Lorenzo Gatto: «les enfants de la nouvelle démarche baroque»

Les sonates de Beethoven constituent une étape cruciale dans le développement de la pensée musicale du compositeur. Les monter toutes les dix constitue un véritable défi pour de jeunes interprètes. Ils seront épaulés par leurs deux professeurs à la Chapelle qui participeront au dernier concert où les quatre sonates joues seront exécutées dans toutes les combinaisons possibles entre les quatre interprètes. Un sympathique coup de pouce aux jeunes pousses des grands aînés, responsables chez DG d’un des plus beaux enregistrements de ces sonates. Mais ces deux admirables musiciens ne sont-ils pas déjà bien plus que de jeunes talents ? Connaissiez-vous déjà ces sonates ? Lorenzo Gatto (LG) J’en avais déjà joué deux ou trois mais c’est la première fois que je m’attaque à l’intégrale. C’est un projet initié il y a trois ans ; on a donc vraiment pu s’investir sur la durée. Julien Libeer (JL) Nous nous sommes testés sur de petits concerts amicaux. On peut dire que nous avons amené ces sonates à niveau ensemble. Cette proposition nous a permis de nous investir dans un projet à long terme qui débouchera sans doute sur des prolongations dans le futur. Comment aborde-t-on ces sonates aujourd’hui ? LG Un nouveau rapport entre les deux instruments est occupé à se définir. Nous sommes des enfants qui avons grandi avec Bylsma et Harnoncourt et les autres champions de la nouvelle démarche baroque. Notre imaginaire musical s’est développé avec eux. Et je constate parfois des décalages entre les capacités des instruments modernes et l’idée que les partitions me donnent de cette musique. Quand on travaille avec un archet baroque, on joue plus court qu’avec un archet moderne et cela permet une plus grande légèreté pour jouer les articulations. Quand on a saisi cela, on a déjà répondu à la moitié de ses questions. JL Le pianoforte nous rapproche de l’expérience instrumentale qu’a vécue le compositeur où le phrasé est plus enlevé dans les adagios. Mais vous jouez sur des instruments modernes ? LG Oui mais en y apportant les enseignements des instruments anciens. Ces sonates forment-elles un bloc ? LG Leur composition s’étale sur 10 ans mais les 9 premières se conçoivent dans une ligne ascendante. Même la « sonate à Kreutzer », si elle a quelque chose de gigantesque par son ampleur, conserve néanmoins une découpe classique. JL D’un autre côté, les variations procurent de vrais moments de liberté. Elles reflètent des souvenirs d’improvisations dont Beethoven était coutumier. N’oublions pas qu’il est le premier compositeur à ne plus penser à partir du clavecin. Le pianoforte ne va cesser de se perfectionner tout au long de sa vie en élargissant son registre. Et la dixième sonate ? LG Elle a été écrite après une rupture de neuf ans et c’est tout autre chose. On se lâche et on va autre part. Il n’y a plus rien à prouver on est dans l’évidence et celle-ci se manifeste dans un mouvement d’une beauté à vous faire tomber par terre. JL Elle me fait penser au « Trio Archiduc », composé un an plus tôt : on atteint des moments hautement spirituels que l’on croirait produit avec un air détaché mais où l’émotion est sublimée. Comment apprivoise-t-on le bouillonnement des idées chez Beethoven ? JL C’est très difficile à dire. Le truc avec lui, c’est que chaque pièce est un univers en soi où tout est forgé, pensé et structuré. LG Chaque pièce a sa personnalité. Prenons les premières sonates. La première est exaltée, le deuxième s’inscrit davantage dans l’esprit de Haydn mais la 3e, dans sa densité, a le souffle de la maturité. Mais partout, Beethoven reste un lutteur JL Son discours est foncièrement innovateur. Récemment, nous avons eu la surprise de recevoir des photos de Pluton envoyées par un vaisseau spatial. En les regardant, je pensais à Beethoven : il a toujours voulu pousser le bouchon plus loin que tout le monde. Flagey, du 10 au 12.4. Réservation : www.flagey.be Sonates n°2, 4 et 9 de Beethoven Julien Libeer & Lorenzo Gatto, Alpha

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