Une catastrophe pour l’orgue inauguré en 2017

La salle Henri Le Boeuf et son orgue monumental ont été les plus touchés par les suites de l’incendie. Bernard Foccroulle, ancien directeur de la Monnaie et organiste de haut vol, préparait l’enregistrement de nouvelles compositions sur cet instrument exceptionnel. [scald=27889093:sdl_editor_representation] Quelles sont les conséquences de l’accident de lundi sur votre travail ? Je travaille depuis plusieurs mois sur un CD d’œuvres contemporaines. Quatre de ces pièces devaient être enregistrées sur l’orgue de Bozar les 9 et 10 février. C’est désormais impossible évidemment. À titre personnel, j’ai pu trouver une solution grâce à la Philharmonie de Paris. En raison du confinement, les activités sont suspendues et la salle est donc disponible. Mais j’avais déjà passé beaucoup de temps sur l’orgue de Bozar pour la préparation de la session à venir. Tout ce temps est évidemment perdu. On imagine toujours les orgues comme des instruments anciens dans les églises. Ici, nous sommes dans une salle de concert avec un instrument tout neuf… Le projet de cet orgue a été lancé en 1989 et on l’a inauguré en 2017. C’était donc, en effet, un orgue tout à fait moderne qui est désormais hors d’état pour une longue période sans doute. En trois ans, on a pu l’utiliser à maintes reprises et Cathy Castillo vient encore d’y enregistrer un CD d’œuvres de Joseph Jongen en décembre. Ce sera le dernier témoignage de cet orgue. Avant cela, il y a eu pas mal de choses, des concerts mais aussi des nuits de l’orgue en dialogue avec plusieurs univers : orgue et cinéma, orgue et danse, orgue et chœur, orgue et orchestre… Et puis des créations contemporaines. On a vu à quel point un orgue de salle peut offrir des possibilités de vie culturelle totalement différentes de ce que permet un orgue d’église. Après trois ans, Bozar devenait une référence européenne dans le domaine… Il n’existe pas d’autres orgues de ce type ? Si, à Radio-France par exemple. Mais on n’y retrouve pas le côté interdisiciplinaire qui est propre à Bozar qui n’est pas « que » une salle de concert. Paul Dujardin a réussi à développer une programmation beaucoup plus originale qu’ailleurs en Europe grâce à cela. Quelles peuvent être les conséquences d’un incendie sur un tel instrument ? La première crainte, c’est bien sûr qu’il parte en fumée. Ici, manifestement, ce n’est pas le cas. Ensuite, il y a l’eau. Si on prend l’exemple de Notre-Dame de Paris, on craignait fortement que des débris aient touché l’orgue et surtout qu’il ait été abîmé par les flots d’eau déversés. Finalement, cela n’a pas été le cas car l’incendie s’est déclaré au niveau du transept et l’orgue est de l’autre côté. Malheureusement, à Bozar, si les pompiers ont réussi à contenir le feu, ce fut au prix de tonnes d’eau déversées. Or Bozar a la particularité d’être un bâtiment « enterré » et la partie la plus « immergée » est la grande salle de concert. Avec une conséquence évidente, l’eau se déversant de haut en bas, elle peut crever les plafonds et envahir la salle. Quelles sont les conséquences directes sur l’utilisation de l’instrument ? La plus grave est sans doute du côté électronique. Les orgues d’aujourd’hui intègrent de nombreux composants électroniques, des électroaimants notamment. Tout ce matériel sophistiqué ne supporte pas l’humidité. Il est donc probablement fichu. Pour la partie « tuyauterie », puisqu’un orgue est composé de tuyaux, ça devrait être récupérable. Mais l’orgue va devoir être démonté, déposé, nettoyé, réparé, des parties remplacées, etc. S’il est à nouveau en ordre de marche dans 3 ans, ce sera déjà une bonne nouvelle. Pour revenir à l’aspect technique de l’instrument, à quoi servent les composants électroniques que vous évoquiez ? Quand on joue une œuvre contemporaine, c’est généralement assez complexe et on utilise une série de combinaisons. Un orgue comme celui de Bozar compte environ 3000 tuyaux répartis en 60 jeux qu’on combine à l’infini. Pour chaque moment de la partition, il faut définir ces combinaisons. Sur les orgues anciennes, tout cela devait se faire à la main. Sur un orgue contemporain, tout cela peut être gardé en mémoire mais c’est un travail qui demande des heures de préparation pour être enregistré dans la mémoire de l’instrument. C’est ce travail qui avait déjà été fait et qui est totalement perdu. Il faudra tout refaire à Paris.

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