Henri Baartholomeeusen: «On attaque l’IVG par voie détournée»
Le président du Centre d’action laïque dénonce les propositions de lois visant à accorder un statut à l’enfant mort-né. Une attaque « insidieuse » du droit à l’avortement, juge-t-il.


Henri Baartholomeeusen, le président du Centre d’action laïque (CAL), publie ce jeudi une lettre ouverte, à l’attention des partis de la majorité en particulier, de tous les parlementaires en général. Le Soir a pu lire cette lettre ouverte en exclusivité.
Pourquoi cette lettre ouverte aujourd’hui ?
Nous sommes au 25e anniversaire de la loi dépénalisant partiellement l’avortement. Or, depuis peu, on assiste à différentes tentatives, récurrentes, notamment au nord du pays, qui visent à donner une personnalité juridique à un fœtus ou à un embryon. Ce n’est pas innocent ! On invoque la souffrance des personnes qui ont perdu un fœtus, un embryon, en humanisant le deuil. Je pense qu’on instrumentalise de la sorte la douleur des personnes. Il y a d’autres manières d’accompagner une femme qui perd une grossesse qu’en lui expliquant que ce qu’elle a perdu, c’est un être humain !
Quelles sont ces tentatives « récurrentes » que vous évoquez ?
Au nord du pays, en 2014, on a voté l’abrogation des délais pour l’incinération de fœtus mort-nés. Cela signifie, techniquement, qu’un ovocyte fécondé pourrait faire l’objet d’une cérémonie d’inhumation ! En Région flamande, on a aussi voté un congé de maternité obligatoire pour les femmes qui ont eu une fausse couche, à partir de 140 jours ! En donnant les attributs de la personnalité physique et humaine à un embryon, on glisse insensiblement vers la reconnaissance du statut de personne à un être qui précisément pourrait encore faire l’objet d’un avortement ! Il y a là une incompatibilité ! La proposition du CD&V veut qu’on donne un prénom et un nom à un embryon ou un fœtus de 140 semaines et prétend que ce serait sans conséquences patrimoniales. Ce n’est pas tout à fait exact à partir du moment où certains droits sont bel et bien en piste, comme ce congé de maternité. On est à deux doigts de reconnaître tous les éléments constitutifs de la personnalité humaine à un fœtus !
Qu’est-ce qui vous fait croire que l’intention cachée est bien de s’attaquer à l’IVG ?
C’est très simple : il suffit de voir la manière dont on organise le débat à la Chambre. On interroge uniquement des juristes qui s’inquiètent de la manière de modifier le Code civil. Alors que le motif invoqué serait d’accompagner des femmes en souffrance, on n’a pas interrogé les praticiens, les médecins, le personnel social confrontés à ces femmes ! Prétendre humaniser le deuil d’une maman qui a perdu son enfant, s’agissant d’une fausse couche, c’est une triple fraude intellectuelle !
On pensait la Belgique à l’abri d’une marche arrière sur cette question. Ce n’est plus le cas ?
Ce qui n’arrive pas de plein front arrive par des voies détournées, sous les oripeaux de la compassion, de la gentillesse et de la prévenance. En réalité, ce sont des faux nez ! On voit bien que l’intention est différente. Pour porter atteinte à des droits fondamentaux, il n’y a qu’une seule solution : leur opposer d’autres droits fondamentaux. En assimilant un fœtus à une personnalité humaine, on lui donne techniquement accès à cette protection des droits fondamentaux ; ce qui permettra d’attaquer les droits fondamentaux de la femme. Le calcul est donc très subtil, mais ce n’est pas une marche arrière. C’est une position que même notre histoire occidentale n’a jamais connue et qui se répand aujourd’hui en Europe. Les Romains disaient « les enfants conçus sont tenus pour nés », mais à deux conditions. Qu’ils naissent vivants et viables. On est en train de nous inventer qu’un être né ni vivant ni viable pourrait avoir une personnalité, et ce presque depuis sa conception ! Comment imaginer dès lors que le Code pénal contienne toujours le droit à l’avortement à partir du moment où cela reviendrait à porter atteinte à une personne ou une quasi-personne ?
Qu’attendez-vous des politiques ?
Si on légifère, il faut un vrai débat démocratique. D’après nos informations, on était à deux doigts de faire passer ce texte dans une loi fourre-tout. Mais je pense qu’il y aura une réaction et que les parlementaires sont conscients de l’enjeu, en tout cas du côté francophone. Les partis flamands ont l’air de passer à côté. Il y a pourtant des risques objectifs, et nous sommes sous les feux de la rampe en Europe. Si la Belgique, qui a toujours été aux avant-postes sur le terrain éthique, devait entamer un processus de cette nature-là, d’autres pays européens pourraient suivre. Je crois donc qu’il est aussi temps pour nous de reprendre un combat qu’on avait laissé en l’état pendant plusieurs années, pour préserver un certain consensus social sur le sujet. A partir du moment où il y a cette volonté insidieuse de saper les fondements d’une législation progressiste, l’heure est venue de sortir purement et simplement l’avortement du Code pénal.
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