14 avril 2012 : «Il y a cent ans, le Titanic sombre. Une légende noire»

«A tribord, toute ! » Il est 23 h 40, le lundi 14 avril 1912, lorsque ce cri étranglé résonne dans la cabine de pilotage du Titanic. Le plus grand paquebot du monde, majestueux avec ses 269 mètres de long et son luxe outrecuidant, flotte dans les eaux froides de l’océan Atlantique. Plusieurs messages ont été envoyés par des navires de passage faisant état d’un «vaste champ de glaces ». Mais la vue est relativement dégagée. Le capitaine Edward Smith, le plus expérimenté de la White Star Line, est parti se reposer. Rien de fâcheux ne peut arriver à ce navire « insubmersible » lors de son voyage inaugural vers New York. Comme ne cesse de le répéter le propriétaire de la compagnie, Bruce Ismay, «ce voyage ne peut pas être un échec ». Il est à bord, en compagnie de Thomas Andrews, le concepteur de ce miracle d’ingénierie. Dans les cales, 324 « gueules noires » nourrissent les chaudières au rythme de 650 tonnes de charbon par jour. Le Titanic aux multiples superlatifs est aussi le bâtiment le plus rapide au monde, il creuse son sillon à l’allure de 40 km/h. Les 2.227 passagers et membres d’équipage peuvent dormir sur leurs deux oreilles. La température est tombée sous zéro degré. De leur hune, les veilleurs Fleet et Lee scrutent l’horizon. Aux alentours de 23 h 30, une brume légère se lève. Dix minutes plus tard, l’effroi se lit dans leurs yeux : « Iceberg droit devant ! » Un gros bloc émergeant de 25 à 30 mètres au-dessus de l’eau. Avisé, le commandant Murdoch n’a guère de temps pour réagir. Impossible d’arrêter le monstre en plein élan. Il tente la manœuvre d’évitement. Trop tard. La glace éventre le navire. C’est le début d’une rapide agonie : à 2 h 18, le Titanic se brise en deux parties. Une information confirmée lors de la découverte de son épave, en 1985. Le drame devient une légende noire de la mer, un mythe des temps modernes revisité dans de nombreux films et documentaires. Sur les ponts supérieurs, dans les minutes suivant l’impact, tout semble normal. Pour quelques instants seulement. Les passagers reçoivent encore une bonne demi-heure suspendue dans l’éternité. Parce qu’à l’avant du bateau, l’eau monte. La mer s’élève de quatre mètres à la proue. L’architecture du Titanic, ultramoderne pour l’époque, vacille sur ses bases. Le capitaine Smith, marin depuis l’âge de 13 ans, commandant depuis l’âge de 37 ans, doyen des traversées transatlantiques, est perplexe. Dans le soubassement du navire, les portes étanches ont été baissées. Elles devaient permettre de compartimenter les différentes cales, pour préserver les chaudières et permettre au géant blessé de poursuivre sa route. La plaie, béante, et la pression de l’eau ont rapidement raison de ces prouesses techniques. De nombreuses reconstitutions ont mis en avant le courage inouï de ces membres d’équipage mettant tout en œuvre pour défendre au péril de leur vie la célèbre chaudière nº6. Blême, Thomas Andrews a fait un rapide état des lieux de l’état de santé de son enfant : si les eaux prennent d’assaut cette salle-là, il en sera fini de la stabilité du navire. « C’est mathématique. » A 23 h 53, treize minutes après l’impact, le Titanic s’arrête. Peu après, les marins doivent se rendre à l’évidence : ils n’ont pu sauver cet endroit stratégique. S’ils ont réussi à dégager l’eau, la pression des flots a fini par faire céder les rivets de la coque, devenus fragiles comme de la glace. L’inondation est inéluctable. C’est une des théories récemment élaborées pour expliquer le drame. Dans la légende du Titanic, l’orchestre occupe une place centrale. En son sein, un Belge, le violoniste Georges Krins. A minuit quart, il se met à jouer des airs entraînants dans les salons de première classe, puis près du hall d’entrée du grand escalier. Un SOS a été envoyé aux bateaux des alentours, mais les plus proches d’entre eux, le Mount Temple et le Carpathia, se trouvent à quelque cent kilomètres de là. Tout au long des vingt kilomètres de couloir, sur les niveaux supérieurs, les indices deviennent clairs : la situation est critique. Peu après minuit, le capitaine Smith ordonne que l’on rassemble les passagers et l’équipage sur le pont supérieur. Les premières et deuxièmes classes avant les troisièmes. Les femmes et les enfants d’abord. Les canots de sauvetage sont décapelés. Problème ? Ils sont au nombre de seize, il en faudrait plus du double pour sauver tout le monde. Bruce Ismay, propriétaire de ce bijou aux portes de l’enfer, est resté pendant de longues minutes convaincu que l’inéluctable pouvait encore être évité. Il quittera son navire comme un lâche tandis que Smith et Andrews restaient à bord jusqu’au bout, figurant parmi la liste inachevée des quelque 1.500 victimes du plus grand naufrage jamais survenu dans le monde. Les canots descendent dans l’eau, les uns après les autres. La tension monte parmi ceux qui restent prisonniers de la carcasse tandis que l’eau se rapproche des niveaux supérieurs. Les dix mille ampoules qui illuminaient ce salon maritime ont rendu l’âme. Il fait noir. Les bruits de métal tordu se multiplient. Le père Thomas Byle reçoit la confession et donne l’absolution à plus d’une centaine de désespérés parmi les plus démunis des troisièmes classes. D’autres sautent à l’eau, en espérant un miracle grâce à leur gilet de sauvetage. 2 h 20, le mardi 15 avril 1912. La partie arrière du Titanic demeure quelques instants à flot, en équilibre précaire, sous les yeux sidérés de ceux qui se trouvent dans les canots. Le Carpathia arrivera sur les lieux un peu plus d’une heure plus tard. Sept cent dix survivants garderont à jamais en mémoire ces instants d’une insoutenable intensité dramatique. Cent ans après, d’autres générations y pensent encore, soutenus par les images de l’amour improbable de Kate Winslet et Leonardo Di Caprio au cœur d’un monstre vaincu. Révélateur de la fragilité des vanités humaines. (article paru le 14 avril 2012)

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