Irlande du Nord: les familles de victimes du conflit demandent justice

Le 12 février 1989, deux hommes masqués s’introduisent dans une maison de Fortwilliam Drive à Belfast. Dans la cuisine, la famille est réunie pour le traditionnel repas du dimanche. Les paramilitaires tirent à 14 reprises sur Pat Finucane, avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme. Cet assassinat reste l’un des plus controversés des « Troubles » : David Cameron a admis en 2011 la collusion entre les meurtriers et les forces de police locales, sans pour autant demander une enquête complète. La famille lutte encore pour avoir droit à la justice. La guerre civile nord-irlandaise a fait plus de 3.500 morts et des milliers de blessés entre 1969 et 1998. Seules quelques centaines d’homicides ont à ce jour été élucidés, malgré la bataille acharnée que mènent les survivants pour établir la vérité – et notamment la responsabilité de Londres. « En tout, j’estime que le gouvernement britannique est responsable de la mort d’une personne sur trois », explique Mark Thompson, directeur de l’association Relatives for Justice (Les Proches pour la Justice). « Près de 400 Nord-Irlandais ont été tués par la police ou par l’armée. De nombreux autres décès sont le résultat de la collusion entre Westminster et les groupes paramilitaires loyalistes, ou de l’infiltration de groupes républicains par les services secrets ». Le refus de toute amnistie Aux côtés de Mark Thompson, 3.500 personnes ont signé une lettre adressée à Boris Johnson et Micheál Martin, le chef du gouvernement irlandais. Le texte demande « justice et vérité », et s’oppose « à toute forme d’amnistie ». En effet, Londres s’était engagée en 2014 à créer une unité indépendante pour enquêter et réexaminer les meurtres non résolus, avec pour but de fournir aux familles un maximum d’informations dans le cas où des poursuites seraient impossibles. Mais en 2020, Boris Johnson fait volte-face : il est désormais question de clore l’immense majorité des dossiers après un passage en revue « rapide », et de voter une loi pour empêcher de les rouvrir. Du côté des Conservateurs, on parle même d’amnistier les vétérans des « Troubles », pour éviter une « chasse aux sorcières ». Car les premiers procès de militaires approchent, notamment celui du Soldat F, qui doit comparaître pour sept meurtres et tentatives de meurtre lors du massacre du « Bloody Sunday ». A Belfast comme à Derry, on s’insurge contre l’impunité de l’Etat britannique. « Des millions de Républicains ont été emprisonnés pendant la guerre, contre à peine 4 soldats britanniques – ces derniers ont été relaxés avant d’avoir purgé leur peine et rapidement réintégrés dans l’armée », s’exaspère Mark Thompson. Pour lui, les revirements politiques s’expliquent par la « volonté de Londres de contrôler le récit des “ Troubles” ». « Si l’enquête est menée de manière neutre et indépendante, ils ne pourront plus cacher leur responsabilité. Pour l’heure, ils continuent à faire croire au monde qu’ils ont agi comme un organe objectif, venu en Irlande du Nord pour maintenir la paix et empêcher deux communautés de se battre. La réalité de leurs agissements ferait voler en éclats cette image. » « Il n’est pas trop tard » Mark Kelly fait lui aussi partie des signataires. Il se rappelle cette « superbe journée ensoleillée » de mai 1981 où il jouait au foot avec les gamins du quartier – jamais trop loin de la maison, « car il fallait être prudent ». Les soldats britanniques qui arrivent commencent à tirer. Sa sœur Carol Ann s’écroule, touchée à l’arrière de la tête par une balle en caoutchouc, cylindre de neuf centimètres de long pour quatre de diamètre. Elle avait 12 ans. « J’étais juste à côté d’elle quand c’est arrivé et pourtant personne ne m’a jamais interrogé. Les témoins sont encore vivants, il n’est pas trop tard ! » Il se bat, avec patience et réalisme : « Soyons honnêtes : je demande à la police britannique d’enquêter sur un crime, pour qu’un juge britannique mette un soldat britannique en prison… » Il voit dans les divisions qui perdurent entre les communautés « la conséquence du manque de justice ». Mais malgré les obstacles, il n’abandonnera pas. « Même s’ils continuent à nous faire attendre, les oncles, tantes, neveux et nièces reprendront le flambeau. » En effet, sur les 3.500 personnes qui ont ajouté leur nom sous la lettre, la moitié a moins de 35 ans.

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