Schepmans (Molenbeek) et Ghyssels (Forest) au «Soir»: «Il y a une joie de vivre qui a disparu chez nous»

Salah Abdeslam a été arrêté à Molenbeek, après s’être planqué à Forest. Les deux communes partageaient déjà, avec les cinq autres du croissant pauvre bruxellois, des indicateurs socio-économiques dégradés. Les voilà désormais, comme Schaerbeek, associées au terrorisme. [scald=853604:sdl_editor_representation] De quoi bouleverser la vie des citoyens, et du premier d’entre eux, le bourgmestre. Nous avons convié Françoise Schepmans (MR, Molenbeek) et Marc-Jean Ghyssels (PS, Forest) ce mercredi, à la rédaction du Soir pour en parler. Comment avez-vous vécu les quinze derniers jours ? Françoise Schepmans : Depuis les attentats de Paris, je vis dans l’immédiateté. Il faut assurer la paix publique, répondre aux médias, être présent sur plusieurs fronts. Cela prend beaucoup d’énergie mais c’est essentiel. Marc-Jean Ghyssels : Je commence à récupérer, cela a été assez dur au départ. Mais bon, cet « assez dur » n’est rien par rapport aux souffrances d’une série de gens. [scald=853605:sdl_editor_representation] Comment réagissent les habitants de votre commune ? F.S. Il y a eu un sentiment de tristesse par rapport aux attentats, parce que les terroristes viennent de la commune et que les Molenbeekois sont pointés du doigt. Il y a une inquiétude par rapport au regard qui est porté sur la commune. La crainte, c’est que Molenbeek devienne un label, comme on parle du Bronx. C’est un label qui peut être difficile à porter par les habitants. M-J. G. Chez nous, il y a un certain fatalisme de la part des habitants, une certaine surprise, aussi, ils ne s’y attendaient pas. Aujourd’hui, à Forest, on sent une chape de plomb. Il y a une joie de vivre qui a disparu : les gens vont au marché mais ils sourient moins, il y a un stress un peu permanent. Je pense que tout le monde se demande quelle est la fois suivante. Vous aviez le sentiment que c’était inéluctable ? Vous étiez préparés à ça ? F.S. J’ai toujours espéré que ça n’arrive pas. M-J. G. Moi j’avais le sentiment que ça allait se produire mais pas sous cette forme-là. Je pensais plutôt au commando des terrasses, à la belle maison, c’aurait été assez facile. Pourquoi ? M-J. G. Je suis conscient qu’il y a des kalachnikovs qui traînent un peu partout dans les caves. F.S. Pas partout ! M-J. G. Non mais il y en a quand même qui circulent, qui s’achetaient au marché noir assez facilement, même si on me dit que les prix augmentent. Un type sur un scooter avec une kalachnikov, ce n’est pas aussi construit que ce qu’on a vécu. J’ai donc été surpris par l’ampleur et la construction des attentats. Et je ne partage pas l’optimisme de Françoise. F.S. Ce n’est pas de l’optimisme, c’est la volonté d’y croire. M-J. G. On a tous la même volonté mais on vit dans la réalité. A la conférence des bourgmestres, beaucoup partagent ce sentiment que ça allait arriver. C’est pour ça que des mesures de sécurité doivent être prises. Je préférerais investir dans autre chose mais c’est un mal nécessaire. Et pour l’instant, on souffre d’un manque de moyens. F. S. On veut tous que l’inéluctable n’arrive pas. Pour moi, il y a des réseaux actifs à Bruxelles et dans d’autres villes. C’est un phénomène qui touche toute l’Europe. Ces réseaux, il faut les démanteler. L’exemple d’Abaaoud et des Abdeslam est significatif du danger de ces types qui sont devenus, en quelques mois, des voyous, puis des délinquants, puis des radicaux violents puis des terroristes. Contre cela, c’est surtout le fédéral qui doit agir avec la Sûreté, la Justice, les services de renseignements… Ces terroristes ont grandi en Belgique. Comment a-t-on pu en arriver là ? F.S. Le fondamentalisme a pris racine, notamment à Molenbeek, dans les années nonante. On a constaté alors une affirmation identitaire et culturelle qui est devenue, après le 11 septembre, un repli communautaire et religieux, de plus en plus affirmé. On l’a vu dans l’espace public notamment, un discours fondamentaliste s’est répandu et a été banalisé par certains, on ne s’est pas rendu compte de la dangerosité des messages portés dans certains lieux. Voilà pour l’aspect religieux. Et puis, il y a l’intégration. Dans les années 90, il y avait un tissu social qui permettait d’encadrer les nouveaux arrivants mais il n’y avait pas de volonté d’émancipation par la formation, l’éducation. Tant les responsables politiques que les acteurs culturels, sociaux et économiques ont raté des politiques de participation des nouveaux arrivants. Chez certains, il y a eu un déni, d’autres ont considéré que, comme pour les autres immigrations, les choses se feraient naturellement. [scald=853660:sdl_editor_representation] M-J. G. Le problème n’est pas bruxellois ni belge. Il touche bien plus que le monde occidental. Il y a plusieurs facteurs : le socio-économique, la banalisation de la violence, de la mort. Il y a des gens qui s’emmerdent profondément, et on ne leur donne pas de perspective d’avenir. J’ai cette difficulté dans mes quartiers : il y a cinq ou dix ans, je pouvais avoir un contact avec des jeunes qui tenaient le mur. Aujourd’hui, c’est plus difficile, je n’ai pas de prise, je n’ai plus de crédit. Les mosquées n’ont plus le contact avec les jeunes non plus, il n’y a même plus de respect pour l’imam. Certains jeunes, plutôt que de rester au stade de la violence dans le jeu vidéo, se font vider la tête par des prédicateurs, par des SMS, par Internet. Et puis c’est la démesure totale. Toutes les planques des terroristes se situent dans le croissant pauvre. M-J. G. Ils ont le même problème en France. La seule différence, c’est que, chez eux, ça se passe en périphérie alors que, chez nous, c’est au cœur de la ville. Heureusement, chez nous, contrairement aux banlieues françaises, il y a encore du passage dans ces quartiers : on y passe tous en voiture, à pied, en métro. On continue donc à avoir un lien. Ça, c’est le côté optimiste sur Bruxelles. Et on se cache plus facilement dans ces quartiers parce qu’il y a une plus grande densité de population, un habitat très concentré, des loyers bon marché, le contrôle social est peut-être plus difficile. Mais on peut aussi tomber sur une planque à Knokke-Le Zoute ! F.S. Il y a plusieurs facteurs : une grande densité de population, des grandes familles et des petits appartements, une population très jeune, beaucoup de sans-emploi. Et il y a peu de contrôle social là où la communauté marocaine vit en nombre : elle est moins structurée que d’autres, comme la communauté turque. L’interlocuteur est aussi plus souvent religieux qu’associatif. Mais moi, je ne peux pas accepter qu’on dise que la précarité est un facteur de radicalisation, certainement pas de radicalisation violente. Le réseau molenbeekois, c’étaient des jeunes issus de la petite classe moyenne, qui n’avaient pas de difficulté. En revanche, il y avait souvent une rupture familiale ou scolaire. [scald=853603:sdl_editor_representation]

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