Dans l’ombre du Standard, les clubs liégeois veulent exister

Le 19 février 1995, Anderlecht s’impose 0-4 au RFC Liège. Au terme de la saison, le Standard est vice-champion, Seraing neuvième et les « Sang et Marine » échouent à la dernière place, synonyme de relégation. Avec, qui plus est, une rétrogradation supplémentaire pour dettes impayées. La saison 1994-1995 reste donc la dernière à compter trois clubs liégeois en Division 1. Pire : le 30 septembre 1995, Seraing et le Standard partagent une dernière fois l’enjeu au stade du Pairay (0-0). Le 2 avril 1996, le premier est absorbé par le second. Depuis un quart de siècle, le Standard est donc le seul club liégeois à poursuivre sa route au plus haut niveau du football national. Sans discontinuer. En évitant un derby où les rivalités citadines font que le plaisir du vainqueur est inférieur à la souffrance du vaincu. Et en faisant de l’ombre à des clubs qui tentent de retrouver leur lustre d’antan dans cette région sevrée de duels locaux. Mais qui, l’espace d’une soirée de Coupe de Belgique, reviennent dans la lumière. Un mercredi que veulent savourer tant Seraing (qui accueille son voisin du Standard) que le RFC Liège (qui reçoit Anderlecht), même si, crise sanitaire oblige, la fête entre supporters est annulée. Or, chaque club, malgré des hauts et des bas, conserve sa base plus ou moins élargie de fans. Plus fervents que jamais. Et en attente de grandes affiches. [scald=27905381:sdl_editor_representation] Ainsi, le 28 juin 2017, pour ses 125 ans, le RFC Liège avait la volonté d’accueillir le Standard, son rival éternel, pour redonner vie au derby liégeois, riche de couleurs, de passion, d’anecdotes, de petites et de grandes histoires. Ce qui aurait été une première à Rocourt depuis 1994. Le Covid n’existait pas encore, mais la menace terroriste planait toujours sur le pays. « Les analyses de risques établies par la zone de police locale font état d’un antagonisme persistant entre les noyaux durs des deux clubs. En termes d’organisation, cela demande l’engagement de moyens policiers très importants pour assurer la sécurité des supporters et des riverains », communiquait alors le club pour justifier l’annulation de la rencontre sur proposition des autorités communales liégeoises, qui estimaient ne pas disposer de la capacité policière nécessaire. Aujourd’hui, les Sang et Marine militent en Nationale 1, un championnat désormais à l’arrêt, alors que Seraing occupe la troisième position en Division 1B. L’un et l’autre, réputés pour leur école de jeunes, rêvent de retrouver l’élite. Un souhait qu’entretenait aussi, il y a 10 ans, Guy Thiry. À la tête de Visé, il considérait alors qu’il y avait trop de clubs à Liège et qu’un rapprochement était nécessaire. « Le Standard est au-dessus du lot, mais il y aurait de la place pour une deuxième équipe en D1 », disait-il à l’époque, alors que son club jouait le haut du tableau dans ce qui était la Division 3B. « Le grand club serait à vocation internationale et le deuxième à vocation nationale, plus familiale, en étant doté d’un autre système de gestion. » C’était à l’époque du deuxième retour de José Riga dans la Cité des Oies. Lequel se souvient de ce sujet tabou de la fusion. « On avait tâté le terrain auprès du président du RFC Liège », souligne le coach actuel de Visé, qui évolue aussi en Nationale 1. « Nous étions complémentaires, puisque Liège avait un passé et des supporters que nous n’avions pas, alors que nous avions un stade à proposer et une direction financière plus forte. Cela aurait pu représenter quelque chose de consistant derrière le Standard, mais pas à côté. C’était le bon moment et une belle opportunité à saisir. » Une fusion néanmoins catégoriquement rejetée par Jules Dethier, alors président des Sang et Marine. « L’âme du FC Liège ne se vend pas. » Une décennie plus tard, ces trois clubs, qui, officiellement, s’entendent bien – alors qu’en coulisses, les rivalités de clocher existent bel et bien –, continuent de tracer leur route, à leur manière, dans le sillage du Standard. « Je pense qu’il y aura toujours les Rouches et les autres », poursuit José Riga, qui a aussi eu son bureau d’entraîneur à Sclessin. « Mais on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de place pour un autre club liégeois en D1A, même si, en termes de public et d’attractivité, nous ne sommes plus dans les mêmes normes qu’il y a dix ou quinze ans. Il suffit de voir, hors Covid, l’assistance qu’il y a à Seraing, qui propose pourtant du beau football. On peut donc se poser la question d’une survie en D1A. En fait, j’ai l’impression qu’avoir trois clubs liégeois, qui représentent tous quelque chose de différent, dans les divisions inférieures empêche presque d’avoir un deuxième club fort. Si on parle de rivaliser avec le Standard, on ne peut pas le faire de manière isolée. » [scald=27905380:sdl_editor_representation] Au RFC Liège, on estime qu’il y a de la place pour deux clubs emblématiques. D’ailleurs, depuis 1892 et jusqu’en 1994, le premier champion de Belgique a connu de belles heures. Avant de devenir, suite à la disparition du stade-vélodrome, un sans domicile fixe errant à Sclessin, Eupen, Tilleur, Ans et Seraing, avant de retrouver un lieu définitif à Rocourt, où le club est implanté depuis 2015, en attendant les permis de bâtir pour une nouvelle enceinte de 5.500 places minimum (dont 1.500 assises) pour se conformer au cahier des charges de la licence pro. Car la volonté est de retrouver au plus vite le foot professionnel. « Toute sa vie, le club a eu énormément de soutien de l’entourage du matricule 4, et notamment de ses supporters toujours présents », souligne Pierre-Laurent Fassin, le directeur général. « Cette ferveur a toujours permis au club de vivre et de renaître quand il a fallu le faire. Le Standard a vécu son histoire, mais Liège a toujours pu exister. Et commercialement, ce n’est pas spécialement mauvais : le Standard est tellement attractif que les grandes marques y signent plus aisément, alors que les annonceurs locaux peuvent avoir chez nous une présence football avec une audience importante, car Liège reste un club suivi, avec une moyenne de 2.000 à 2.500 spectateurs, dont 900 abonnés. Nous ne sommes pas dans une situation où le Standard prend tout en ne laissant rien aux autres. D’ailleurs, on souhaite le rejoindre dans un laps de temps assez court. On veut refaire du RFC Liège un club professionnel. On l’est déjà à moitié, car on a quand même onze joueurs professionnels dans le noyau. On prépare le club et on le modernise pour être prêt à intégrer ce monde via la D1B. Et comme, malgré la crise, on est déjà viable dans le monde amateur, le club le sera aussi, je pense, dans le monde pro. Non seulement en raison des droits TV, mais aussi de l’aura du matricule 4, dont le retour susciterait un intérêt assez fort. » [scald=27905379:sdl_editor_representation] La D1, Seraing l’a connue aussi. Dans les années 80, sous la houlette d’Yves Baré et lors de l’ère péruvienne, avec Rojas et Oblitas. Dans les années 90, avec son mécène Gérald Blaton et la période brésilienne des Wamberto, Edmilson ou Isaias. Même s’il n’a plus le même matricule, le club, qui a déjà rejoint le monde professionnel, en assume l’héritage. L’équipe a également connu pas mal de soubresauts depuis la reprise par Bernard Serin, propriétaire de Metz, en 2013. Mais l’actionnaire majoritaire a laissé les clés à un autre liégeois, Mario Franchi, grand supporter du Standard, où il possède une loge, qui a amené le club en D1B en profitant, l’été dernier, d’un défaut de licence d’un club de niveau supérieur. Sans jamais hésiter à puiser dans le vivier du Standard en termes de dirigeants (le directeur général est Philippe Gilis, l’ancien responsable financier des Rouches), d’entraîneurs (Emilio Ferrera est à la tête des Métallos) ou de joueurs. « Quand j’ai besoin de quelqu’un à un poste, pourquoi aller voir ailleurs quand je peux travailler avec des gens que je connais s’ils sont libres ? », assume Mario Franchi, un président de Seraing qui vivra un match particulier, ce mercredi. « Le Standard et Seraing sont mes deux clubs de cœur. Et il y a de la place pour deux clubs en D1A. La situation de Seraing y serait encore meilleure qu’en D1B, car il y a plus de facilités financières. Les sponsors viendraient plus facilement, le stade serait plein trois ou quatre fois par an avec de belles affiches… D’ailleurs, j’estime que plusieurs clubs de D1B peuvent rivaliser avec la deuxième partie de la D1A. Certes, notre budget actuel de 3 millions devrait être revu à la hausse, mais certainement pas du simple au double. Actuellement, nous prenons en charge le salaire des sept joueurs venus de Metz, et notamment des extracommunautaires. C’est un budget important dans une saison où le Covid entraîne une perte de 500.000 euros, dont 200.000 pour toutes les mesures à mettre en place pour pouvoir jouer. » Malgré tout, Mario Franchi, qui a relancé l’école des jeunes – « Quand je suis arrivé, elle était morte ; or, elle revit aujourd’hui avec 570 jeunes, et on a même dû en refuser cette année » –, reste confiant en l’avenir, malgré une assistance qui, la saison dernière, oscillait entre 1.000 et 1.500 spectateurs et qui compte 400 abonnés en D1B. Même l’incertitude autour des droits TV, qui plombe l’avenir financier des clubs français, ne l’effraye pas. « Bien entendu que c’est une période délicate, mais Bernard Serin est un grand monsieur. Je pense que la collaboration, excellente, va se poursuivre sans problème, car Metz veut faire grandir ses joueurs chez nous dans une compétition plus relevée que la réserve française. » Et surtout si c’est la D1A…

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