Vendée Globe, le tour du monde des extrêmes

On l’appelle l’« Everest des mers ». Mais comme le fait remarquer Samantha Davies, l’une des six navigatrices qui seront au départ du Vendée Globe dimanche aux Sables d’Olonne, « combien de milliers sont-ils à avoir déjà escaladé cette montagne mythique de l’Himalaya ? » L’an dernier, 885 en ont atteint le sommet, répond la statistique. Et quelques milliers d’autres l’ont approché sans y arriver. Dimanche, sur le coup de 13h02, ils seront 33 (un record) à partir à l’assaut de cette course au large mythique : un tour du monde sans escale et sans assistance que seuls avant eux, 167 marins ont affronté, et 89 seulement ont bouclé, au fil des huit premières éditions de cette épreuve née en 1989. « Le Vendée Globe, c’est le dépassement de soi poussé à l’extrême », rêvasse Jonas Gerckens (40 ans), l’un des (très) rares Belges à avoir fait de la course au large son métier. « Être au départ est déjà une victoire pour ces marins qui vont probablement être confrontés à “une emmerde par jour”, comme le résume si bien Michel Desjoyeaux, le seul à avoir gagné deux fois l’épreuve (en 2001 et 2009). Mais cette circumnavigation a consacré pratiquement autant de rescapés que dénombré de victimes, car pour affronter le Vendée, il faut à la fois être un bon marin, un technicien hors pair, être infaillible en météo, avoir un mental en béton, et puis disposer du budget ! », conclut le Liégeois qui, devant cette dernière réalité, a donné priorité à la Route du Rhum 2022 et aux Jeux olympiques de Paris (2024) avant, un jour, de peut-être rejoindre cette course unique en son genre. En attendant, il nous décrypte les principales caractéristiques de cette 9e édition. 1 En solitaire, sans escale et sans assistance C’est la signature de cette épreuve, unique au monde, et qui n’a lieu que tous les 4 ans. « Quatre ans, c’est comme une préparation olympique : il faut découvrir son bateau, s’entraîner, l’aménager comme on veut, etc. », dit Jonas Gerckens. « Durant cette préparation, l’objectif essentiel est de trouver les bonnes moyennes. Alors que le record de durée est battu presque à chaque édition (NDLR : des 109 jours de Titouan Lamazou en 1989-90, aux… 74 jours d’Armel Le Cléac’h il y a 4 ans), et même si l’on prévoit désormais un tour du monde bouclé en 70 jours, il faut rappeler que c’est une course avant d’être une chasse au record ! Et pour ça, il ne faut pas oublier que “Pour finir 1er, il faut d’abord finir !”, comme disent les Anglais. En voile, il faut rester humble, et se souvenir où on se trouve. Aussi, les marins doivent parfois se faire violence et ralentir volontairement leur bateau pour le ménager. » 2 Record de participation et 6 femmes au départ De 13 lors de la première édition, le nombre de participants est passé à 33 cette année – un record. Et alors que 8 femmes seulement avaient été dénombrées au gré des huit premières éditions (sur 167 concurrents en tout), il y en a 6 au départ cette fois-ci . « Les filles commencent à sortir du bois, et c’est très bien ainsi ! Car si le physique est important, le mental reste primordial dans ce type d’épreuve. Et là les filles n’ont rien à envier aux mecs, que du contraire ! » 3 Les foils et la technique Outre des pilotes automatiques de plus en plus performants, ainsi que des « postes de pilotage » de plus en plus développés pour le confort et la performance du navigateur, la grande évolution technique des meilleurs bateaux engagés dans ce Vendée Globe est bien sûr constitué par les « foils » : ces sortes d’ailes d’avion de 3 mètres d’envergure environ qui, déployées de part et d’autre du bateau permettent à celui-ci de moins gîter (pencher à gauche ou à droite) et, avec la vitesse, de les hisser hors de l’eau. « Le potentiel de cette nouveauté est énorme, mais il va falloir voir sa fiabilité. Huit des dix-neuf bateaux équipés de foils ont été construits “autour de ceux-ci”, tandis que les autres ont été ajoutés aux bateaux existants. Pour comprendre l’effet des foils, il suffit de comparer le chrono que l’on peut faire sur 100 mètres… à la nage ou à pied ! Moins le bateau subit le frottement de l’eau, plus vite il va. Quand le potentiel du foil est à son maximum, il peut ne rester que 3 ou 4 m² de la coque du bateau dans l’eau ! » 4 Les chocs et la vie à bord Conséquence inévitable à la vitesse que vont atteindre les principaux concurrents de ce Vendée Globe, « la bobologie liée aux situations extrêmes va monter en flèche ! », prévient Jonas Gerckens. « Je pense que les skippers vont souvent se retrouver à 4 pattes dans leur cabine. Ils devront se protéger constamment. Les atterrissages vont être ultra-violents chaque fois que les foils décrocheront et que la coque retombera dans l’eau brutalement. Dans certaines situations extrêmes, ils vont passer de 50-55 à 10 km/h, et de 1, 2 ou 3 mètres de haut à zéro en une seconde ! Et surtout, ils ne l’auront pas senti venir. Quand l’avant du bateau prend une grosse vague, on le sent et on anticipe le mouvement suivant. Mais ici, pas ! A Lorient, j’ai croisé pas mal d’équipes qui revenaient d’entraînements de 48 heures, et les gars étaient sur les rotules. Comment vont-ils ou vont-elles tenir sur un si long moment ? Ce sera une des clefs de cette course. Et plus que jamais, le sommeil et la gestion mentale seront déterminants. Si on perd de la lucidité sur ces bateaux-là, ça peut vite tourner à la catastrophe. C’est pour ça que le travail avec des coachs mentaux s’est fortement développé ces derniers temps. Au même titre que la sophrologie ou la méditation, voire l’hypnose qui sont devenues des techniques aussi importantes que celles nécessaires à la réparation du bateau, à la gestion de l’électronique, ou à l’interprétation des fichiers météo. De même, chaque manœuvre devra être bien préparée et répétée. Personnellement, mais je ne suis pas le seul à le faire, je travaille beaucoup avec la technique de la visualisation, comme les pilotes de bobsleigh ou les skieurs. On répète tout dans la cabine, pour ensuite monter sur le pont et exécuter la manœuvre le plus rapidement possible, avec le moins d’erreurs possible. » 5 « Plus rapides que les dépressions ! » Comme le dit Jonas Gerckens, « le Vendée Globe, c’est un jeu d’échecs à l’échelle mondiale, avec les choix météo qui feront la différence ». Pour ceux-ci, une nouvelle donne est entrée en ligne de compte en marge de l’émergence des bateaux à foils qui – c’est une image – avancent aussi vite que les nuages ! « Assez vite en tout cas pour bénéficier plus longuement d’une fenêtre météo favorable. Les skippers vont avoir un choix de placement météo beaucoup plus ouvert qu’avant. Et ça tombe bien car ces analyses météo de plus en plus précises leur donnent des informations très claires sur l’état de la mer. Or, plus la mer est plate, plus les foilers foncent. » « À l’inverse, si la mer est trop formée, les skippers ne peuvent plus tirer toute la quintessence de leur bateau. Mais surtout : la vitesse est telle maintenant, qu’ils peuvent rester plus longtemps dans un système météo favorable. En profitant, par exemple, d’un anticyclone qui leur donne une mer plate, tout en bénéficiant du vent de la dépression qui arrive derrière… sans jamais se faire rattraper par celle-ci ! C’est bien sûr un scénario particulièrement idéal, mais qu’on peut rencontrer quelques fois sur la durée d’un Vendée Globe. »

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