Pas encore de feu vert pour une «Union européenne de la sécurité»

D’un côté, le souhait de voir naître une« Union européenne de la sécurité », comme l’a suggéré mercredi dernier le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. De l’autre, la froide réalité : le « manque de confiance » entre Etats membres de l’UE, stigmatisé par le commissaire européen aux Affaires intérieures. Dimitris Avramopoulos réclame dès lors, au diapason d’autres dirigeants européens, un meilleur échange des informations à l’échelle de l’UE… tout en sachant qu’il prêche dans le désert. Un« scepticisme », que le ministre belge de la Justice Koen Geens peut « partager », a-t-il reconnu jeudi dernier. Tout au long de la construction européenne, les Etats membres ont tenu à garder la maîtrise exclusive de leur sécurité nationale et de leurs services de renseignements. Au nom de l’intérêt national. « James Bond » devrait-il partager tous ses secrets avec le dernier de ses homologues roumain, suédois ou portugais ? Impensable, même si la menace globale posée par le terrorisme semble logiquement devoir imposer une réponse globale :« La coopération limitée en Europe pour les questions de sécurité est un rappel que, même après six décennies d’intégration, l’UE reste, jusqu‘à un certain point, un pacte entre Etats-nations », souligne la société américaine Stratfor, spécialisée dans le renseignement. La création d’une Agence européenne de renseignement, sorte de CIA ou de FBI européen, nécessiterait un changement des Traités – ce qui paraît hautement improbable. L’heure n’est clairement à de nouveaux transferts de compétences vers l’échelon européen. Ni en général, ni encore moins en particulier, s’agissant de cette question hyper-sensible de la sécurité. L’heure est plutôt au détricotage. Il n’est qu’à voir la réaction immédiate de la Première ministre polonaise qui, aussitôt les attentats de Bruxelles, a déclaré que Varsovie ne respecterait plus les décisions européennes concernant… la relocalisation de réfugiés. « Les efforts nationaux, comme la coordination bilatérale comme celle en cours entre la France et la Belgique, reste la base pour les politiques de contre-terrorisme des Etats membres de l’UE, tranche le diplomate français Simond de Galbert, aujourd’hui expert au Center for Strategic and International Studies (Washington). Le partage du renseignement sera toujours plus facile sur une base bilatérale ». [scald=851345:sdl_editor_representation] Dès lors, la lutte contre le terrorisme pâtit d’un manque de circulation des renseignements entre Européens. L’« affaire El Bakraoui », arrêté en Turquie, expulsé vers les Pays-Bas, puis reparti vers la Belgique, malgré des mises en garde du FBI, pose question. En octobre dernier, après l’attaque déjouée à bord d’un Thalys en août, le coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme depuis bientôt dix ans, le Belge Gilles de Kerchove, relevait dans un rapport au Conseil que « l’échange d’informations entre les services répressifs et les services de sécurité s’est avéré problématique ». L’assaillant avait effectué de nombreux déplacements en Europe, pris un vol pour la Turquie avant de revenir par la « route des Balkans », avait acheté des armes à Bruxelles et « visionné des prêches sur internet avant de passer à l’acte »… Mais si la lutte anti-terroriste ne relève pas de la compétence propre de l’Europe, l’UE tente cependant de mettre de l’huile dans les rouages. En favorisant davantage de coopération entre les Etats membres, comme l’existence même d’un « M. antiterrorisme » l’atteste. Gilles de Kerchove indiquait même devant le Parlement européen, après les derniers attentats de Paris, « qu’entre les Etats membres, il y a un flot important d’informations qui est échangé », même si « ça se passe en dehors du cadre institutionnel de l’Union européenne ». Les enquêtes actuelles étendent d’ailleurs leurs ramifications en Europe, avec des arrestations en France, en Italie, aux Pays-Bas, preuve la traque des terroristes n’est pas totalement cloisonnée. Et sous les coups de boutoir des djihadistes, des « progrès » ont été réalisés pour la mise en œuvre d’une batterie de mesures, additionnelles à celles des capitales, décidées au niveau de l’UE. Mais des« progrès supplémentaires urgents sont nécessaires pour l’échange d’informations et la sécurité des frontières », souligne Gilles de Kerchove dans son dernier rapport adressé au Conseil, le 4 mars. Les banques de données européennes (d’Europol, dans le Système d’information Schengen, notamment) sont ainsi davantage alimentées – mais elles sont encore loin de contenir les noms des 5.000 citoyens européens supposés avoir rejoint les rangs de Daesh. Et 90 % des identités consignées ont été fournies par seulement 5 des 28 Etats membres de l’UE. [scald=851346:sdl_editor_representation] Le rapport pointe encore une « priorité » : l’interopérabilité de ces différentes bases de données pour les contrôles de sécurité menés aux frontières ou par les forces de l’ordre. Mais voilà qui soulève d’épineuses questions techniques et légales, pour garantir la protection de la vie privée. Et« la prolifération des banques de données devrait être rationalisée », ajoute Simond de Galbert. Le partage des données des passagers aériens (le fameux « PNR ») est également au programme, mais toujours pas voté au Parlement européen (c’est désormais prévu pour le 21 avril). Enfin, un Centre européen contre le terrorisme installé chez Europol (La Haye) est opérationnel depuis le 1er janvier. « Cela doit devenir le centre nerveux de notre stratégie anti-terroriste », plaide Avramopoulos. Mais la Commission regrette que les Etats membres ne fournissent pas suffisamment de moyens à ce Centre, tant en personnel (une vingtaine d’experts !) qu’en… informations à partager. « Ceux qui ne font rien seront tenus pour responsables », a déjà averti le commissaire européen.

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