6 octobre 2019, la tutelle s’en mêle

[scald=27890185:sdl_editor_representation] Article publié dans Le Soir le 7 octobre 2019 [scald=27890218:sdl_editor_representation] Il y a des dimanches longs comme un jour sans pain. Et il y a le dimanche 6 octobre 2019. Une date qui restera emblématique. Pour la galaxie liégeoise Publifin (rebaptisée Enodia), pour Stéphane Moreau, mais aussi pour le nouveau gouvernement Di Rupo. La journée démarre à 10h12, par un SMS. Il est signé par le porte-parole du ministre des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne (PS). « Convocation : le Gouvernement fera une déclaration à 12h sur le dossier Enodia-Nethys (l’intercommunale liégeoise qu’on ne présente plus, NDLR) ». Rendez-vous à la salle de presse de l’Elysette, à Namur. Les téléphones commencent à chauffer, de tous les côtés. On apprend qu’Elio Di Rupo, himself, sera présent. Sa première conférence de presse depuis sa nomination en tant que ministre-président. C’est une évidence : il va se passer quelque chose. On ne convoque pas toute la presse un dimanche à midi sans avoir une petite bombe à lancer. Rien ne filtre avant la conférence. A Liège, les décideurs politiques ont été tenus à l’écart : personne ne sait ce qui va être annoncé. Les dirigeants de Nethys non plus. A midi quasi tapantes, Elio Di Rupo et Pierre-Yves Dermagne débarquent dans la salle de presse. Le ton est grave. « Ceci n’est pas une conférence de presse », entame le président socialiste. Il ne prendra aucune question. Le ministre Dermagne se contente de lire une déclaration. Et c’est en effet de la bombe. Le ministre rochefortois annonce qu’après analyse du dossier, il exerce son pouvoir de tutelle pour annuler, purement et simplement, les ventes de VOO, Win et Elicio, trois filiales de Nethys. La vente de ces trois filiales a été actée par le conseil d’administration de Nethys le 22 mai dernier, dans la discrétion la plus totale. Et, surtout, sans demander l’avis conforme de la maison mère Enodia. Ce qui est contraire au Code de la démocratie locale, assure le ministre. Il n’a dès lors d’autre choix que de casser ces décisions, « prises en violation de la loi et contraires à l’intérêt communal ». Moreau et Fornieri au four et au moulin Mais les accusations du gouvernement wallon ne se limitent pas à cela. Il reproche à Nethys de ne pas avoir mis les actifs Win (services informatiques) et Elicio (éolien) en concurrence pour en tirer le meilleur prix, en n’examinant qu’un seul scénario de vente : celui d’un rachat de ces deux sociétés par l’homme d’affaires François Fornieri, via sa société fraîchement créée Ardentia. « C’est d’autant plus grave que la vente se fait à Ardentia, dont le fondateur est par ailleurs administrateur de Nethys (François Fornieri), et qu’il était prévu que l’administrateur délégué de Nethys (Stéphane Moreau) co-investisse dans Ardentia », lance Dermagne. C’est un élément neuf : la tutelle accuse donc Stéphane Moreau d’avoir vendu, le 22 mai dernier, deux filiales de la société qu’il dirige (Nethys) à une société… dans laquelle il comptait investir. Le tout sans mise en concurrence. Sur la vente d’Elicio, la tutelle va encore un pas plus loin. Certes, Elicio a été vendue deux fois plus cher qu’annoncé précédemment : non pas pour un euro symbolique, mais pour deux. Mais « les conditions de la vente d’Elicio à Ardentia apparaissent préjudiciables aux intérêts patrimoniaux de Nethys et de ses actionnaires, et donc de l’intérêt général, avec un prix de cession symbolique de 2 euros et une aggravation du risque de crédit pris par Nethys sur Elicio. En bref, on cherche à privatiser les profits sur cette activité et à collectiviser une partie des pertes », assène le ministre Dermagne. Y’en a un peu plus… La manière dont cette vente a été présentée au conseil d’administration pose également question. « Empressement, présentation d’offres au CA de Nethys du 22 mai en séance, apparemment sans que tous les administrateurs n’en aient eu connaissance avant la réunion, et j’en passe », conclut M. Dermagne. « Les éléments sont tels qu’un dossier a été transmis au parquet fédéral », tranche le ministre président Di Rupo, qui y voit un risque d’« une ou plusieurs infractions pénales ». Résultat : tous ces deals sont annulés. Et Pierre-Yves Dermagne ajoute qu’il « appartiendra à Enodia et Nethys, ainsi qu’aux provinces et aux communes concernées, de tirer toutes les conséquences de l’annulation ». Bref, la balle est renvoyée à Liège. Et tous les regards se tournent vers la Cité ardente. Qui va réagir ? Et de quelle façon ? Les administrateurs vont-ils introduire un recours devant le Conseil d’Etat contre cette décision de la tutelle ? Ou, à l’inverse, vont-ils faire profil bas et relancer une procédure de vente en bonne et due forme ? Va-t-on profiter de ce coup d’arrêt pour remettre en cause la privatisation de certains actifs, comme certains commencent à le réclamer ? Le réveil des rouges Toutes ces questions seront vite balayées par une nouvelle bombe. Toujours « made in PS ». A 17h09, un communiqué tombe dans la boîte mail des journalistes, envoyé par le Boulevard de l’Empereur (donc avec l’aval du président Di Rupo). Les socialistes y annoncent que les membres PS du conseil d’administration d’Enodia vont se réunir en urgence, en vue de convoquer « sans délai » une assemblée générale de Nethys. « Cette assemblée générale décidera de procéder au remplacement immédiat du conseil d’administration et du management de Nethys », écrit le PS. En clair : ils veulent mettre dehors tout le conseil d’administration de la société, présidée par Pierre Meyers, ainsi que le management, incarné par l’administrateur-délégué Stéphane Moreau. Jamais le PS n’avait pris pareille position. Bon, les socialistes avaient bien voté (comme tous les partis) les recommandations de la commission d’enquête Publifin, en juillet 2017. On y prévoyait, notamment, d’« engager le conseil d’administration de Nethys à renouveler son comité de direction », et d’« écarter les personnes dont la responsabilité est engagée dans les manquements et dysfonctionnements identifiés ». Mais ces deux recommandations n’ont jamais été appliquées, comme si PS et MR avaient oublié leur vote du rapport de la commission d’enquête (au grand dam d’Ecolo qui réclame le départ des managers depuis plus de deux ans). Il y avait juste eu ce tweet, en octobre 2017, du président Di Rupo. « Bonne gouvernance. Stéphane Moreau ne doit plus siéger au CA de Nethys ». C’était au moment du renouvellement du conseil. On avait assuré que Stéphane Moreau n’y siégerait plus. Juré, craché. Mais ces promesses ne se sont jamais concrétisées. L’homme étant, aujourd’hui encore, administrateur délégué. Le PS vient donc d’entamer sa rébellion. Les rouges rejoignent en fait Ecolo et le PTB, qui tiennent ce discours depuis un moment. A eux trois, ces partis occupent 9 des 12 sièges du conseil d’administration d’Enodia. Soit une large majorité. Ils peuvent désormais enclencher le « grand ménage ». Tout commencera par une réunion du CA en urgence (vraisemblablement ce mardi). Un honneur « foulé au pied » La situation devenait intenable pour les administrateurs de Nethys, désavoués par la tutelle wallonne, puis par leur actionnaire. Des rumeurs circulent depuis le milieu d’après-midi : ils vont démissionner, préférant partir d’eux-mêmes qu’être mis à la porte. Et à 18h59, c’est officiel. Nethys envoie un communiqué annonçant la démission de ses administrateurs (mais pas du management). « Les administrateurs de Nethys ne sont pas prêts à participer à la remise en cause d’un plan stratégique indispensable au redéploiement de la région liégeoise et démissionnent ». Ils assureront la continuité jusqu’à leur remplacement. Et « confirment avec force que les décisions qu’ils ont prises, dans le seul intérêt de la société, étaient conformes à la légalité, aux intérêts des actionnaires et aux demandes pressantes qui leur étaient faites ». Avant de conclure par une formule d’adieu, sauce locale. « Ils ne laisseront pas leur honneur foulé aux pieds ». Tiens, il n’y a que le MR qu’on n’a pas encore entendu. Les Bleus sont en réunion, en début de soirée, pour examiner le dossier. Et leur réaction tombera peu avant 20 heures, pour « prendre acte » de l’ensemble des décisions. « Cette démission doit être l’occasion de ramener de la sérénité dans la poursuite de la gestion de ce dossier au travers de la désignation rapide d’un nouveau CA qui assurera la continuité de l’entreprise et désignera un nouveau management ». Cette fois, les jours de Stéphane Moreau à la tête de l’entreprise semblent bel et bien comptés. [scald=27890199:sdl_editor_representation]

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