Zidani, Frankenstein et les manchots

Vous cherchez un lien entre Frankenstein, la pandémie, le théâtre et les manchots de l’Antarctique ? Si, si, il y en a un : il est au cœur du nouveau spectacle de Zidani, Les pingouins à l’aube, qu’elle créera le 7 octobre prochain au W : halll, avant de le faire tourner, notamment à Charleroi en janvier (Comédie centrale) et à Liège en février (Comédie en île). Le W : halll pourra accueillir 330 spectateurs. C’est peu par rapport à sa capacité (662 places). Pas si mal par rapport aux prévisions pessimistes de début septembre (on parlait alors de 132 spectateurs). On vous fait le pitch ? Rosine Valentin, ouvreuse au Brussel’s Whalll Palace depuis 46 ans, apprend par les nouvelles directives Covid du dernier Conseil de Sécurité que le planning du palace est complètement chamboulé. Britannicus est déprogrammé. Il faut rembourser les places achetées… et sauver ce qui peut encore l’être. Un film, Les pingouins à l’aube, est proposé en lieu et place, centré… sur les manchots et Mademoiselle Frankenstein ! N’écoutant que son courage, Rosine va assurer toute seule l’accueil, le placement des spectateurs mais aussi la diffusion du film, dont il y a six bobines. Frankenstein et les pingouins… cherchez l’erreur ? Il n’y en a pas. « C’est un spectacle sur la différence. » Celle du manchot : espèce menacée. Celle de Frankenstein et de sa créature dégénérée. Le premier est une apparition miraculeuse de la nature. Le second, un monstre enfanté par une savante folle. [scald=27729247:sdl_editor_representation] L’artiste belgo-kabyle nous apprend qu’elle avait écrit le spectacle avant le confinement. « Je voulais parler de la nature et de l’environnement, en me saisissant de la métaphore de l’Antarctique, qui est en train de fondre et de mettre en péril manchots empereurs, gorfous sauteurs, ours blancs… » Puis, en mars, la pandémie est arrivée d’Asie, se jouant rapidement des frontières, en contraignant brutalement les êtres humains à l’arrêt. « J’ai pris la mesure de ce qui se passait. Je suis retournée vers mon texte. Et j’ai réécrit. Et soudain, tout prenait sens, tout était plus ancré. Il semblait que la banquise qui fond était en écho direct avec le bouleversement provoqué par le coronavirus. » Charlie Degotte à la mise en scène Durant le confinement, Zidani se met au travail, avec Charlie Degotte à la mise en scène. Un cher compère qu’elle avait déjà croisé dans des revues, et sur l’un ou l’autre projet ponctuel. Le spectacle que l’on va découvrir d’ici quelques jours doit beaucoup, dit-elle, à la confrontation de son univers avec celui de Charlie. « Nous avons en commun une forme de surréalisme. » L’univers de Zidani est baroque, résolument kitsch, musical, lorgnant vers les années 70, le cabaret… et – ici – Béjart ! Celui de Degotte, homme de théâtre, est une (autre) affaire de folie, observe Zidani. « Charlie est un clown, un gagman, un sculpteur de l’absurde. Il va où on ne l’attend pas. Il y a aussi dans son univers une poésie et une vraie tendresse. C’est un joueur. Le plateau est sa cour de récréation. » Zidani, qui voulait à l’origine s’attaquer au thème du réchauffement climatique, rêvait de ce spectacle depuis de nombreuses années. Les événements de 2020 l’ont poussée à concrétiser son projet… qui est du coup devenu tout autre. « Avec ce qui vient de se passer, j’ai l’impression qu’on vient de basculer dans le vingt et unième siècle. Internet a pris le pouvoir, il s’occupe de tout… en nous rendant passablement amnésiques. C’est le nouveau baromètre. Nous vivons désormais collés à nos portables, alors que nos anciens, les derniers bastions de l’ancien monde, sont en voie de disparition, eux qui ont été les plus ciblés par le virus. » [scald=27729248:sdl_editor_representation] Le monde nouveau serait-il un cauchemar ? Pas forcément, tempère-t-elle. « Le coronavirus vient de contraindre l’humanité au ralentissement. En quelques semaines à peine, la planète s’est métamorphosée. On a assisté au retour des animaux dans les villes, le ciel a retrouvé sa pureté, la lagune a repris ses couleurs marines… Et puis nous, on a redécouvert la valeur du temps. » Rosine, sentinelle du théâtre Que vient faire Rosine Valentin, vestige d’une civilisation en ruines, dans ce nouveau monde dévolu au tout numérique ? « C’est la sentinelle, toujours positive, du théâtre, ce monde qui est un refuge, qui est comme une boîte noire magique, éloigné du monde virtuel et de celui de l’information. Rosine, c’est une ouvreuse, celle à qui l’on donne un pourboire – et le pourboire est son salaire. Elle est à l’image du monde culturel dans la Belgique d’aujourd’hui, condamné à la survie. C’est une invisible, aussi, à l’instar des personnages qui m’accompagnent, depuis que je fais ce métier de scène. » [scald=27729249:sdl_editor_representation] La scène, cela fait déjà un bon quart de siècle que Zidani, artiste définitivement inclassable, y a demandé l’asile. Son univers coloré entre Zouc et Elie Kakou semble emprunter dans le désordre à une garde-robe de Almodovar, à un thriller qui aurait été écrit par Antonin Artaud et Marguerite Duras ou au geste poétique des clowns. Qui s’étonnera, avec un pedigree aussi secoué, qu’elle partage avec Cyrano l’honneur d’être une cible ? Et que, pour notre part, on ne l’en aime que davantage. Du 7 au 10 octobre au W :Halll (Woluwe-Saint-Pierre).

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