François Pirot: «Avoir une place sur terre est un droit»

Alors qu’il est en repérage pour Mobile home, François Pirot tombe sur Eurovillage, un ancien village de vacances isolé au milieu de la forêt ardennaise. Ce qui l’étonne, c’est d’y découvrir un moine bouddhiste en toge rouge sur le minigolf abandonné. De là naît l’idée de filmer ce lieu où les résidents attendent l’autorisation de rester sur notre territoire. [scald=911274:sdl_editor_representation] Quel fut votre challenge ? J’avais envie de me confronter à une institution, y passer du temps avec une caméra, laisser cette réalité que je connaissais peu être la matière du film. Je ne voulais pas me laisser encombrer par une militance d’office. J’ai fait en sorte que la matière à indignation vienne de la réalité et de sa complexité. Le ciné peut être un outil de recomplexification du réel, pour poser des questions. D’où un film ici et maintenant ? Oui, c’est un choix narratif et de sujet. Je m’intéresse à une période peu traitée, ce moment où les réfugiés sont à l’abri sur notre territoire, ont fait leur demande d’asile et sont en attente d’une réponse. Comment vivent-ils cette attente qui peut être excessivement longue et le fait de ne plus être maîtres de leur destin ? Tout en faisant jaillir la dureté de leur passé et l’inconnu du futur. Car une réponse négative, c’est le saut dans le vide de la clandestinité. Une réponse positive, c’est la possibilité d’exister, mais il faut tout reconstruire. Donc, c’est aussi un saut dans le vide. A-t-il été facile d’introduire une caméra dans ce lieu ? J’ai eu carte blanche au sein de l’institution jusqu’à un certain point. Je n’ai pas fait d’interview, je ne mettais pas en scène, je ne filmais pas à l’insu des gens, mais j’ai dû communiquer pour expliquer ma démarche. Chez les réfugiés, ce fut plus difficile. Tous les jours, je devais me justifier. Certains ne voulaient pas être localisés ou reconnus. Certains étaient en colère, d’autres avaient peur et avaient perdu la confiance en l’autre, ou pensaient que j’étais un espion de l’Office des étrangers. Ces gens sont dans une situation d’insécurité permanente. Je les filmais dans l’attente, l’ennui. Et je me suis rendu compte que c’est quelque chose d’un peu honteux. Quel est le rôle du lieu ? Ce lieu enclavé est métaphorique. Il traduit la géopolitique du monde. Il prouve à quel point l’immigration est contrôlée. C’était un lieu de villégiature où on pouvait jouir de ne rien faire. J’y filme des gens qui ne peuvent rien faire, mais sont dans l’impossibilité d’être en état de vacanciers puisque leur attente est angoissante et stressante. Qu’avez-vous appris ? Se construire comme individu s’impose la nécessité d’avoir une place sur terre. Refuser ce droit fondamental à quelqu’un est très violent. Il faut en être conscient. En Europe, nous vivons dans une forteresse. Nous sommes privilégiés. Toute personne qui quitte tout (pays, travail, famille, amis…) a une bonne raison de le faire car vivre l’exil est une douleur. Dire qu’il y a des bons et des mauvais réfugiés est un discours terrifiant. On ne peut pas adopter de solutions simples pour des situations complexes et très diverses. Derrière chaque cas, il y a des individus. Et il y a beaucoup plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent. Or, il y a une instrumentalisation politique indécente de la question ! On stigmatise les demandeurs d’asile pour des enjeux électoralistes et c’est scandaleux. Qu’est devenu le Kurde iranien obligé de quitter le centre ? Il est réceptionniste dans un hôtel près de l’Atomium. Il a pu introduire une nouvelle demande car il a réussi à avoir de nouveaux documents prouvant qu’il faisait partie d’un parti d’opposition. Il a 37 ans, et en paraît 20 de plus. L’exil l’a fait vieillir prématurément… Ça fait 7 ans qu’il est en Belgique et attend d’être fixé… [scald=911273:sdl_editor_representation]

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