Renaud à l'amour, à la mort

Renaud entre énervé, avec près d'une heure de retard, dans la Closerie des Lilas, la brasserie qui avait servi de cadre à l'album Boucan d'enfer. On lui a crevé, au cutter, un pneu de sa voiture. Ce qui le met en rage, c'est surtout le danger qu'auraient pu courir Romane, son épouse, et leur fils, Malone, né le jour de la fête nationale. Romane et Malone sont les héros de son nouvel album, Rouge sang. Autant son prédécesseur était désabusé, autant celui-ci est gorgé d'amour. « Mes chansons d'amour ont toujours été autobiographiques, et non des fictions comme celles de certains de mes confrères, nous a-t-il confirmé, clope en main et verre d'anisette à portée de main. Quand on suit ma carrière depuis 33 ans, on suit le cours de ma vie sentimentale et familiale. On verra grandir Malone dans mes chansons, comme on l'a vu avec Lolita. « Malone », je l'ai écrite six mois avant sa conception. C'était un cadeau de mariage. C'est le remake de « Chanson pour Pierrot ». Le prénom était déjà choisi, car il est mixte. » Lolita, qu'on a vu grandir au fil des albums de son père, a 26 ans aujourd'hui. Elle n'a jamais bénéficié d'une médiatisation comparable à la rencontre Renaud-Romane, au mariage et à la naissance de son petit frère : « C'est vrai qu'elle n'a pas trop apprécié ma médiatisation, un peu people, lors de la sortie du disque de Romane, les télés que j'ai faites pour l'aider... Plein de gens ne l'auraient pas invitée sans moi à ses côtés. Ils ont fait un chantage gentil : on prend Romane si vous venez chanter « Mistral gagnant ». Je suis donc allé faire les télés à la con pour défendre cette artiste que j'aime et que je produis. Mais je ne ferai jamais comme Johnny avec Jade. Il ne la médiatise pas, il la vend. Moi, j'ai protégé ma fille Lolita de la presse, et elle s'est protégée elle-même dès qu'elle était en âge ; et sa maman l'a protégée. Quand Lolita a sorti un livre, elle a fait deux télés après en avoir refusé dix. Elle a eu raison. Il n'est pas question que Malone soit plus exposé. Les journaux ont déjà tenté de me « paparazzifier » en me prenant avec Malone à la sortie de chez moi. Ils sont déjà assignés au tribunal. » Adieu à Olivier Séchan, 95 ans Malone est né. Mais la mort a frappé Renaud, cet été. Celle, à 95 ans, de son père, l'écrivain Olivier Séchan. Renaud, en avril de cette année, a écrit « Nos vieux », un bel hommage à ses parents. « Il allait déjà mal, il marchait difficilement. Même s'il avait toute sa tête. Il y a encore un an, il allait tous les jours en autobus à la Fnac pour lire pendant des heures. J'avais envie d'écrire cette chanson depuis 25 ans. J'attendais que le disque soit totalement terminé pour le lui apporter. Le jour où j'ai eu un échantillon, je m'apprêtais à le lui envoyer quand ma mère m'a appelé pour me dire qu'il était parti. Il ne l'a donc pas entendue, cette chanson qui l'aurait touché. Je lui dois mon amour des mots, la découverte de la poésie, de Brassens, de la musique classique. Il était pianiste et écrivain. On avait une espèce de pudeur. J'ai pensé à dire à mes parents que je les aimais, devant six millions de téléspectateurs, à la remise des Victoires de la musique. Ce que je ne leur ai jamais dit dans leur salon, un dimanche après-midi, en mangeant la tarte aux pommes... » Renaud, le roi des bobosMusique Le chanteur se met à table, à la Closerie des LilasRenaud nous parle de son fils Malone, de Romane, de Vincent Delerm, de Sarko, de Johnny, de Doc Gynéco, de Ségolène...entretien La plus belle chanson de votre disque, sans conteste, c'est « Elsa ». Elsa qui parle de Lucas, son frère, qui s'est pendu à l'âge de 20 ans... C'est aussi celle qui me touche le plus. Je voulais faire depuis longtemps une chanson sur le suicide des jeunes. J'avais d'abord pensé aux deux gamines de 15-16 ans qui se sont défenestrées du dix-septième étage d'une tour à Evry, parce qu'on se moquait, à l'école, de leurs fringues gothiques. Un mois après, j'ai appris la mort du grand frère d'une petite copine, Elsa, une fan que j'ai connue quand elle avait 8 ans et avec laquelle j'ai entretenu des relations amicales. Lui était un virtuose du piano, 20 sur 20 au bac en français et en maths. Beau comme tout, des parents formidables... Sur ce disque, vous revenez à la composition... Oui, je n'avais composé qu'une chanson sur le précédent, et ici, six. Je veux garder mon statut d'auteur-compositeur, et pas faire mon Voulzy-Souchon avec Jean-Pierre Bucolo. « Adieu l'enfance » est nostalgique de votre enfance... Oui. Pas du bon vieux temps. Je déteste le côté réactionnaire des gens passéistes, qui n'aiment pas l'évolution des moeurs. La France de Sarkozy qui revient. J'aime beaucoup la chanson de Vincent Delerm « Du sépia plein les doigts »... Il a une plume et un sens de l'observation, Vincent, que j'aime beaucoup. « Ambroise Paré », j'aurais aimé l'écrire, celle-là. C'est une merveille, je suis jaloux ! Il était inquiet quand il a d'abord entendu la rumeur selon laquelle je l'aurais descendu dans une chanson intitulée « Les bobos ». On s'est croisés à un concert pour Ingrid Betancourt : il est venu me trouver, il ne comprenait pas car il savait que je l'aimais bien. Je la lui ai chantée. Il a vite été rassuré. Jeanne Charhal, Clarika, Aldebert, Renan Luce... J'adore toute cette génération. Miossec et Dominique A, je connais moins bien. Quand les Inrocks et Libé aiment quelque chose, c'est l'échec annoncé. Regarde Murat ! Il vend vingt disques, il a vingt unes de Libé. Il en est tellement aigri qu'il chie sur tous les artistes, moi le premier. J'aimerais mieux connaître Miossec et ses chansons. Ça me paraît tellement, non pas bobo, mais du snobisme « à l'Inrockuptibles », d'aimer Miossec que, du coup, je n'ai jamais acheté un de ses disques, alors que je suis sûr que c'est très bien. Le peu que j'ai déjà entendu m'a donné envie, oui. Mais ça me ferait mal de suivre les préceptes des Inrocks. Une des raisons principales de la haine de Libé et des Inrocks à mon égard, c'est que je vends deux millions d'albums. Qui n'est pas bobo, finalement ? Les SDF... Les bobos ont deux sens : soit la gauche caviar, soit un peu tous les gens qui ont un train de vie de classe moyenne, ont tous un peu les mêmes codes culturels, et succombent aux mêmes modes et snobismes, tout en se croyant originaux et non conformistes. Ce n'est qu'une chanson fantaisiste. Mais de vrais bobos l'ont pris pour eux, à tel point qu'ils m'assassinent. Les Inrocks, Libération... Ils me traitent de clodo, d'alcoolo, de poivrot... Ils ont pris pour eux une chanson dans laquelle je mettais tout le monde, tout en admettant que j'en faisais partie. Je n'ai jamais dit que les bobos étaient des cons. Ils ont dit que j'étais haineux, que je méprisais les bobos. Je n'aime pas non plus mon côté bobo, on est tous le bobo de quelqu'un. C'est juste une chronique sociale dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. « Mon beauf » était bien plus corrosive, il y a vingt-cinq ans. « Elle est facho » surprend, car on aurait davantage attendu « Il est facho »... Surtout qu'ici, vous ne parlez pas de Marine Le Pen... Je ne parle pas d'Arielle Dombasle dans cette chanson, je dis « aryenne », pas Arielle. Même si je la trouve charmante, ridicule et pathétique quand elle va chanter ses chansons ringardos à New York, promotionnée par son philosophe de mari, à grand renfort de relations VIP. Mais elle est infiniment plus drôle, talentueuse et sympathique que son mari. Dans « Elle est facho », je parle de la Fête de l'Huma, parce qu'on y trouve un public de droite qui vient entendre Johnny et s'amuse des stands d'extrême gauche. Dans le million de gens qui y vont, il y a des électeurs du Front National. J'ai pris une fille pour pouvoir placer la chute, je l'imagine plus tard mère. Pour une femme, adhérer aux idées haineuses, c'est plus étonnant. Vous ne serez jamais consensuel. Ça vous rassure, sans doute... Oui, ça me rassure. J'ai encore des ennemis, qui ont redoublé de férocité et augmenté en nombre. Je suis dégommé de partout. Grâce à internet, tout le monde se croit journaliste, chroniqueur, philosophe, procureur, avocat... Tout le monde crée des blogs. J'ai tapé « Renaud bobo » et j'ai trouvé un million deux cent mille sites, liens ou occurrences. Par masochisme, j'en ai lu quelques-uns : c'est d'un fiel, d'une haine, un déferlement d'insultes... A tel point que ça ne me touche plus. L'extrême gauche m'a agoni d'injures parce que j'ai chié sur les Farc colombiennes, des marxistes qui sont des trafiquants de drogue pratiquant le kidnapping de masse. L'UMP m'assassine parce que j'ai tapé sur Sarko. Je dérouille pas mal, mais je me dis : tant mieux. Je n'ai jamais souhaité que mes chansons plaisent à tout le monde - tout le monde ne me plaît pas non plus. Les anars m'ont renié depuis longtemps, puisque j'ai trahi la cause dès lors que j'ai vendu des disques. Et donc, je suis un nanti. Johnny, citoyen belge, vous n'êtes pas trop jaloux ? En tout cas, c'est à moi que votre ministre Fadila Laanan veut remettre la médaille de Léopold. C'est sympa, la Belgique. Bruxelles est la ville au monde où je vais le plus souvent. Car j'y ai des amis depuis 1973. J'y vais vingt fois par an. J'y ai un public des plus fidèles et chaleureux. Un des premiers, en 1975, quand je faisais plus de monde à Liège et Charleroi qu'à Lyon et Marseille. Entre mon premier album et le succès du deuxième, j'ai fait vingt-cinq concerts en Belgique, et à peine dix en France. L'album de Romane, c'est à Londres, cette fois, que vous l'avez fait... Elle était très satisfaite du premier, enregistré à Bruxelles, mais elle voulait cette fois un son plus pop et a donc choisi un arrangeur anglais, qui préférait rester à Londres. On a fait nos deux disques parallèlement, entre Bruxelles et Londres. On adore Londres, cela dit. Et l'anonymat qu'on y trouve... J'aime les Anglais. Dans « Miss Maggie », je ne m'attaquais pas à eux. Comptez-vous soutenir Ségolène Royal, comme Tonton il y a presque vingt ans ? Non, pas du tout. En aucun cas. Je ne comprends pas que les médias me demandent sans cesse mon avis, comme si j'étais un guide ou un porte-parole. Je n'ai apporté mon soutien à un homme politique qu'une seule fois, en 1988, pour que Mitterrand se représente aux présidentielles. Je paie encore pour avoir osé exprimer mon choix à voter « oui » à l'Europe. Je n'ai appelé à rien du tout. On m'a demandé mon avis, je l'ai donné, c'est tout. Même si j'étais sensible aux arguments du « non ». Mais, pour des raisons philosophiques, j'ai choisi le « oui ». Quand on me demande mon avis pour 2007, j'ai envie de dire que ça doit rester dans le secret des isoloirs. Mais comme je suis sincère, que j'aime la vérité et que je n'ai pas honte de mes convictions, je réponds : un écolo au premier tour, et puis le candidat de la gauche le mieux placé au second, pour faire barrage à la droite. Je ne sais pas, en fait. Je dirais José Bové plutôt que Jospin, Jospin plutôt que Ségolène, Ségolène plutôt que Chirac, Chirac plutôt que Sarko, Sarko plutôt que Le Pen, et Le Pen plutôt qu'Hitler. Mais je ne veux pas donner de consigne de vote. Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Vous n'êtes donc pas sous le charme de Ségolène ? Non. Je n'aime pas son programme, ni ses manoeuvres de séduction de la droite avec des arguments démagos et populistes. Pourquoi lui donner un blanc-seing ? Comme si les jeux étaient déjà faits... Johnny soutient Sarkozy. L'amitié excuse-t-elle tout ? Michel Charasse est un pote depuis vingt ans, je n'irais pas le soutenir s'il se présentait avec un programme que je n'aime pas. Je ne pardonne pas tout à mes amis. On n'est jamais trahi que par ses amis... L'amitié n'est pas une vertu majeure. J'aimais Mitterrand, mais quand il a fait des conneries, je l'ai combattu. Johnny, il s'est vexé parce que j'ai dit qu'il était l'idole des vieux. Et Doc Gynéco, c'est d'un pathétique ! L'UMP me traite d'ivrogne alors qu'ils ont comme soutien un drogué et un alcoolo notoire. J'ai picolé grave durant trois ans, mais Johnny, ses gamma GT doivent être plus dans le rouge que les miens. Doc Gynéco ? Niquer des bourgeoises, avoir un pitbull, rouler en BM, sniffer de la coke et fumer des pétards, quel beau programme pour les banlieues ! Sans parler d'une de ses chansons qui appelait à buter des flics. J'ai donc ironisé en disant que la gauche a intérêt à bien se tenir, qu'elle doit trembler face aux Johnny, Doc Gynéco, Christian Clavier et Alain Prost d'en face. Prost qui vient de se mêler de politique française alors qu'il paie ses impôts en Suisse. Johnny, qui veut se faire belge pour pouvoir devenir ensuite citoyen monégasque... Huit titres de plus, en édition limitée Rouge sang sort tout d'abord, ce samedi, en version limitée (200.000 exemplaires) avec huit titres supplémentaires et une BD du génial Killoffer, illustrant les chansons, dans un livret de 80 pages. Un disque où l'on retrouve le Renaud tendre et amoureux, et celui qui flingue (les bobos, les foules, les fachos, les guerres...). Un tout bon disque qui ravira les fans, heureux de renouer avec un Renaud drôle, mordant et même érotique. Il vient de terminer, à Londres, l'enregistrement de l'album de Romane, dont il a écrit tous les textes, sur des musiques de la chanteuse. Ce disque sort en février 2007. Renaud tourne jusqu'à la fin du mois de juillet. Et Romane sera en concert à l'automne 2007. [scald=873869:sdl_editor_representation] Album Rouge sang (Virgin - EMI).

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