Numéro collector: le premier confinement vu par Kroll
Avec la complicité de Kroll, le covid a fait des Belges des personnages de la comédie humaine. Un numéro collector du « Soir » les met en scène dans onze planches de bande dessinée.



Les lecteurs se demandaient quand les planches de Kroll sur la pandémie et le confinement, publiées au printemps dans Le Soir, seraient enfin réunies. C’est chose faite avec un numéro collector, disponible dès ce mardi en librairie, sous forme d’une bande dessinée à déplier, dont les images rieuses décryptent le sens et le nonsense de nos vies.
En se replongeant dans vos dessins du premier confinement, on prend mieux la mesure de l’absurde drôlerie de la réalité.
J’ai dessiné la première planche de cette série en me demandant ce qu’on allait bien pouvoir faire pendant les jours de confinement et sans penser que j’en dessinerais d’autres par la suite. Ce n’était pas prémédité. Avec le recul, certaines de mes visions sonnent très vrai, d’autres un peu moins. La planche sur la nature et les animaux est particulièrement réaliste. Evidemment, je n’ai pas été observer les pratiques amoureuses des rhinocéros et je n’ai pas vu de chamois faire du ski, mais pour la plupart des images, je suis parti de faits réels.
Cette crise sanitaire a mis notre nature profonde à nu ?
J’ai tout de suite pensé que le confinement révélerait les caractères profonds de nos semblables et, là-dessus, je pense que je ne me suis absolument pas trompé ! J’ai un peu grossi les choses, ici et là, mais c’est à peine exagéré. Je me suis d’ailleurs souvent inspiré de gens que je connaissais comme pour l’hystérique, qui se voyait déjà emportée par le virus au troisième jour du confinement… ou cette maman partie donner des cours à l’école et dont les élèves devaient corriger les fautes.
Le premier confinement a connu des moments de folie collective, à l’image de la ruée sur le papier toilette.
Le côté intéressant de ces planches, c’est de conserver une trace de ce premier confinement et de pouvoir observer les différents comportements induits dans la population. Les caddies remplis de papier toilette en sont un. Je crois que les gens en ont encore assez en stock pour terminer l’année. Du coup ce phénomène d’achat massif ne s’est plus reproduit lors du second confinement. En termes d’obéissance, on a aussi vu des différences. Ceux qui s’étaient mis à la peinture, aux échecs, au yoga… n’ont pas forcément recommencé. A l’étonnement du premier confinement a succédé, c’est en tout cas l’impression que j’ai, une espèce d’ennui généralisé lors du second. Comme si tout le monde ne trouvait plus rien d’autre à faire que de regarder Netflix…
Vous avez aussi fait le portrait de gens formidables : des infirmières, des médecins, des caissières…
Je les ai dessinés sans aucune arrière-pensée démagogique. Le regard avait vraiment changé sur ces métiers, dont on semblait négliger jusque-là l’importance. On avait oublié que l’infirmière nous accompagne tout au long de la vie. Elle est là à la naissance et pour notre mort, même si ce n’est, en général, pas la même… Depuis, les choses ont à nouveau évolué. Le niveau de solidarité et de compassion a baissé. Certains sont redevenus les indifférents qu’ils n’avaient sans doute pas cessé d’être. Il y a aussi beaucoup plus de personnes testées positives et l’impression d’extrême gravité de la première vague de l’épidémie n’est plus pareille.
Votre planche sur les vacances est un véritable vade-mecum des règles de distanciation et de port du masque. On aurait dû vous prendre plus au sérieux pour prévenir la seconde vague ?
Je n’ai pas imaginé cette planche pour dire ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. C’était un simple exercice de style avec des conseils indirects. Je me suis même permis d’inventer le masque à la noix de coco ! Mais j’ai largement repris ce qui se disait partout à propos des précautions à prendre en vacances. Finalement, je n’ai pas dû inventer grand-chose, sinon peut-être l’avion de cent mètres de long. Mais, je vous l’accorde, il faudrait plus souvent me prendre au sérieux !
Vous suggériez aussi de se remettre à la lecture de Tintin. Moulinsart vous a entendu en publiant une nouvelle version de « Tintin en Amérique » en couleur, lors du second confinement ?
Cette suggestion figurait dans la première planche, celle du week-end sous confinement. C’est la matrice de toutes les autres. Elle peut fonctionner parfaitement pour tous les types de confinement, qu’il dure deux jours ou deux mois. Et Moulinsart l’a peut-être lue dans Le Soir, puisque ça leur a donné l’idée de sortir un nouveau Tintin en couleurs six mois plus tard !
Entre un premier confinement à Pâques et un second à la Toussaint, vous n’avez pas eu envie de dessiner une suite ?
Quand on a reconfiné à la Toussaint, au fond de moi-même, j’ai tout de suite rejeté la possibilité de recommencer. Evidemment, il restait des sujets profonds à aborder, comme tout ce qui touche au monde du spectacle, par exemple. Par contre, je n’avais aucune envie de traiter de la maladie et certainement pas de la fête des morts. Ce n’est pas mon truc, je laisse ça à Marc Hardy, l’auteur de la série de bande dessinée de Pierre Tombal. Je pense que le second confinement est moins inspirant. L’état d’esprit n’est plus le même. Le côté « première fois », le sentiment de peur généralisée n’est plus là. Ou alors, il aurait fallu jouer sur la dimension du reconfinement. Là, on aurait peut-être pu imaginer des gags dans l’esprit de celui que j’ai fait sur cette vieille dame, qui se sauve de sa maison de retraite, en nouant des draps par la fenêtre et en criant : « Si on se reconfine, je me casse ! »
Le thème des métiers est une source d’inspiration inépuisable en ces temps de pandémie ?
Le confinement nous fait découvrir chaque jour des professions dont on ne connaissait pas l’existence ni les contraintes, ou dont on ne peut pas parler, comme la prostitution. Il y a des métiers où l’on a tout perdu d’un coup. Je connais un régisseur de spectacle. Il avait trois prestations par jour pour le théâtre et il s’est retrouvé sans rien. Ou un comédien qui commençait à percer à Paris et qui a pris un boulot chez Brico. Aujourd’hui, il scie des planches pour payer son loyer. Par contre, les jardiniers ou les piscinistes sont débordés. Toutes ces situations sont révélatrices de la manière dont le confinement transforme nos vies, parfois jusqu’à l’absurde. En disant ça, je pense à Joann Sfar, l’auteur du Chat du Rabbin , qui faisait remarquer qu’en France, avec la fermeture des librairies et l’interdiction de vendre des livres dans les supermarchés pour ne pas leur faire de la concurrence déloyale, on en arrivait, de facto, à faire du livre un produit interdit ! Mais il y a aussi un volet plus positif dans cette crise, avec la création de nouveaux métiers…
Ces onze planches de bande dessinée vous ont fait voir le crayon avec un œil de sociologue ?
Je ne cherche pas à théoriser. Ma femme m’a demandé si elle devait porter le masque, si cela servait à quelque chose ou pas. Je lui ai expliqué le pari de Pascal. Il avait du mal à croire en Dieu. Il a réfléchi. Il s’est dit que ça ne coûtait pas grand-chose de faire comme si. Le masque, c’est un peu ça : mettez-le. Si ça ne sert à rien, vous n’aurez rien perdu, et si ça sert à quelque chose, vous serez gagnant. Par ailleurs, en pratiquant cet exercice particulier autour du confinement, je me suis autorisé des dessins qui ne faisaient rire que moi. Je veux dire par-là que j’ai commencé les planches sans savoir où j’irais. Je me suis follement amusé dans le dessin en partant, à chaque fois, d’une page blanche, et sans jamais revenir sur ce que j’avais composé.
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