Eva Bonnet, dans les grandes longueurs

Dimanche, dernier jour des championnats de France de natation disputés à Montpellier, Eva Bonnet n’a pas traîné dans l’Hérault. Une fois son 100 m libre bouclé, elle a vite repris la route vers Narbonne, à 100 km de là, pour retrouver ses pénates, son studio et sa piscine. Prête à repartir plus motivée que jamais à l’assaut des flots après une semaine de rêve. Six jours au cours desquels la Hennuyère a battu cinq records en cinq courses. Dont deux fameux, sur 800 (8.40.93) et 1.500 m libre (16.34.15), où elle a réussi les critères pour l’Euro senior de Londres, du 16 au 22 mai, alors qu’elle vient de fêter ses 16 ans. [scald=871418:sdl_editor_representation] « J’espérais bien améliorer mes temps, mais peut-être pas de manière aussi importante…, reconnaît celle qui est unanimement considérée comme l’un des plus grands espoirs de la natation belge. J’ai surtout été très heureuse et très fière de pouvoir monter sur le podium du 800 m aux côtés de Coralie Balmy. Dans les catégories de jeunes, les règlements interdisent cet honneur aux étrangers ; on s’y sent un peu rejeté, comme si on n’existait pas… » Son parcours aux « France » constitue une première grosse récompense après le choix validé en septembre 2015 de s’exiler dans le sud de l’Hexagone pour progresser. Un départ pour une aventure improbable dans le groupe d’entraînement de l’inénarrable Philippe Lucas, le très médiatique coach qui avait emmené Laure Manaudou vers l’or olympique sur 400 m libre, à Athènes, en 2004, chez lequel elle a débarqué après un incroyable concours de circonstances. « J’étais devant la télé quand je l’ai vu avec Laure, qui est mon idole absolue, lors de la présentation de son livre, raconte Eva. Philippe expliquait qu’il était à la recherche de nouveaux talents. Mon papa m’a demandé si je voulais qu’il essaie de le contacter. J’ai dit oui et quelques jours plus tard, j’avais une réponse positive et une invitation à aller passer un test de trois jours, en novembre 2014, à Narbonne, où il était basé, pour voir si j’avais le niveau pour intégrer son équipe. » « Une fois celui-ci terminé, il m’a dit “Vous me la laissez !” », ajoute Frédéric Bonnet. Un départ pour Narbonne Pendant quelques mois, les parents Bonnet ont pesé le pour et le contre de cette proposition de départ dans l’inconnu. Laisser partir Eva, 15 ans à l’époque, était tout sauf une évidence. Il n’y avait aucune structure d’accueil pour leur fille dans la cité de l’Aude et il fallait également trouver une solution pour la poursuite de ses études étant donné qu’il était impensable, vu les horaires d’entraînement qui l’attendaient, qu’elle intègre un lycée dans la région, même avec des horaires adaptés aux sportifs de haut niveau. « Nous sommes allés voir la direction de son école et celle-ci nous a rassurés sur le niveau d’Eva et sur ses capacités à gérer des cours par correspondance, poursuit Frédéric Bonnet. Nous nous sommes alors mis à la recherche d’un appartement à Narbonne que nous avons fini par lui trouver. A la fin de l’été dernier, nous sommes donc allés l’y déposer. » Eva Bonnet avoue que la séparation a été difficile à encaisser quand elle s’est retrouvée face à elle-même dans son nouvel environnement, loin de chez elle, à Estinnes, près de Binche. « Avec Skype, c’est vrai, j’ai un contact quotidien avec mes parents et mon petit frère Ugo, mais ça ne remplace pas leur présence… » L’hiver, aussi « quand il fait froid et sombre très tôt », les jours ont passé moins vite. Mais, au fil du temps, en prenant sur elle grâce à une étonnante force de caractère, elle a surmonté son spleen. Les heures creuses où elle pourrait broyer du noir sont, il est vrai, plutôt rares… « Je m’entraîne six jours par semaine, avec deux sessions les lundi, mardi, jeudi et vendredi, où je nage entre 17 et 18 kilomètres, et une le mercredi et le samedi matin. Le reste du temps, j’étudie ; j’ai étalé ma 4e année secondaire en deux et je passerai le jury central en septembre. Je fais aussi la cuisine ! » Ce choix de vie a forcément un prix. Mais le budget annuel de 15.000 euros face auquel les Bonnet se sont retrouvés pour le logement, les compléments alimentaires, les services d’une diététicienne et d’un ostéopathe pour leur fille a été couvert en partie par plusieurs sponsors qu’ils ont réussi à dénicher. Une adaptation rapide Avec Philippe Lucas, la phase d’apprivoisement n’a pas duré longtemps. Sous son look et son franc-parler qui en ont fait l’une des marionnettes les plus réussies des Guignols, l’homme peut être « très câlin » si on respecte ce qu’il demande, selon Eva. [scald=871417:sdl_editor_representation] « Tout dépend de la manière dont on aborde l’entraînement, explique-t-elle. Si on est “dedans” d’entrée, pas de problème, si on n’y est pas, il s’énerve. Il est très exigeant, c’est vrai, mais c’est surtout un perfectionniste. Cela me convient parce que je suis persuadée que la réussite est à ce prix. » Au fil des années, Eva Bonnet qui était, au départ, une nageuse de 50 et 100 m libre, a augmenté le nombre d’allers-retours en piscine pour devenir une spécialiste des longues distances. « C’est Fred Vanlancker, l’entraîneur de l’Helios Charleroi qui m’y a orientée quand j’étais affiliée chez lui. Je suis contente de l’avoir fait ! » Aujourd’hui, son rêve est d’encore améliorer drastiquement son nouveau record du 800 m lors de l’Euro de Londres et de descendre sous la limite olympique fixée à 8.33.97, ce qui lui vaudrait également, en passant, de battre le record de Belgique d’Isabelle Arnould (8.34.56) qui tient depuis 1988. « J’y pense beaucoup… Je sais que ce sera très dur, qu’il faudra être forte mentalement et physiquement, mais je sais que je peux mieux faire. » A moins qu’elle ne se laisse tenter par l’eau libre, où Philippe Lucas est persuadé qu’elle a également un grand avenir. Alors qu’elle n’en a jamais fait, elle prendra part, le week-end des 11 et 12 juin, à Setubal, au Portugal, à l’épreuve de qualification olympique, un 10 km en mer à l’issue duquel elle devra terminer dans le top 10 pour aller à Rio. « Cela m’effraie un peu, avoue-t-elle. J’ai peur des coups, que l’on prend souvent dans cette discipline. Et des poissons… Quand je nage, je n’aime pas ne pas voir le fond ! »

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