Vous avez dit ni droite ni gauche?

Macron est arrivé. Sans se presser. Armé d’une fiche d’identité en or massif. « Ni de gauche ni de droite ». [scald=896089:sdl_editor_representation] Donc représentant d’emblée le premier parti de France. Un parti largement majoritaire, mais qui, dans les urnes, redevient immanquablement minoritaire. Parfois très minoritaire. Cette fois sera-t-elle la bonne ? Il revient aux experts de la chose de proposer une réponse. Or, il se trouve que l’auteur de cet article est censé être un expert. Cela fait près de 35 ans, en effet, que je travaille à la formulation d’une alternative qui induit le dépassement de l’actuel clivage idéologico-politique obsolète, et la recomposition en conséquence de l’espace de la confrontation démocratique. Je précise bien : de « l’actuel clivage » et non pas des clivages en général, leur pérennité sous une forme ou une autre constituant une invariance. Ni de droite ni de gauche ! Peut-on se contenter de se définir par deux négations ? C’est-à-dire non pas en affirmant clairement ce que l’on est, mais en affichant ce que l’on n’est pas. La notion de dépassement ne se réduit pas, de façon statique, à deux rejets, elle est dynamique. Elle implique une remise en cause radicale de « l’existant », c’est-à-dire une quadruple recomposition : politique, sociale, économique et mentale (ou idéologique). La vérité n’est jamais au milieu Le ni-ni laisse entendre qu’on se situe au milieu. Qu’on veut réunir les présumés modérés des deux bords. Or, certes, la vérité ne se situe pas, se situe de moins en moins, totalement ici ou totalement là. De ce côté-ci ou de ce côté-là. Elle peut venir, d’ici, de là, d’ailleurs, d’un côté, d’au-dessus. Mais le seul endroit où elle ne réside pratiquement jamais, c’est au milieu. Entre le résistant et le collabo, entre le stalinien et l’antistalinien, est-ce que la vérité se situait au milieu ? Non. Mais totalement du côté du résistant fût-il communiste, ou de l’antistalinien fût-il conservateur libéral. Ceci est vrai en général. Entre colonialistes et anticolonialistes, entre défenseurs de l’Algérie française et partisans de la négociation pour mettre fin à la guerre, se placer au milieu revenait à se placer nulle part. En l’air. On pouvait, en revanche, être anticolonialiste et dénoncer les illusions tiers-mondistes : ici avec la gauche, et même l’extrême gauche ; et là avec une grande partie de la droite. Mais c’est plus vrai encore en période de crise. La puissance de la dynamique néolibérale mondialisée est telle que le milieu, qui consiste à vouloir l’humaniser sans l’entraver en rien, fait rire même les neurasthéniques. Là-dessus Macron est d’ailleurs lucide : il ne dit plus « ni gauche ni droite, un peu de néolibéralisme mais pas trop, juste le milieu ». Non, il dit « nous devons nous rallier, nous adapter complètement, sans retenue, à cette réalité incontournable qu’est la mondialisation néolibérale ». En l’occurrence, il dit exactement comme la droite libérale orthodoxe, mais il équilibre en y ajoutant quelques pincées de soixante-huitardisme sociétal. C’est son juste milieu à lui. A contre-courant d’ailleurs de l’opinion publique. Les pièges du pseudo-réalisme Mais imaginons le Général de Gaulle, qui incarna plus que tout autre le concept de dépassement de la droite et de la gauche, expliquant, en 1940, qu’il fallait s’adapter à la réalité géopolitique quasiment mondialisée du moment. C’est la ligne que défendaient des technocrates, beaucoup venant du centre gauche, qui avaient décidé d’apporter leur expertise au régime de Vichy. Et qui considéraient De Gaulle comme un fou. Or, c’est ce pseudo-réalisme-là que De Gaulle refusa. De Gaulle qui réunit autour de lui, dès 1942, non pas des modérés, mais des gens qui, venant de la droite, fût-elle monarchiste ou un temps séduite par les « Croix de feu », venant de la gauche, fût-elle radicale, et aussi venant de la démocratie chrétienne qui à l’époque n’était pas modérée, des patriotes de toutes les origines donc qui avaient refusé l’inéluctable. Ensuite, y intégra même les communistes. De Gaulle qui, rappelons-le, réalisa (je le souligne même si je ne n’y ai jamais été favorable) la réforme des institutions devant laquelle reculait la droite qui pourtant la souhaitait, mais aussi liquida la tragédie algérienne par la négociation, ce devant quoi la gauche socialiste, qui l’avait préconisée, reculait elle aussi et cela tout en émancipant la France de sa soumission à l’atlantisme, devant quoi et la gauche et la droite avaient cette fois reculé. Il fut un temps où le clivage gauche-droite, en France, s’épuisait dans l’opposition légitimistes-orléanistes. Monarchistes absolus contre monarchistes constitutionnels. Fallait-il, lorsque cet antagonisme commença à s’avérer obsolète, se contenter d’un ni-ni pour se placer au milieu, ou bien préconiser ce « dépassement » que fut la démocratie, puis la République. Macron a des qualités et des mérites. Il est brillant, cultivé, énergique, comparé à Hollande et à Sarkozy, c’est un cador. Il ose, en effet, transgresser les tabous de son camp (beaucoup plus d’ailleurs que ceux du camp d’en face), il n’est pas totalement prévisible. Il sort du cadre. Il lui reste à exprimer des idées vraiment nouvelles.

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