Zerkani, le Papa Noël salafiste

N’étaient les stigmates laissés sur son front par les cinq prières quotidiennes, Khalid Zerkani – cheveux longs et barbe hirsute – aurait davantage l’allure d’un brahmane que d’un gourou salafiste. Pour un peu, on peinerait même à concilier l’idée qu’on se fait de la fonction avec l’image passablement crapoteuse de ce petit bonhomme exalté et véhément dont le survêtement de sport tire-bouchonne à l’aplomb de baskets fatiguées. Et pourtant, Zerkani serait bel et bien « le plus grand recruteur de candidats au djihad du pays », selon le procureur fédéral Bernard Michel qui a requis contre lui une peine de quinze ans de prison, devant la cour d’appel de Bruxelles, en février dernier. Dans un jugement rendu sept mois plus tôt, le tribunal correctionnel de Bruxelles avait, plus sobrement, stigmatisé sa « triste spécialité de circonvenir des personnes en décrochage, souvent très jeunes, pour les endoctriner et les inciter à gagner les terres de djihad ». Et il avait condamné Khalid Zerkani à douze ans de réclusion. Ce jeudi 14 avril, sa peine a été alourdie en appel à 15 ans de prison. On pointe le rôle majeur qu’il aurait tenu au sein d’une filière qui, en trois ans, achemina vers la Syrie une kyrielle d’aspirants combattants – au moins 18, selon le tribunal, au moins 59, selon « l’expert en djihadisme » Peter Van Ostaeyen. « Des techniques de contre-filature » Et pas des moindres puisque l’enquête suscitée par les attentats de Paris allait révéler que Abdelhamid Abaaoud, Chakib Akrouh, Gelel Attar et Reda Kriket – arrêté ce 24 mars à Boulogne-Billancourt en France et suspecté d’avoir projeté un attentat chez nos voisins – avaient tous transité par « la filière Zerkani ». Lui, il a toujours nié dans une logomachie qui n’appartient qu’à lui : « Je refuse d’être qualifié de djihadiste, je suis une personne pacifiste », a-t-il martelé derechef devant la cour d’appel où il contestait son jugement. Le fait est que Khalid Zerkani ne s’est jamais rendu lui-même en Syrie. Au contraire de tout son entourage. [scald=906128:sdl_editor_representation] Le réseau organisé autour de sa personne avait été démantelé en février 2014. Une enquête difficile : Zerkani n’utilise guère le téléphone – s’il le fait, c’est le plus souvent le GSM d’un autre –, jamais les SMS, ni les conversations électroniques. S’il doit jamais parler au téléphone, c’est en langage codé. C’est un homme rusé. L’enquête allait même montrer qu’il « use, à l’occasion, de techniques de contre-filature et qu’il pousse la précaution jusqu’à faire détenir ses propres téléphones par des tiers ». « Choisi par Allah pour remplir certaines tâches » Khalid Zerkani, alias « Abou Riad », est né à Zinata en 1973. On ignore quand, et comment, il est arrivé en Belgique. A Molenbeek, il fréquente des gens comme Mustapha Bouyabaren, Mohamed Saïd, Rachid Benomari – tous condamnés pour avoir rejoint les rangs des milices Shebab en Somalie – ou encore Abderrahim Ajbar, l’imam « très radical » de la mosquée El Nasr, parti pour la Syrie en septembre 2012. Khalid Zerkani s’est lui-même entouré d’une petite cour de jeunes disciples qu’il a gagnés à ses idées extrémistes. Tout ce petit monde se retrouve rue de Ribaucourt, boulevard Léopold II, rue Vanderstichelen ou rue de la Meuse. Zerkani servait le café. « Il parlait du djihad armé, a raconté un de ces jeunes aux enquêteurs. C’était un devoir. Il basait ce devoir sur des versets du Coran. Il était salafiste, je crois ». Khalid Zerkani a toujours contesté avoir jamais professé pareilles idées. Pourtant, un jour de juillet 2012, alors qu’il est interpellé par une patrouille, il refuse de toucher un objet « qui a été manipulé par un kouffar » et il apostrophe les policiers : il a été choisi par Allah, annonce-t-il, pour remplir « certaines tâches » à Bruxelles. « Voler les mécréants, c’est admis par Allah » Le job ? Endoctriner des gamins et les envoyer au casse-pipe syrien. En leur apportant l’aide logistique appropriée. C’est lui qui fournit les faux documents – début 2014, on retrouva dans une valise qu’il avait détenu plusieurs passeports volés, belges et étrangers – et les coordonnées d’« Oussama », son passeur attitré. C’est lui, aussi, qui finance le voyage : il remettra jusqu’à 4.500 euros à l’un des jeunes en partance (« Parti travailler », comme il le dira un jour à Fatima Aberkan en évoquant son fils en route pour le front). [scald=906127:sdl_editor_representation] Officiellement, pourtant, Zerkani n’a pas un sou vaillant. Depuis 2008, il n’a déclaré que des ronds-de-carotte à l’administration fiscale – 3.500 euros en 2009, son année la plus faste. Lorsqu’il est contrôlé, un jour de mai 2013, dans un salon de thé, on trouve sur lui une somme croquignolette en écochèques, en travellers chèques japonais, en dinars, en dollars canadiens, en couronnes suédoises. Et lors de son interpellation, le 24 février 2014, il est porteur d’une somme de 4.397 euros, de 1.235 dollars et de billets de banque singapouriens, marocains, libanais, émiratis… D’où lui vient tout cet argent ? Les enquêteurs sont convaincus qu’il provient de vols commis, pour la plupart, dans les gares bruxelloises. « Le prévenu Zerkani, dit à son propos le jugement rendu à Bruxelles le 29 juillet 2015, incitait ouvertement les jeunes à commettre des vols en leur disant “qu’ils devaient voler les mécréants car c’était admis par Allah” ». Papa Noël Rien de neuf, à vrai dire. Ça s’appelle la « ghanima » : l’idée, c’est qu’il permis de voler si le butin sert la cause. Dès avril 2012, le Service général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS) suspecte que « le groupé séditieux qui se réunit rue de Ribaucourt finance la cause islamiste par des faits de droit commun ». Reda Kriket, un braqueur français qui a rejoint la filière Zerkani – il sera condamné par défaut, lors du même procès, à dix ans de prison – passe pour avoir pratiqué la « ghanima » : il aurait ainsi remis une somme de 12.000 euros à un autre prévenu pour financer son voyage en Syrie. L’enquête a montré que Zerkani était, selon toute évidence, le « Marouane » désignés par certains jeunes comme l’homme qui les incitait à voler les bagages dans les gares pour financer la cause islamiste. La fameuse valise aux passeports chouravés contenait aussi un démagnétiseur grâce auquel les articles protégés contre le vol ne font pas couiner les alarmes des portiques quand on les passe en douce aux caisses des magasins. Les voleurs à la tire qui oeuvraient pour la filière n’avaient pas affaire à un ingrat : bon prince, Khalid Zerkani en récompensait parfois l’un ou l’autre en lui faisant cadeau d’un caméscope ou d’un MP3. C’est pour ça que les gamins l’appelaient Papa Noël.

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