Grand débat sur les Panama Papers: «Il y a des lois, pas de volonté politique»

Après une première semaine de révélations dans le « Panama Papers », Le Soir a réuni six experts, juristes, sociologue et politiques. Surprise : la Belgique dispose de tous les outils juridiques de lutte contre la fraude, mais les moyens humains et informatiques pour organiser la traque sont défaillants. Mais c’est à l’international, que les plus grands freins subsistent, entre une Europe à la merci des lobbys et des conventions qui doivent aller plus loin. Entretien. La semaine a été marquée par les révélations autour des Panama Papers. Vous qui suivez les questions fiscales de près, quel est votre sentiment ? Sabrina Scarna. C’est une espèce de contretemps. Les structures qui apparaissent remontent parfois à 1977 et sont presque anachroniques avec tout ce qui a été mis en place ces dernières années au niveau national et international. Les gens qui fonctionnent dans des structures pareilles, je les appelle les derniers des Mohicans, ceux qui n’ont pas compris qu’on est passé à autre chose. Beaucoup de ces personnes, même celles citées dans la presse, sont souvent des gens qui ont déjà réglé leur situation, ou sont en train de la régulariser. Ce n’est pas quelque chose qui met à jour des problèmes encore substantiels aujourd’hui. Paul Jorion. Ce qu’on apprend ici se trouvait déjà dans la presse et dans les rapports d’organisations non gouvernementales. C’est une information connue depuis longtemps par les spécialistes, peut-être pas les noms individuels. Adrien Masset. Rien de nouveau sous le soleil pour moi, même dans les noms publiés, que l’on retrouve même parfois dans les précédents « leaks ». Pour moi, l’intérêt est de voir sur le plan de l’éthique si l’évasion fiscale, la fraude fiscale, est scandaleuse. Claude Rolin. Je suis content de ce qui se passe : c’est un beau coup de pied dans la fourmilière. Même si on est dans des dispositifs légaux, cela reste problématique car ce sont des pratiques non éthiques. Parfois on entend dire qu’il ne faut pas aller trop loin vis-à-vis des opérateurs qui jouent dans ces circuits financiers mais, en même temps, on a beaucoup moins de scrupules par rapport à des gens qui ont nettement moins de moyens. Quand on voit comme on est intrusifs vis-à-vis des chômeurs pour voir s’ils n’ont pas 50 euros en trop… Philippe Lamberts. Pas de surprise du tout. Je ne me réjouis pas particulièrement que sorte ce genre de choses, si ce n’est qu’il faut toujours des scandales comme cela pour que les choses bougent. Il y a eu HSBC, LuxLeaks, c’est une course de lenteur. Je ne crois pas que les gouvernements veuillent régler le problème. Si on veut mettre fin à la concentration de richesse, il faut s’attaquer aux procédés de type « Panama Papers ». Mais avec Panama Papers, je suis content que nous ayons du vent dans les voiles. Jean-Pierre Bours, nous sommes dans la légalité ? Jean-Pierre Bours. On ne peut pas se prononcer dossier par dossier à l’heure actuelle, mais tout laisse penser qu’on n’est pas dans la légalité dans un bon nombre de cas et que cela dissimule probablement des infractions qui ne sont pas seulement fiscales et qui relèvent de la criminalité la plus lourde. Mais je me félicite d’une chose. Si je regarde ce qui se passe actuellement et que je compare avec ce qui se passait à l’origine et notamment l’affaire KB Lux, c’est que ces fameux informateurs ont compris, depuis l’affaire KB Lux, qu’il vaut mieux pour eux transmettre leurs informations à la presse, plutôt qu’aux autorités judiciaires voire à une administration fiscale. Et là, je m’en félicite. Pour trois raisons. Un : cela préserve mieux l’anonymat de l’informateur quand on voit la difficulté à faire respecter le secret de l’instruction en Belgique… Les journalistes sont clairs : on ne révèle pas le nom des informateurs. Deux : si ces infos étaient envoyées au pouvoir judiciaire ou l’administration, avec les moyens dont ils disposent tant en Belgique qu’en France, je peux vous dire qu’on en a encore pour des années avant d’apprendre quoi que ce soit. La prescription serait intervenue avant qu’ils aient fini d’étudier les dossiers. Trois : je suis heureux qu’on ait interposé la presse entre l’informateur et le pouvoir judiciaire sinon cela posait un problème juridique. Le pouvoir judiciaire pourrait s’entendre dire que l’informateur s’est rendu coupable de vol domestique ou d’un viol du secret professionnel et cela peut déboucher sur une annulation de la procédure. Ici, le pouvoir judiciaire peut dire : ce n’est pas un informateur, j’ai lu les journaux. John Crombez. Je suis content qu’il y ait un nouveau « leak ». Car j’ai un vrai problème avec ce discours qui minimise la réalité du problème. Les leaks sont là aussi pour que le débat se poursuive. J’espère qu’il y en aura d’autres. Je rappelle qu’avec le scandale HSBC, la procédure a été arrêtée parce que la fuite provenait d’un vol. Et l’homme qui a donné les infos au fisc a été condamné en Suisse. Heureusement, en Belgique, on a pu poursuivre car on a eu une copie du fisc français et ce n’était pas du vol. C’est la preuve que c’est possible, avec nos moyens. Il faut des leaks chaque année. Mais, petit à petit, les choses changent, des règles internationales s’installent, trop lentement, parce que le lobby reste énorme.

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