«Beatrice et Bénédict» sous tente à Tours et Taxis

Peter de Caluwe et toute la Monnaie s’est associée au deuil national tout en réaffirmant sa foi dans la culture, indispensable rempart face à la barbarie : une minute de silence et la Brabançonne ont précédé la représentation de Béatrice et Bénédict, le dernier opéra de Berlioz (lire le Mad du 23 mars), une partition magnifique, depuis longtemps dans le jardin secret du directeur de la Monnaie. Impossible de ne pas se sentir interpellé par la découverte de la scénographie (Anouk Dell’Aiera), même avec un goût de déjà-vu : plafonds éventrés, gravats qui tombent, la peur, les soldats en armes, sur le qui-vive, des enfants qui jouent, timidement. Nous sommes dans un village de Sicile, sur fond de guerre qui se termine : retrouvailles et mariages à l’horizon. Mais à la guerre des armes, succède la guerre des sexes, encore innocente entre Héro et Claudio, plus explosive entre Béatrice et Bénédict. Le metteur en scène Richard Brunel avait annoncé la couleur : sans toucher à une note de Berlioz, il a remixé le livret avec l’aide de l’original shakespearien, Beaucoup de bruit pour rien, pour en nourrir certains personnages, ajouter d’autres, changer l’ordre et l’attribution de certains airs. Il a surtout coloré de mélancolie l’ambiance générale de cette double histoire de mariage entre disputes, trahisons, machismes… Qui imaginerait encore le futur heureux des amants en fin de parcours ! Crime de lèse-Berlioz ? On ne résoudra pas ici la question des relectures ! Berlioz peut se suffire à lui-même. Mais dès les années nonante, Pierre Barrat qui joue ici le rôle parlé de Leonato (père et oncle des deux mariées) avait déjà imaginé une version shakespearienne. Ce que propose Richard Brunel a globalement sa cohérence malgré quelques maladresses (abandonnant par exemple subitement l’idée du retour du guerrier en fauteuil roulant). Les répétitions amputées (pas de générale ni de prégénérale) suite aux attentats, y ont aussi ajouté leur grain de sel. La première de ce jeudi constituait donc… le « premier filage » ! Et chacun a assumé : chapeau à tous. Magie des voix féminines La direction d’acteurs, tantôt vive, tantôt sensuelle trouvera sans nul doute un rythme plus précis. A la beauté visuelle de certains tableaux (lumières de Laurent Castaingt) s’ajoute le bon travail de « mise en bouche » du texte parlé, important ici. Mais le grand bonheur de cette production est musical : le raffinement de la direction de Jérémie Rhorer, coloriste berlozien dans ses pages nerveuses comme dans ses courbes voluptueuses, le soin des solos… et par-dessus tout, la magie des voix. Le grand frisson, l’émotion ont respiré dans les duo et trio féminin d’Anne-Catherine Gillet (Héro), Stéphanie d’Oustrac (Béatrice) et Eve-Maud Hubeaux (Ursule, compagne d’Héro), toutes trois à l’articulation parfaite, aux timbres en harmonie. On ne résiste pas à la sensualité douce, limpide de Gillet que l’on savait berliozienne depuis ses Nuits d’été (Aeon). Moins sûre dans la justesse, avec quelques aigus plus tendus, le mezzo de Stéphanie d’Oustrac crève la scène, vive et corsée, tandis qu’Eve-Marie Hubeaux, mezzo de velours, éloquente, d’une égalité de toute la tessiture, s’impose en élégance. Laurier aussi au Bénédict volubile du ténor Julien Dran, tout en prestance physique et vocale, aux côtés de Lionel Lhote, personnage sombre, au seul air de taverne, de la basse Frédéric Caton, du Claudio d’Etienne Dupuis et de Sébastien Dutrieux (rôle parlé) qui défend un étonnant Don Juan, amant d’Ursule, mais aussi comparse détaché des comploteurs. Que du beau monde dans cette distribution qui se dédoublera en alternance avec des pointures telles que Sophie Karthäuser, Sébastien Droy et Michèle Losier. jusqu’au 6 avril, Palais de la Monnaie à Tour et Taxis. www.lamonnaie.be 02 229 12 11

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