«Mon cousin»: Vincent Lindon, jamais moins qu’à fond

Vincent Lindon prend son smartphone pour montrer une photo de Lino Ventura et Jacques Brel sur le tournage de L’emmerdeur. Comme un talisman. En duo avec François Damiens dans Mon cousin, qui lorgne du côté de ses duos antinomiques dont la comédie française a le secret, il vient de faire une quarantaine de villes dans l’Hexagone, quelque 120 salles. Au contact du public. Avec l’envie de partager en vrai ce moment de cinéma qui s’inscrit dans une tradition de films de duo culte comme La grande vadrouille (Louis de Funès/Bourvil), Le dîner de cons (Thierry Lhermitte/Jacques Villeret), La chèvre (Gérard Depardieu/Pierre Richard), Intouchables (François Cluzet/Omar Sy) et évidemment L’emmerdeur (Lino Ventura/Jaques Brel). L’acteur se surprend d’ailleurs à être submergé par l’émotion en se rappelant comment il en est venu à revenir à la comédie, un genre qu’il a souvent pratiqué avec Coline Serreau (La crise), Pinoteau (L’étudiante), Berberian (Paparazzi), Claude Lelouch (Tout ça pour ça), Gabriel Aghion (Belle maman)… Vous êtes à l’initiative de cette comédie. Quel en a été le déclencheur profond ? Un soir, au téléphone, un ami très très proche me dit : « Vincent, fais attention à toi, protège-toi. J’ai vu Welcome, Pater, La loi du marché, Rodin, En guerre…Tu donnes énormément de toi… Ce sont des rôles très fatigants et tu dois y laisser beaucoup de plumes… » J’ai raccroché et ses paroles m’ont donné l’envie de renouer avec un genre que j’adore et que j’ai fait souvent. J’ai eu envie de me remettre dans une situation drôle. J’avais envie que les gens rient avec moi à l’écran. Je suis allé voir le producteur Richard Grandpierre que je connais depuis très longtemps et lui ai dit : « J’ai une obsession et on ne sortira pas de ton bureau tant qu’on n’aura pas un départ de comédie et un casting. » J’avais envie de jouer en comédie le personnage que j’attaque sans arrêt dans les films sociaux pour montrer que ce n’est pas si manichéen. On peut être un grand patron et quelqu’un qui n’est pas perdu. Face à lui, j’avais envie de quelqu’un de sa famille qui lui pourrit la vie car sa famille, on ne la choisit pas. On a appelé un scénariste, Fabrice Roger-Lacan, on a travaillé ensemble pendant un mois puis il a finalisé le scénario. Richard Grandpierre a proposé le projet à Jan Kounen. Prêt à respecter toute la mécanique de la comédie, Jan a juste demandé de pouvoir glisser son monde à lui. On voulait quelqu’un qui amène une vraie touche de cinéma et redonne ses lettres de noblesse à la comédie. Et pas juste l’efficacité de la comédie se résumant à un plan large et des champ/contre-champ. Qu’est-ce que cela vous a apporté ? Enormément de bonheur. Ce film m’a un peu dépassé. Je savais qu’il était très drôle et qu’il y avait de l’émotion mais j’ai mal jaugé mes portions. Je pensais 70 % de drôlerie, d’humour, de gags et 30 % d’émotion. En fait, c’est l’inverse. C’est impressionnant. C’est une comédie mais pas que… Voilà ! Il y a énormément d’émotion et un retour aux valeurs essentielles. On parle du sens de la famille, de dire qu’on s’aime tant qu’on est vivant, de l’importance de communiquer, de se reconnecter à la nature, écouter et regarder les autres. Tout ce que le confinement nous a rappelé. Or, on a écrit bien avant. Le film devait sortir le 29 avril. Pourriez-vous être une sorte de Pierre Pasquié ? Mon métier, le cinéma ne sont absolument pas en premier dans mes priorités. Tout va bien. Je n’emploie personne, je n’ai pas d’attaché de presse, secrétaire, garde du corps, maquilleur… Je n’ai pas de propriété, de jardinier. Je n’ai pas de train de vie qui m’obligerait à faire des concessions, ce qui me rendrait acariâtre. Du coup, je suis très très très libre. Ma liberté a un coût mais n’a pas de prix. Je ne me sens proche du personnage que par son perfectionnisme et son envie du travail bien fait. Mais en termes de conquérant, sûrement pas. J’aime cette phrase du Général de Gaulle : « Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent. » En fait, le personnage de chef d’entreprise m’a plutôt fait penser à mon père qui, dans ses moments de travail, était prêt à laisser pas mal sur le côté. Sûrement ses enfants. Cela n’empêche pas que j’étais en admiration devant lui et avait un amour démesuré pour lui. Oui, mon père a raté des trucs et il s’en est aperçu plus tard comme mon personnage. Donc « Mon cousin » s’inspire un peu de votre vécu ? Toutes petites racines. En 2003, avec le même scénariste, j’avais écrit une histoire, La bourgeoisie, que je voulais réaliser. Il était question de ma famille, de mon père. Avec une grande séquence avec un cousin qu’on prenait comme chauffeur. Finalement, le film ne s’est jamais fait. Mais ça m’a toujours marqué chez les grands bourgeois le fait de vouloir rendre service à un membre de la famille et que cela fout le bazar. Quand on vous voit dans le film, on se dit que quoi que vous jouiez, vous y jouez votre peau. Qu’en pensez-vous ? Vous avez raison. C’est incroyable. Je suis ravi mais c’est comme si ça ne voulait jamais me lâcher. François Damiens a une belle formule pour ça, il dit : « Vincent, il n’est jamais moins qu’à fond. » Je n’y peux rien. Je ne sais pas faire à moitié. Quand je joue Pierre Pasquié, j’y suis à fond. Pour moi, tout est politique. Donc, oui c’est une comédie, mais il y a encore quelque chose de profond. Comme dans Intouchables, Le sens de la fête, Le grand bain, Un éléphant, ça trompe énormément… Ou comme quand je fais le polar Pour elle. Car une comédie juste avec du rire, so what ?! Avez-vous compris pourquoi vous êtes à ce point à fond ? Non et je ne veux pas comprendre. Ma manière d’avancer est l’insouciance et un peu l’inconscience calculée. Je ne veux pas décortiquer tous mes actes car si je fais ça, je vais comprendre la mécanique, puis vouloir la refaire et ce ne sera pas aussi bien. Êtes-vous intervenu dans le choix de votre « cousin » ? Je crevais d’envie de jouer avec François. Mais vos débuts furent difficiles paraît-il ? On a le même moteur mais on n’est pas montés pareils. Au début, on ne se comprenait pas, on a été au clash puis on s’est pris dans les bras comme dans le film. On a beaucoup ri, on a travaillé de manière acharnée car la comédie demande beaucoup de technique. C’est une question de rythme et d’énergie. On a passé de grands moments. Aujourd’hui, je peux dire que François Damiens est une vraie rencontre. Le cinéma, c’est des particules accélérées. Il faut s’aimer vite, travailler vite, vite faire le deuil d’une équipe qui se quitte, il faut re-aimer vite, re-tourner vite… Avec François, je me suis arrêté sur une personne. Parfois, quand il s’énerve, il me dit : « Oh là là, je me lindonise. » Car c’est quelqu’un qui ne se prend pas la tête, il essaie de se faire du bien. Et moi, je suis tout le temps au taquet pour tout, essayant de convaincre. On a déteint l’un sur l’autre. Depuis ma rencontre avec François, je laisse filer certaines choses… Pas beaucoup, mais ça commence. Quelle est votre zone d’inconfort comme acteur ? La même que dans la vie. Ma zone d’inconfort, c’est le confort. C’est pour cela que je ne possède rien. Je veux vivre comme les gangsters. Un gangster de luxe, certes. Je veux savoir que je peux quitter tout en une demi-heure – sauf les enfants évidemment. Vous avez toujours ressenti ce besoin ? J’ai été élevé comme ça par mes parents. Pour certains, c’est très déstabilisant. Certains ont besoin d’avoir de la pierre comme preuve de leur accomplissement. Je les comprends. D’autres ont besoin de voyager pour se vider la tête. Moi, le voyage et les pierres ne sont pas des choses qui me rassurent. Qu’est-ce qui vous rassure ? Faire la même chose tous les jours au même endroit. Je vis tellement de choses, je vois tellement de gens que de temps en temps, des petits rites comme aller manger au même restaurant, à la même table, le même menu alors que je suis en tournage pendant huit semaines dans une petite ville de province me rassurent. C’est le plus grand voyage du monde ! Comme quand vous allez en psychanalyse. D’où cette déclaration récente : « Je ne suis pas à la bonne place. J’ai l’impression d’être en location » ? J’aurais pu être dentiste ou chirurgien, j’ai fait acteur mais ce n’était pas une vocation, ni une passion. Un été de 1981, mon père m’appelle en me demandant ce que j’ai prévu de faire de mes dix doigts à la rentrée. Je me suis inscrit au cours Florent. Et ça a pris. C’est comme en amour… Et aujourd’hui, c’est devenu une passion ? Je n’en sais rien. Mais vous êtes heureux ? Fou de bonheur. Quand les choses ne me plaisent pas, je ne les fais pas. Donc si j’avais voulu rompre avec le cinéma, je l’aurais fait. Ce n’est pas le cas. Mais plus que la profession, ce qui me rend heureux, c’est de bien faire ce que je fais. Ce que j’aime, c’est le goût du travail. Il n’y a rien de plus beau. Après avoir initié cette comédie, pas envie de réaliser un film ? Non. C’est mon inconscient de contradiction. On me propose beaucoup de choses mais comme tout le monde le fait, j’ai décidé de marquer mon originalité en ne le faisant pas. Comme d’écrire mes mémoires. C’est non ! A force, j’ai décidé que j’allais rester juste acteur comme des gens que j’admirais à l’époque. Mais je m’investis tellement sur un film, de la production au tournage. C’est tellement fusionnel, tellement intense que c’est quasiment comme si j’étais assistant, directeur de producteur, régisseur… Je pense que les acteurs sont des metteurs en scène et les metteurs en scène sont des acteurs. Je suis aussi orgueilleux et l’idée de rater mon film me serait invivable. Je préfère vivre dans le regret que dans le remords. Uniquement dans ce domaine-là !

Votre compte

«Mon cousin»: Vincent Lindon, jamais moins qu’à fond

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en Cinéma

Tax shelter: belle reprise en 2022 avec près de 133 millions d’euros levés

Édito Tous les plaisirs du cinéma

Le petit moment qui fait du bien: reproduire les déhanchements d’Elvis avec Jim Carrey

En une nuit, Marcel...: les cinq spectacles à ne pas manquer cette semaine

Vidéo Les coups de coeur du MAD: Night Shyamalan hitchcokien et spielbergien

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Entretien Pedro Marques (S&D) sur le Qatargate: «Les socialistes n’accepteront plus les voyages payés par des tiers»

Un ancien officier de l’armée russe: «Nos troupes ont torturé des Ukrainiens»

Entretien Paul Magnette candidat à la présidence du PS… et au poste de Premier ministre

SNCB: la ligne entre Tournai et Bruxelles fortement perturbée après un accident routier mortel

Critiqué, torpillé, saboté… le projet de loi APD de Mathieu Michel va une nouvelle fois se faire recaler

Simon Mignolet envisage d’arrêter avec les Diables: «C’est devenu un fardeau...»

30 années au service d’une passion : le métier d’infirmière

Des soins intensifs polyvalents et à la pointe des technologies

L’indemnité vélo pour tous les travailleurs belges dès le mois de mai

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel