Les Racines élémentaires d’Alex Vizorek: «J’avais quinze ans. Je mangeais une soupe préparée par ma grand-mère devant ‘La chance aux chansons’…»

Pendant dix ans, il a joué, sur toutes les scènes de Belgique et de France, son premier spectacle, Alex Vizorek est une œuvre d’art. Le voici, avec Ad vitam, qui s’apprête à lui donner un successeur. Le succès et la popularité ne quittent pas ce dandy de grand chemin, à qui rien ne semble résister. Et qui se souvient, pour ce grand entretien, de ses premiers pas dans la vie. Je ne serais pas devenu qui je suis si… Si je n’avais pas mis ma ceinture de sécurité à dix-huit ans, dans le bois de la Cambre en rentrant de TD. J’avais eu le permis de conduire le matin même. J’ai fait le con, j’avais trop picolé. Je roulais dans une vieille Volvo, que mes parents m’avaient gentiment offerte. J’ai fait de l’aqua planning dans le bois de la Cambre, et la bagnole a sauté… Si je n’avais pas eu ma ceinture de sécurité, je faisais mon Franck Ribéry. Souvent, j’ai pensé à ça. Il y a eu ce petit brin de chance… mais qui vient aussi d’une éducation. Cela m’a calmé. J’ai compris qu’au détour d’un truc anodin, la vie pouvait changer complètement. Cela m’a rendu un peu philosophe. Je n’ai plus eu une seule contravention de ma vie. Je ne serais pas devenu qui je suis sans la complémentarité de mes parents. Il y en a une qui était une fourmi, travailleuse, qui mettait pierre après pierre les choses, qui était prête à investir dans ses enfants. Et un qui était une cigale, aimant chanter, danser tout l’été, avec ce que cela avait aussi de panache… et j’aimais ça chez lui. Les deux ont été soutenants dans le métier, avec chacun leurs conseils précieux. Cette complémentarité entre eux, qui ont divorcé quand j’étais enfant, je pense que c’est un peu fondateur, chez moi. Il y a une étude qui dit que les enfants de divorcés sont plus intelligents. Eh bien, je veux bien croire que c’est vrai. Parce que tu développes une acuité sociale qui est plus grande, parce que, du coup, tu sens comment tu dois parler à l’un, comment tu dois parler à l’autre. Tu apprends en somme une gestion de la crise permanente. Et tu sens aussi comment tu peux en profiter. Quand j’avais deux zéro sur vingt, j’en faisais signer un à gauche, un à droite. C’était une bonne technique… Avez-vous encore des souvenirs de vos parents ensemble ? Non, ce n’est pas si clair que ça. Je vois des photos de vacances. J’ai de petits flashs. Je me souviens de mon père parlant fort à table, adorant raconter des blagues, faisant des accents… ce qu’il faisait très bien. Il avait ce côté clown du quotidien, spontanément. Un truc positif et généreux, en société… et plus complexe quand il est torturé ou pétri de doutes. J’ai toujours trouvé ce trait de caractère élégant. Parfois, mon père m’emmenait au foot, et on pouvait passer des trajets de bagnole comme ça – je sentais bien que quelque chose le travaillait, mais il gardait cela pour lui. J’ai pris un peu ça de lui. L’élégance consiste pour moi à être toujours positif, en équipe. La dépression, c’est un sport individuel. Je n’ai jamais été voir de psy. Quand j’ai un problème, je sors une feuille et j’écris pour moi. J’ai des documents Word, tout à fait idiots, où je couche mes états d’âme. Je ne les ai jamais relus. Le fait de les avoir couchés sur papier, ça va, je me sens déjà mieux. Comment gérez-vous les moments difficiles, du coup ? Je remplis ma vie d’énormément de choses. Du coup, je n’ai plus trop le temps de déprimer. Je parle de mon père, mais c’est marrant, avec ma mère, on ne s’est jamais trop dit « je t’aime »… et pourtant, tout transpire le fait qu’on s’aime énormément. Pas besoin de le dire. Mettre des mots sur des angoisses ou des bonheurs, ce n’est pas toujours très facile, pour moi. Et ce trait de caractère se ressent dans mes spectacles. Je fais partie de ceux qui parlent le moins de lui. J’ai l’impression en plus d’avoir eu une enfance plutôt normale, sans histoires. Je trouve que ma jeunesse a été plutôt inintéressante, je m’y suis emmerdé… et je sais que c’est très dur pour les parents de lire ça. Mais je suis ingrat de dire ça, car ma jeunesse est évidemment fondatrice. On m’a fait découvrir des trucs, on m’a emmené partout, au théâtre, aux spectacles, au foot… Que vous ont apporté vos parents ? Mon père m’emmenait voir des chanteurs. Ma sœur était folle de Johnny, moi d’Eddy Mitchell… et mon père des deux. Et ma mère m’emmenait voir des pièces de théâtre populaires, au centre culturel d’Auderghem ou aux Galeries. Je me retrouvais parfois tout seul, le dimanche après-midi, entouré de petits vieux. C’est là que j’ai vu Jean Piat, Micheline Dax, Victor Lanoux, Robert Lamoureux. Je trouvais ça très intéressant… et de faire juste après la photo, et d’avoir l’autographe. Je me souviens d’une pièce avec Marina Vlady et Rosy Varte, qui jouaient une pièce sur la relation entre Colette et Marguerite Moreno. Le temps de la pièce, je découvrais quelque chose qui m’intéressait. Et c’est comme ça que je me cultivais, avec une culture de vieux, en fait. Entre mon père qui m’emmenait voir des chanteurs des années soixante et les pièces de ma mère, j’étais là-dedans. Et à dix-huit ans, j’ai demandé un best of de Daniel Guichard. Ce n’était pas Madonna ou Tom Cruise. J’avais une culture vieille France de ouf ! Il m’est arrivé de kéblo devant « La chance aux chansons », l’émission de Pascal Sevran. A dix-huit ans, je découvre aussi sur Arte un documentaire sur Barbara, avec la force de la meuf. Le lendemain, juste après avoir passé mon examen de physique à Dachsbeck, je suis descendu chez Caroline Music, où j’ai acheté le double best of de Barbara. Aviez-vous conscience d’être un drôle de zèbre, au milieu de vos camarades ? Oui oui ! Avec les copains, on parlait plutôt de foot. Là, on était tous d’accord. Je ne me suis jamais senti l’exclu de la bande. En revanche, je sentais bien que ma mère était, jusqu’à mes 15 ans, inquiète que je n’aie pas d’amis. Elle me disait : « Je ne vois jamais personne à la maison, dis à tes amis de venir ». Or pour moi, c’était deux bulles très différentes, et je ne voulais pas les confronter. Mes parents travaillaient jusque tard. Je rentrais vers 16h30 de l’école. Ma grand-mère m’attendait avec une soupe. Je mangeais une soupe avec un morceau de pain devant La chance aux chansons. Je me rends compte de la tristesse… Je me souviens aussi, quand j’avais dix-douze ans, ma mère qui me lisait des pièces de Molière, trois-quatre scènes, dans le lit avant de m’endormir. Par contre, la grande culture, l’opéra, la musique classique, le cinéma d’art et d’essai, tout ça m’a échappé. Vous avez des origines polonaises… Par mon arrière-grand-père, Jerzy Wieczoreck, qui venait du sud de Varsovie et qui est venu travailler dans les mines, a épousé une Belge à Quaregon… mais du coup il s’est mis à parler français, et personne n’a jamais parlé polonais. Il n’y a que le nom qui est resté, de ces origines, mais il va disparaître, parce que ma sœur est une fille avec deux enfants, moi je n’en ai pas et a priori ce n’est pas prévu. Par contre, moi je l’ai changé et simplifié, ce nom qui était compliqué. Il y a un peu plus d’un an, l’ambassade de Belgique à Varsovie me contacte et me propose de faire un spectacle là-bas, à l’occasion des 70 ans de l’entente belgo-polonaise. Mon arrière-grand-père, il était venu, à mon avis, en autocar pour aller dans le fin fond de la mine, là où les Belges ne voulaient pas aller. Et 70 ans après, c’est son arrière-petit-fils qui vient en vedette à Varsovie. Cela m’émeut énormément… et quand bien même je n’ai pas connu le prolétariat en première ligne. Avant de vous tourner vers la scène et les médias, vous avez fait des études à Solvay et à l’ULB, en journalisme… J’avais dix-sept ans et demi. Il fallait bien s’inscrire quelque part. Polytechnique, c’était trop de chiffres. Le droit, c’était trop de mots. Médecine, il fallait une vocation. Et donc, dans les grandes études, il restait Solvay. Je n’ai pas réussi une seule année sans deuxième session, mais je les ai toutes réussies. [scald=27729864:sdl_editor_representation] Qu’est-ce qui vous a fait dériver de ce parcours sérieux ? Une petite voix, dans la tête. Les années Solvay, je n’étais pas dupe : ça ne m’intéressait pas du tout. Du coup, en avant-dernière à Solvay, je décide de m’inscrire en journalisme à l’ULB, en même temps. Et là, je découvre qu’on peut un peu s’amuser, en apprenant des choses. Je me dis que ça peut être un métier sympa. Je fais un peu de radio, via un stage à la RTBF Sports, sur Vivacité à Mons. Le grand patron là-bas, c’est Guy Géron, et la tête de gondole, c’est Thierry Luthers, avec qui je m’entends directement. Bah oui : je savais que si je lui parlais de chanteurs morts et de footballeurs des années 80, ça allait forcément prendre. Le soir, quand mon stage se terminait, il me disait : « Tu veux pas rester avec tonton Thierry ? » Et il m’emmenait manger un poulet, sur la place à Mons. Il me racontait les grandes années de Copie conforme, et c’était très sympa. A la radio, je commence à découvrir le micro, et ça me plaît. J’écoute beaucoup aussi les chroniques de gens que j’aime bien, comme Guillon, Porte, Thomas VDB et Ben sur Inter. A la fin de mon stage, Guy Géron me propose de faire des piges. C’est ce que je fais l’année suivante, en commentant notamment des matches de football, en division 2. A la fin de l’année, Guy Géron me dit : « On est content, on peut te proposer un tiers-temps à Charleroi ». C’est l’époque où je discute de mon avenir avec mes parents. Ma mère me dit : « Ecoute, tu n’as jamais rien raté, tu faisais du théâtre quand tu étais enfant… alors si c’est ça qui t’amuse, je peux t’aider ». Je suis parti dix jours en stage d’été à Paris, et je me suis hyper bien marré. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé au cours Florent. Le théâtre, ça vous venait de l’enfance ? Oui. J’étais à Dachsbeck, j’avais neuf-dix ans. Et il y avait là un cours incroyable de diction, donné par Madame Marchant, la femme du directeur du Rideau de Bruxelles, Jules-Henri Marchant. Madame Marchant donnait des cours supplémentaires, à midi, pour les élèves qu’elle trouvait bons. On était une dizaine, on lisait des fables de La Fontaine, Maurice Carême, Rimbaud… Cela me plaisait bien. Un jour, j’avais douze-treize ans, Martine Wyckaert, du théâtre de la Balsamine, a besoin de cinq jeunes… et je me retrouve dans une pièce contemporaine de ouf, Nature morte, une pièce muette, sur scène tous les soirs pendant un mois et demi, aux côtés d’Olindo Bolzan, qui s’est suicidé pendant le confinement. J’étais comme en stage d’observation du vrai théâtre… et cette fois, pas celui que j’allais voir, de Michel Galabru ou de Marthe Mercadier. C’est là, surtout, que j’ai découvert le côté galvanisant des applaudissements généreux, en fin de représentation. Il y a des artistes qui n’aiment pas les applaudissements. Moi, j’adore ça. C’est le seul truc que tu ne peux pas acheter. Comment, au cours Florent, êtes-vous passé de l’art dramatique au one-man-show ? Rarement, au cours Florent, j’étais le comédien qui sortait du lot. Puis un jour, on a joué Shakespeare, La nuit des rois, dans lequel le personnage principal est prétentieux et maladroit… et celui-là m’avait été comme un gant. C’était celui qui expliquait qu’il avait combattu une armée à lui tout seul… En fait, ils étaient deux contre lui. Et pour une fois, au spectacle de fin d’année, les gens avaient bien ri, avec moi faisant le con. Je me suis dit : au fond, le rire, c’est quelque chose que j’arrive à susciter, un peu naturellement, en faisant le con de service… Je dois avoir une tête à ça. Je suis peut-être plus un humoriste qu’un comédien. Moi dont le rêve était de prendre la succession de Gérard Philippe et Francis Huster… En dernière année à Florent, j’ai suivi le cours de one-man-show, donné par Stéphanie Bataille, qui me rencontre et comprend un peu mon décalage. C’est là, et c’est avec elle que tout a commencé. Un jour, pendant ma deuxième année, François Florent vient, prend quelques notes, et le lendemain, mon prof prend le carnet et lit ceci : « Très belge. Il a toutes les caractéristiques d’un concierge de palace ostendais à qui on voudrait raconter ses histoires de cul. » Mon prof me regarde et me dit : « Je ne peux pas t’en dire plus. » [scald=27729863:sdl_editor_representation] Vous étiez sur les planches. Aujourd’hui, vous êtes autant sinon davantage à la radio… J’ai toujours écouté les radios françaises. Dans la radio de mes parents, c’était RTL France, en longues ondes. qui passait. J’écoutais Les grosses têtes, quand j’étais gamin. Celles de Jean Dutourd, Jean Yanne, Robert Sabatier… Il y avait de la drôlerie, mais aussi un niveau culturel, qui a un petit peu évolué, disons, aujourd’hui. C’était la division 1. Et je n’eus estimé que je réussissais qu’en faisant partie de ce monde-là. C’était la France. A l’époque, je ne connaissais pas bien Inter. C’était l’époque de Rien à cirer, avec Ruquier qui arrivait. Quand j’ai commencé à réussir en Belgique, je me disais : continue à bosser, entraîne-toi, parce que peut-être un jour un grand club français va venir te chercher. Et sinon, j’aurai fait, en les adorant, la Première et Vivacité. Bon, il se fait que c’est arrivé. Mais c’est parce que dans ma tête, c’était la logique, la volonté. Thomas Gunzig, qui est fantastique, m’a toujours dit : « Je ne me sens pas bien à Paris ». Quand il fait la promotion de ses livres là-bas, il arrive le matin et il repart le soir. Il y a une forme de cohérence, à vous retrouver dans les émissions françaises grand public, vous qui y avez été biberonné… C’est ce que la directrice de prod de chez Drucker m’a dit : « Tu vas être tellement heureux chez nous ! » Quand je me retrouve assis sur le canapé de Drucker avec Michèle Torr et Nicoletta, je suis à la maison et j’ai quinze ans. Je dois être le seul type de ma génération à être hyper content d’être là, plutôt qu’avec Marion Cotillard et Mélanie Laurent. Ça n’a pas de sens ! Mais bon, je l’assume. Ce qui est drôle, c’est que je me retrouve aujourd’hui aux côtés de gens à qui je demandais des autographes, il y a vingt-cinq ans. Et la magie est toujours là. Je suis resté le gosse admiratif, assis à côté du père Noël. Ad vitam, du 29 octobre au 28 novembre à l’ULB.

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