Gus Van Sant signe une série pour Gucci

Des défilés virtuels ou sans public, des clips, des courts-métrages, des performances, de la danse, des vidéoconférences… Toutes les maisons de mode ont tenté de se réinventer depuis le début de la crise. Mais la plus inventive, celle qui a été le plus loin dans la reconversion, artistiquement et dans la durée, est probablement l’italienne Gucci. Il y a quelques semaines, on vous racontait comment elle avait choisi, pour l’illustration sonore de sa campagne internationale, une chanson flamande créée il y a 37 ans par le groupe Pas de Deux, Mani Meme. Cette fois, c’est une vraie mini-série de sept épisodes que signent le directeur artistique de la maison Alessandro Michele et le réalisateur américain Gus Van Sant. On retrouve dans cette Ouverture Of Something That Never Ended l’atmosphère trouble, pesante, hachée de My Own Private Idaho (1991) ou du terrifiant Elephant (Palme d’or à Cannes en 2003). Avec la même compréhension des fêlures de la jeunesse. Mais si les différents personnages de cette courte saga semblent partager avec les héros de Van Sant mille obsessions qui les cabossent, ici, le premier rôle, c’est le vêtement qui l’endosse. Magnifié par le cinéaste, en plans ultra-serrés, le style Gucci crève l’écran. Les chaussettes longues jusqu’au genou, les jupes de bourgeoise, les mocassins à glands qui claquent sur le pavé, les robes floues, les fourrures et les chapeaux, les manteaux de cour sur des garçons à boucle d’oreille unique, les tee-shirts imprimés « Aveugle par amour » : c’est une déclaration. A la maison, au café, à la poste Vendredi 13 novembre, Alessandro Michele présentait le GucciFest – le festival de mode animant son site internet, où est diffusée la mini-série – via une réunion Zoom. Il y racontait sa découverte de Gus Van Sant il y aura bientôt trente ans, avec son film My Own Private Idaho, dont certaines scènes ont d’ailleurs été tournées à Rome. Le créateur romain y révélait également son amour pour le cinéma, les blockbusters hollywoodiens, Anna Magnani et le néoréalisme italien, ayant grandi entre un père baba cool et une mère assistante de production à Cinecitta. Lui, il voulait être costumier. « Mais la mode est arrivée pour moi un peu par hasard, comme beaucoup de choses dans ma vie ». Ensemble, les deux hommes choisissent leur héroïne, l’Italienne Silvia Calderoni, actrice et activiste intersexe – on disait hermaphrodite autrefois, et plus tôt encore, un monstre. Ou souvent, on ne disait rien. On n’en parlait pas. Ici, on sublime sa silhouette maigre et accidentée, sa pâleur de marbre, et on la suit de sa chambre au café, à la poste, au théâtre, chez les voisins, à la friperie, jusqu’à cet ultime épisode, posté hier dimanche, dans une balade nocturne dans les rues de Rome, à pied, puis en Vespa, évidemment. Le tout premier volet de la série, dévoilé le 16 novembre et intitulé At home (« à la maison »), était un véritable écho à nos vies confinées. Dans l’intérieur d’un appartement haut de plafond, des colocataires se croisent : dans un long faux plan-séquence, une jeune femme en robe à fleurs, chaussettes blanches et béret traverse le vestibule pour aller se faire chauffer de l’eau dans la cuisine, s’arrête pour regarder par la fenêtre, passe dans la salle de bain, se brosse les dents, cède la place à l’androgyne Silvia qui vient de se réveiller, pendant que deux autres font de la musique dans la pièce d’à côté… Une robe de mousseline rouge lâchée du balcon dans l’air de la rue et qu’on croisera, comme un gimmick, dans chacun des épisodes suivants, est une métaphore de nos envies de liberté Des costumes fétiches Le tournage a duré un mois à peine. « J’ai travaillé un peu comme un apprenti sorcier, confie Alessandro Michele. J’ai découvert une nouvelle façon de travailler, comme rester immobile devant un moniteur. L’harmonie mais aussi toute la technicité du cinéma. » Il dit en être sorti « épuisé, mais heureux », notamment d’avoir pu instiller dans cette fiction « la poésie dont nous avons tous besoin en ce moment. » Poésie pure en effet, on vous aura prévenus : il n’y a ni début, ni fin, dans cette journée d’une fille ordinaire, mais terriblement bien sapée. Ni beaucoup de cohérence dans les conversations to-ta-le-ment décousues qu’elle tient avec ses amis, et les amis de ses amis, en Gucci sinon nus. Gus Van Sant se sent comme chez lui dans l’univers de la mode. Le réalisateur, amateur de défilés, aurait commencé pour Amazon Studios le tournage d’une comédie avec Will Ferrell, The Prince of Fashion, racontant la folle semaine d’un père et son fils de treize ans, passionné de mode, lors de la Fashion Week masculine à Paris. Vendredi dernier, via Zoom, il expliquait aimer l’idée que les costumes lui soient d’une certaine manière imposés : « C’est en accord avec ma démarche. Sur Elephant, par exemple, les acteurs portaient leurs propres vêtements. » Parfois même, ils en deviennent cultes. Dans Elephant, le tee-shirt jaune avec le taureau noir, porté par le jeune acteur non-professionnel John Robinson, s’est énormément vendu après la sortie du film. Il s’agit du taureau Osborne, une enseigne qu’on croise sur les autoroutes espagnoles pour la promotion du brandy Veterano. Malgré le changement de réglementation en Espagne sur les publicités pour l’alcool, les 91 taureaux d’Osborne sont restés à leur place, après qu’on leur a reconnu une importance artistique et culturelle. Et fashion. Ouverture Of Something That Never Ended, à voir sur www.guccifest.com/

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