Bruno Venanzi: «En Wallonie, la réussite est souvent jalousée»

Où étiez-vous le jour des attentats ? J’étais chez moi en train de faire ma revue de la presse, comme tous les matins. En zappant, sur une chaîne d’info, j’ai d’abord vu qu’il y avait peut-être eu une explosion ou un attentat à Zaventem puis un autre dans le métro. Qu’est-ce que vous vous êtes dit ? Que ça devait bien arriver un jour ? Egoïstement, je me suis d’abord demandé s’il n’y avait pas de victimes chez nous comme il y en avait eu une lors des attentats de Paris. Ce qui nous avait beaucoup marqués. Pour le reste, on savait qu’il y avait des risques puisque nous avions été avertis pour l’organisation de matchs de football depuis les attentats de Paris. On travaille beaucoup sur les aspects sécuritaires avec le bourgmestre de Liège. Il y a toujours des risques que quelqu’un meure, mais quand ça arrive on ne s’y attend jamais et c’est toujours l’effarement. Aucun terroriste ne vient de Liège, parce que l’intégration se fait autrement qu’à Bruxelles ? Il ne faut pas fanfaronner parce que ce n’est pas le cas. Mais il y a peut-être des raisons ? Sur le fond peut-être, mais il y a peut-être aussi des circonstances particulières. Il y a eu Verviers quand même… Mais je pense qu’il ne faut pas se réjouir de ce genre de choses. Il faut plutôt voir ce qu’on peut faire pour continuer à prévenir ce genre de risques. Et travailler sur le fond en termes d’intégration. Il y a des risques partout. Je ne vais pas faire trop de parallèles avec le monde du football, mais le mieux c’est de toujours en amont. Parmi les supporters du Standard, il y a le noyau dur des Ultras. Ils se déclarent ouvertement antiracistes et antifascistes. C’est important. Si ça pouvait être fait ailleurs, ce serait pas mal. C’est là-dessus qu’il faut travailler même si je ne crois pas que c’est ça qui va empêcher le terrorisme. Je suis moi-même fils d’immigré, venant d’une génération qui a peut-être connu une intégration plus facile que celles qui ont suivi. C’est en luttant contre tous les extrémismes qu’on pourra faire davantage de prévention. Je crains que nous devions encore vivre quelques années avec des craintes d’attentats comme certains pays y sont déjà confrontés. Des choses doivent changer en Belgique ? On a toujours du mal à dire la responsabilité, en Belgique comme ailleurs. Les différents de pouvoir en Belgique n’arrangent rien. C’est malheureusement un réflexe humain de dire : « C’est pas moi, c’est l’autre ». Cela dit, plus il y a de niveaux de pouvoir, plus il y a des décisions fragmentées. Et plus on a difficultés à établir des responsabilités. Qui prend les décisions, qui en assume les responsabilités ? Qui est coupable en cas de problème ? C’est facile de pointer une personne du doigt. C’est facile de dire après que c’est la faute du service francophone bruxellois qui n’a pas traduit et envoyé une note à temps à son équivalent néerlandophone. Ou qu’untel n’avait pas l’autorisation pour recevoir des alertes sur son smartphone après 17 h… C’est ce qu’on entend souvent. Et si on n’arrive pas à améliorer les choses, il faut en tirer les conclusions. Comme avec BeAlert qui n’a pas fonctionné. Plusieurs patrons flamands ont dit que la Belgique était trop compliquée. On n’entend pas les patrons wallons… Sur le fond, les remarques de Christian Van Thillo sont correctes et pertinentes. Il faut trouver ce qui ne fonctionne pas, accepter les erreurs et mettre des choses en œuvre pour que cela change. En tant que patron d’entreprise aussi, vous trouvez qu’il y a des choses à simplifier ? Bien sûr. Prenons le cas du marché de l’énergie que je connais bien. C’est extrêmement compliqué dans un tout petit pays comme la Belgique où ce marché est régionalisé. Un électron ne connaît pas les frontières, mais il n’est plus tout à fait le même en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Pourquoi ? Parce que la législation est différente. Pour pouvoir vendre dans tout le pays, il faut trois licences différentes. Quand nous avons demandé nos licences en 2005, ils ne savaient pas ce qu’ils devaient nous donner comme réponse. Les trois régulateurs régionaux (il y a aussi un fédéral en plus, la Creg !) se sont réunis pour savoir quelle suite ils allaient réserver à Lampiris. Pourquoi régionaliser s’il faut réunir les trois opérateurs pour se décider ? Certaines choses sont régionalisées au niveau de l’énergie, d’autres pas… Ce qui donne quatre niveaux de pouvoir. La libéralisation OK, mais quelle complexité en Belgique ! Je ne suis pas contre la régionalisation si elle est synonyme de simplification, pour les entreprises et pour les citoyens. Au niveau wallon, ça se passe mieux qu’avant ? Oui, mais est-ce que ça passe mieux parce qu’on connaît mieux les personnes dans les administrations ? Ou parce qu’on connaît mieux les rouages administratifs ? Je ne sais pas. L’envie de progresser, elle est là, on la sent au niveau politique et au niveau du monde de l’entreprenariat. Je suis aussi président du réseau Wallonie entreprendre qui aide les jeunes entrepreneurs par parrainage. Nous recevons de plus en plus de demandes. La dynamique est bonne. Elle est stimulée en partie par des aides gouvernementales. Je sens une envie de progresser. Maintenant, cette envie n’est pas toujours suffisamment structurée. Les plans Marshall ? Les pôles de compétitivité ? C’est une bonne idée et pertinent. Il y a même des entrepreneurs flamands qui aident ces pôles de compétitivité à se mettre en place. La dynamique est bonne. Le problème, c’est que les résultats doivent être mesurés sur du moyen et long terme. Or, le monde politique préfère des résultats à court terme. Ce qui est regrettable et c’est un problème de notre démocratie aujourd’hui. Quand il y a trop d’élections à différents niveaux de pouvoir, ce n’est pas bon. C’est un peu plus calme ces deux dernières années heureusement. Si vous étiez ministre-président wallon, quelle serait votre première décision ? Pour le monde de l’entreprise, ce serait de faciliter l’entreprenariat et d’arrêter de stigmatiser l’entrepreneur. Il y a une grosse différence d’image à ce niveau entre la Wallonie et la Flandre. Un entrepreneur qui a créé son entreprise est bien vu en Flandre ; en Wallonie ce n’est pas encore le cas. Les réussites sont souvent jalousées alors qu’elles devraient être mises en avant. Il y a toujours cette connotation négative même si ça change un petit peu dans le bon sens ces derniers temps. Or, le moyen le plus facile de créer de l’emploi, c’est de créer des entrepreneurs. Bref, si j’étais ministre-président je ferais en sorte de mieux soutenir le monde de l’entreprenariat ; notamment la simplification administrative. Le projet de tram à Liège, par exemple ? Voilà un projet indispensable pour la mobilité et les problèmes de pollution à Liège. Un très beau projet de transport en commun entre Sclessin et Coronmeuse. On a la possibilité de le faire avec un projet mobilisateur et sur lequel tout le monde est d’accord au niveau politique et économique. Les démarches sont entreprises, mais manifestement les dossiers n’ont pas été traités correctement puisqu’ils ont été refusés plusieurs fois par l’Union européenne. Le chantier de préparation a commencé sans savoir exactement où on allait. Et puis, on fait marche arrière. Plusieurs entrepreneurs étaient prêts et avaient engagé des gens pour ce chantier. Des appels d’offres ont été lancés. Et d’un coup on leur dit qu’on va devoir recommencer les procédures. Des dédommagements sont prévus, mais franchement c’est tout de même regrettable de ne pas avoir su gérer correctement un tel dossier dès le départ ! A qui la faute ? Je n’en sais rien. Ce que je sais c’est qu’au lieu d’avoir des trams en 2018, il n’y en aura pas avant 2022. C’est-à-dire quatre ans de pollution supplémentaire, quatre ans de travaux en plus, etc. Les forces vives liégeoises, un panier de crabes ? Quand on regarde Liège il y a vingt ans et Liège aujourd’hui, l’évolution est très positive. On peut toujours regretter que ça n’aille pas plus vite, mais les infrastructures sont meilleures et c’est une ville dynamique avec un opéra, des clubs de football – surtout un –, des festivals de musique, des salles de concert, etc. La qualité et la propreté du centre-ville se sont nettement améliorées. Trente pour cent des abonnés de l’opéra sont néerlandophones. Au Standard, c’est 28 %. Le marché de la Batte attire beaucoup d’étrangers. Tout cela est positif. Quand je vois Maastricht, je me dis qu’on peut encore améliorer pas mal de choses. Au niveau politique, vous vous situez où ? Je n’ai pas de carte de parti. Pour l’entreprenariat, je suis plutôt libéral. Pour le côté environnemental, j’ai des idées plutôt écologistes et pour tout ce qui est mixité sociale et intégration, je serais plutôt socialiste. J’aime bien pêcher un peu partout. Difficile de faire sans les socialistes à Liège… Contrairement à ce qu’on croit, beaucoup de politiciens – même s’ils ne l’affirment pas toujours – arrivent à sortir de leurs idées politiques de base. Il y a moyen d’avoir des conversations avancées sur l’entreprenariat avec des socialistes. Il y a souvent une différence entre la politique de façade et celle de terrain. C’est ce que j’ai appris ces dernières années. Comme avec l’impôt sur la fortune ? Je ne suis pas nécessairement contre, pour autant qu’il ne soit pas excessif, n’incite pas tous les entrepreneurs à changer de pays, qu’il soit proportionnel et que l’argent soit utilisé correctement. La guerre des bassins entre Charleroi et Liège, ça existe toujours ? Il n’y aura jamais de fusion entre les deux clubs de foot comme il y a en a eu une entre Cockerill et Sambre, mais il y a encore une rivalité à différents niveaux. Si cette rivalité permet un nivellement par le haut, je suis à 200 % pour. Lors de matchs entre les deux clubs, les deux stades sont remplis et l’ambiance est électrique. Pour autant que le foot reste une fête, c’est positif. Si c’est pour se retrouver tous les deux en PO2, nous sommes tous les deux perdants.

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