain, la jeune femme l’interrogeait sur l’assassinat de Pasolini, « qui avait été à l’époque présenté par la presse italienne comme une sorte de suicide. J’étais sur place, en novembre 1975, et je me souviens de certains, allant jusqu’à dire que “Pasolini l’avait bien cherché”. Le genre de propos qu’on a pu entendre au sujet de femmes violées. » Pierre Mertens se rappelle comment les commentaires suscités par la presse italienne avaient troublé Véronique Pirotton. « Le suicide de Véronique », s’insurge Mertens, « je n’y ai jamais cru. On l’a présumée suicidaire. Puisqu’on parle de présomption d’innocence quand il s’agit de Wesphael, n’allons pas, elle, la présumer suicidaire, et faisons-la donc bénéficier davantage du doute. L’autopsie me conforte dans cette conviction. En outre, elle avait un fils, qu’elle adorait, en qui elle portait beaucoup d’espoir. Et puis, elle venait de commencer un beau roman, peu de temps avant sa mort. Elle en était heureuse… elle avait raison de l’être. On ne se suicide pas dans ces conditions. Pour cette raison, et d’autres, j’incline à penser que, quelles que soient les vertus de la cour d’assises, il eût été préférable que ce fut un tribunal professionnel qui ait eu à connaître du litige. » [scald=27725636:sdl_editor_representation] L’écrivain se souvient de l’affaire de Vilnius, et du duel funèbre, Cantat-Trintignant, en juillet 2003. A l’époque, Pierre Mertens avait proposé un texte à son éditeur, sur cette affaire. « J’ai été plutôt mal reçu. On tentait de me dissuader. Cela m’a rendu à la fois chagrin et en colère. On me disait que “c’est un sujet people”. » Ou que c’était un « petit sujet ». « Pas d’accord ! Tous les grands sujets sont en filigrane dans de “soi-disant petits” sujets… » Sept ans après le drame, Mertens, qui tient à rendre dignité et lumière à la disparue, met la dernière main à son livre. Avec un pari, qui résonne comme une dette affective : « L’affaire Wesphael est clôturée, soit. Le parcours posthume de Véronique Pirotton ne fait peut-être que commencer. » « L’ère des victimes est passée » Mertens se tient à bonne distance, dit-il, des intentions affichées par le cinéaste Stephan Streker, avec son film L’ennemi, librement inspiré par les événements de 2013. « Moi, je m’intéresse à Véronique. Lui est centré sur le personnage de Wesphael. » L’écrivain ne s’inscrit pas dans la tendance actuelle, dit-il. « Aujourd’hui, tant de romanciers ou de cinéastes se passionnent pour la figure du présumé coupable. Désormais, l’ère des victimes, ça ne présente pas beaucoup d’intérêt. On est plutôt entré dans l’ère de la disculpation. On ne dénonce pas le mal, on l’explique. L’homme compassionnel, cher à Myriam Revault d’Allonnes, n’est plus de mode. Les nouveaux héros, ce sont désormais les anti-héros. La curiosité moderne va, outre vers les salauds, vers les présumés coupables. C’en est presque devenu un snobisme, une façon d’épater le bourgeois, de faire le malin en société : il faut surtout être à contre-courant des bons sentiments, et de la bien-pensance ! Parfois, cela peut être fascinant. Mais n’est pas Dostoïevski qui veut. Et hélas, aujourd’hui, le nombre de sous Crime et châtiment ne se compte plus. » La tristesse, chez Mertens, n’est pas loin de la colère. « Véronique voulait écrire ma biographie. C’est finalement moi qui suis en train d’écrire un bout de la sienne. Quelle cruelle ironie ! »

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