L’apprentissage du monde des adultes selon Téchiné

André Téchiné était en février dernier à La Berlinale afin de présenter son lumineux Quand on a 17 ans en compétition officielle. A 73 ans, le réalisateur de J’embrasse pas et de Les temps qui changent démontre à travers son dernier film qu’il est toujours animé par cette rare fraîcheur et cette notion de plaisir, palpable à l’écran. [scald=852138:sdl_editor_representation] Pourquoi un film au rythme des saisons ? C’est la division chronologique la plus simple, la division de l’année scolaire. L’école, l’instruction, l’éducation prennent beaucoup de place et ça nous paraissait la structure et la construction la plus droite. Il nous semblait que parallèlement à l’éducation, à l’instruction scolaire, on pouvait assister à une autre forme d’apprentissage. Un apprentissage du monde des adultes. Pourquoi tourner dans la France rurale ? Je tenais beaucoup à ce que le film se déroule dans une partie de la France qui n’est pas souvent montrée ni regardée par le cinéma. Ça m’intéressait de mettre justement des sons, des images, des personnages dans une zone délaissée, oubliée et déshéritée. Pour moi, c’était essentiel comme ancrage social. Après, il y a la montagne mais c’est autre chose la montagne. C’est plus poétique, on va dire. Mon idée, que je partage avec Céline, c’était de donner à ces vies de la France profonde toute leur grandeur. Dans vos derniers films, vous vous êtes un peu éloigné de l’adolescence. Est-ce que c’est la rencontre avec Céline Sciamma qui vous a donné envie de retourner à une période de l’existence qui vous est chère ? C’est une question très vaste la question de l’adolescence et du cinéma. Tout le monde sait que les premières fois sont toujours cinématographiques. Et comme l’adolescence, c’est le moment des premières fois… Il y a une excitation que connaissent tous les cinéastes. Il y a aussi le fait, d’une façon plus personnelle avec l’âge, que le cinéma me permet de prolonger la jeunesse. C’est un pont que je peux essayer de construire avec les nouvelles générations. Et même dans le cas des acteurs que j’ai choisis, de les faire naître à l’écran. Ce qui est pour moi quelque chose de très émouvant. Il y a aussi la dimension de l’adolescence par rapport à l’apprentissage du monde des adultes et par rapport au fait qu’elle se rattache encore à l’enfance. Dans le film, et ça évidemment, la montagne le visualise, il y a encore tous les maléfices et tous les sortilèges dont les adolescents ne sont pas encore sortis. C’est ce mouvement entre l’enfance qu’on doit perdre et le monde d’adultes auquel on doit accéder. C’est un mouvement que je trouve profondément riche pour le cinéma et que j’ai envie d’épouser. Mais d’épouser d’une façon très physique. [scald=852137:sdl_editor_representation] François Truffaut était relativement jeune quand il a tourné « Les 400 coups ». Quel est votre secret pour capter avec autant de fraîcheur l’adolescence à travers « Quand on a 17 ans » ? Même si Truffaut s’en défend, Les 400 coups reste quand même largement autobiographique. Ici, c’est une fiction entièrement construite dans cette montagne magique et, en même temps, dans cette réalité du monde d’aujourd’hui. J’ai choisi les acteurs comme on peut choisir un couple. Pas un couple au sens sexuel mais un couple au sens réactif. C’est-à-dire qu’il fallait qu’il y ait une grande électricité entre eux. De façon à ce que la caméra puisse enregistrer le suspense de la relation. C’est ça qu’ils ont incarné tous les deux par le contraste qu’ils produisaient. Mais c’est un contraste comme les grands couples comiques comme Laurel et Hardy ou comme quand on choisit deux acteurs dont les vibrations vont pouvoir être enregistrées par la caméra et donner du spectacle et de l’intensité. Le mari du personnage de Sandrine Kimberlain est pilote d’hélicoptère dans l’armée française. Il renvoie forcément à la période anxiogène que l’on vit aujourd’hui. Ce n’est pas le fruit du hasard… Bien sûr que c’est tout à fait délibéré de mettre en relation les conflits puérils des deux garçons avec la véritable guerre du monde adulte, avec la mort et l’expérience du deuil. On sort de la rêverie adolescente et on est tout à coup confronté à la violence du monde adulte. La scène de sexe entre les deux comédiens est magnifique. Comment l’avez-vous travaillée en amont ? J’ai eu beaucoup de chance parce que les acteurs n’étaient pas trop pudiques. Donc les difficultés ou les inhibitions ne venaient pas des effets de pudeur. En revanche, c’était les postures de l’homosexualité, les postures érotiques de savoir qui allait jouer le rôle du passif et qui allait jouer le rôle de l’actif, qui étaient sensibles. Ce schéma dominant les paralysait tous les deux. Par rapport à ça, j’ai délibérément décidé qu’à tour de rôle, l’un prendrait l’autre et l’autre serait pris par l’un. À partir de là, ils avaient à accomplir les mêmes gestes et donc les postures érotiques étaient les mêmes. Chacun pouvait se les approprier avec son propre corps et avec ses propres fantasmes parce qu’il s’agit quand même de faire en sorte qu’il y ait une espèce de court-circuit pour retrouver des pulsions. [scald=852140:sdl_editor_representation]

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