Négociations fédérales: la Vivaldi se prend la tête sur un budget historiquement compliqué

Les négociateurs de la coalition Vivaldi poursuivaient leurs efforts mardi soir, et s’apprêtaient à repartir pour une nouvelle nuit de négociation, que l'on qualifiait globalement de « der des der », avec Alexander De Croo en pole position pour le Seize et un accord très probable pour ce mercredi matin, mais sans jamais exclure à 100 % un ultime dérapage qui provoquerait le report de la date fatidique du 1er octobre prévue pour la séance parlementaire de présentation de l’accord. Dans ce cas, Sophie Wilmès présenterait sans doute sa démission, mettrait son gouvernement en affaires courantes, le temps pour les négociations d’aboutir enfin. Malgré quelques bruyantes prises de bec, les discussions ne faisaient cela dit pas du surplace. Après l’accord sur la sortie du nucléaire, des avancées étaient intervenues mardi sur l’immigration et sur la création d’un « commissaire corona » chargé de coordonner pour un an l’action du fédéral et des Régions. Vers 23h30, le chapitre institutionnel restait à finaliser, quelques points entre « crochets » à trancher dans la relecture finale de la note, et, « last but not least », le casting ministériel à déterminer. Tout cela prendrait encore un certain temps aux « Vivaldiens »… Mais qu’est-ce qui coinçait, alors ? Le budget. Et ce n’est pas, en soi, un scandale. Il ne s’agit plus ici de problèmes de personnes, telles qu’on en a eu la (pénible) démonstration il y a quinze jours, mais d’une discussion de fond très importante. Et pas simple. [scald=27730984:sdl_editor_representation] Pour des raisons politiques, d’abord. Cette coalition en discussion comprend sept partis, qui, tous, ont besoin d’exister auprès de leurs électeurs et, idéalement, de ramener au moins un trophée. Et un trophée, ça coûte. Le PS et le SP.A demandent la pension à 1.500 euros, c’est 2,3 milliards. Et la hausse des allocations au seuil de pauvreté, c’est 1,6 milliard. Les libéraux demandent des coups de pouces fiscaux aux PME qui investissent (300 millions), et aux entrepreneurs personnes physiques qui en font autant (465 millions). Les verts souhaitent la sortie du nucléaire (70 millions s’il faut construire des centrales au gaz pour compenser). Et le CD&V veut soutenir fiscalement les familles avec enfants (200 millions). De 7 à 4 ou 5 milliards Ces demandes cumulées, et d’autres encore, amenaient au début la facture totale à 11 milliards de dépenses nouvelles. C’est beaucoup trop dans les conditions budgétaires actuelles. Les sept partis tentent depuis deux jours de les raboter autour de 4 à 5 milliards. D’où l’âpreté des débats. Mais vers 23 heures, on nous indiquait que le budget pluriannuel était quasi bouclé. Et qu’il fallait encore affiner les sujets pensions et fiscalité. [scald=27730985:sdl_editor_representation] Si les négociations budgétaires sont compliquées, c’est également en raison de la situation économique particulièrement détériorée. En raison de la pandémie – plus exactement : de la chute de l’activité causée par les mesures de confinement et des mesures de soutien prises aux différents niveaux de pouvoirs –, la Belgique a renoué avec un déficit public d’une ampleur comparable à celui du début des années 80. Ainsi, en juillet, le Comité de monitoring disait s’attendre à un déficit pour l’ensemble des pouvoirs publics de 52,8 milliards d’euros cette année, et encore de 31,4 milliards l’an prochain. Surtout, et c’est ce qui compte au premier chef pour les négociateurs fédéraux, l’essentiel du déficit est attendu au niveau de l’Entité I (comprenez : l’Etat fédéral et la Sécurité sociale), à hauteur de 40,3 milliards cette année, puis de 26,2 milliards en 2021. Situation budgétaire tendue Ces prévisions devraient certes être revues à la baisse dans le nouveau rapport du comité de monitoring attendu dans les prochains jours, commandé il y a trois semaines par le ministre du Budget, David Clarinval (MR), suite à la révision des prévisions de croissance du Bureau fédéral du Plan. [scald=27730986:sdl_editor_representation] En juin, le Plan pronostiquait un recul du PIB de 10,6 % cette année. Selon les nouvelles prévisions réalisées dans le cadre du « budget économique » publié le 10 septembre, la chute serait limitée à 7,4 %. Mécaniquement, le déficit s’en trouverait amélioré. Dans quelle mesure ? Des estimations provisoires pour l’Entité I, transmises la semaine passée aux pré-formateurs, ont fuité – 33,4 milliards cette année et 24 milliards l’an prochain – qu’il convient cependant de prendre avec des pincettes, de l’avis même du cabinet Clarinval. Où l’on répète ce rapport provisoire reste « incomplet et lacunaire », en particulier parce que « certaines recettes n’ont pas encore été réestimées ». Quoi qu’il en soit, même si le déficit est revu à la baisse pour 2020, la situation budgétaire restera particulièrement tendue non seulement en 2021, mais également à moyen terme. Reprise très incertaine En juillet, à politique inchangée – ce qui veut dire : avant même de prendre en compte les demande des différents partis négociant la Vivaldi et un éventuel plan de relance –, le comité de monitoring pronostiquait, à l’horizon 2024, un déficit de 27,7 milliards – dont 23,9 milliards au niveau de l’Entité I. Surtout, l’enjeu majeur des prochaines années (et donc des négociations en cours) portera sur le financement de la Sécu, dont le déficit frôlerait encore les 14 milliards en 2024. Qui plus est, l’incertitude conjoncturelle reste très grande. Le Plan a fondé ses nouvelles prévisions de croissance, d’une part, sur l’hypothèse que « la reprise en Belgique et à l’étranger n’est pas compromise par de nouvelles mesures de confinement généralisé » ; et d’autre part, sur le constat, mais qui pourrait être démenti dans les prochains mois, que les dommages économiques subis par la plupart des pays de la zone euro « semblent moins importants » qu’initialement estimé. [scald=27730987:sdl_editor_representation] Autrement dit : la vigueur de la reprise reste très incertaine ; et rien ne permet d’exclure, à ce stade, une croissance économique relativement modeste au cours des prochaines années. Sans doute, le « retour à l’équilibre budgétaire » – une « priorité » de la législature précédente, reportée à plusieurs reprises – n’est plus envisagé avant… 2030. Mais le souhait évoqué par certains négociateurs d’un déficit limité à 3 % du PIB en 2015 et 2026 est un objectif très… ambitieux. Vers un retour aux règles pré-Covid On rappellera à ce sujet que le comité de monitoring, en juillet, tablait, à politique inchangée, sur un déficit de 5,3 % du PIB en 2024. Même si cette prévision est légèrement révisée en baisse par le Comité de monitoring dans les prochains jours, l’effort requis resterait massif. Certes, dès le mois de mars, la Commission européenne a mis entre parenthèses les règles budgétaires, qui limitent le déficit à 3 % du PIB et imposent une politique d’assainissement aux pays qui ne respectent pas un « objectif de moyen terme » plus ambitieux. [scald=27730988:sdl_editor_representation] Cette suspension du pacte budgétaire est cependant temporaire : elle vaut pour 2020 et 2021. On peut s’attendre à ce qu’elle soit prolongée. Mais « quand les conditions économiques le permettront, il sera temps de mettre en œuvre des politiques budgétaires visant des approches de moyen terme prudentes », ont récemment rappelé les commissaires Gentiloni et Dombrovskis dans une lettre au ministre français de l’Economie et des Finances, dévoilée par nos confrères des Echos. Autrement dit : le retour, sinon aux règles budgétaires pré-Covid, tout au moins à plus de discipline reviendra à l’agenda. Ce qui limitera les marges de manœuvre, peut-être dès la fin de la législature. Cela non plus, les négociateurs de la Vivaldi ne peuvent l’ignorer.

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