Les histoires insolites des Panama Papers

C’est une fuite record : 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca, l’un des plus grands créateurs de sociétés offshore au monde. Dans ces documents, on retrouve pas mal de célébrités : chefs d’Etat, riches familles… Le Rembrandt Quand on est administrateur de plus de 10.000 sociétés offshore en parallèle, on n’est sans doute plus tout à fait conscient des actes que l’on pose pour chaque société. C’est ça le métier d’un homme de paille : signer ce qu’on lui dit de signer, et se taire en toutes circonstances. Ces hommes de paille auraient pourtant pas mal de choses à raconter. Le 25 avril 1997 par exemple, les deux pseudo-administrateurs de Van Dyk Holdings Ltd, offshore créée quelques jours plus tôt sur l’île de Niue, valident une augmentation de capital de 2,6 millions de dollars. La demande vient évidemment du citoyen espagnol à qui appartient l’offshore. Et ces 2,6 millions vont être directement déboursés, avec le feu vert des hommes de paille, dans l’achat d’un tableau de Rembrandt (« Student at candle light ») et d’un Van Ostade (« Peasant »). La première toile coûte 1,9 million, l’autre 700.000 dollars. Et dire que les hommes de paille n’ont même pas pu voir ces deux toiles… La prof Ideal du Gazeau Limited », c’est le nom d’une société offshore créée aux Seychelles en mai 2011, et toujours active aujourd’hui. Derrière les hommes de paille qui gèrent cette société, deux Belges sont aux commandes : une mère et sa fille. Les Panama Papers ne nous permettent pas de comprendre avec précision l’utilité de la société. Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est l’identité des bénéficiaires, dont nous avons copie du passeport. Et une petite recherche sur les fonctions de ces deux femmes nous a conduit à une trouvaille cocasse : la fille donne aujourd’hui un cours intitulé « éthique de l’entreprise » dans l’enseignement supérieur. Prévoit-elle un chapitre sur les sociétés offshore ? L’héritier « J’ai reçu un coup de téléphone de Monsieur K. (il restera anonyme, NDLR), en pleurs. Je suis sérieuse ! Il est très frustré parce qu’il essaye d’accéder à son compte bancaire depuis 10 mois », écrit une employée de Mossack Fonseca à sa collègue. Ce Monsieur K. est un jeune mannequin, à la nationalité belge. Sa grand-mère est décédée à l’âge de 95 ans, et il aimerait avoir accès au compte que Mamy avait planqué sous une offshore au Panama, Seligma Management Corp. Un vrai parcours du combattant. Il pensait que ce compte était logé à Genève, à la Société Générale. Mais on lui répond que ce dossier a été transféré à la filiale bahaméenne de la banque. Et dans les îles, ça coince… Société Générale Bahamas veut en effet recevoir une copie homologuée du testament de la grand-mère. Une demande insensée selon Monsieur K. : « On ne peut pas faire homologuer le testament en Belgique, parce que ma grand-mère n’avait pas de biens en Belgique. Si elle avait des biens en Belgique, nous n’aurions pas eu besoin d’un compte aux Bahamas et les gens aux Bahamas n’auraient pas de travail (excusez-moi d’être cynique) », balance Monsieur K. dans un mail. Vont suivre des mails surréalistes, pendant plusieurs mois, dans lesquels notre mannequin va se plaindre d’être fauché sans l’accès au compte de son aïeule. Monsieur K. finira par faire appel à un avocat bahaméen pour tenter de débloquer son compte et régler le problème une fois pour toute. En vain. Fin 2015, plus de deux ans après la mort de la mère-grand, la situation n’est toujours pas réglée… Et la fuite s’arrête là. Le fortuné Tout est plus facile avec quelques millions. Ce n’est pas le bureau panaméen Mossack Fonseca qui dira le contraire. Quand Sebastiaan Saverys, membre d’une famille belge fortunée, demande à Mossack de reprendre la gestion de sa société aux îles Vierges, c’est l’effervescence au sein de la société. « L’actionnaire appartient à l’une des familles les plus riches de Belgique. Cette famille a décidé d’investir au Pérou. Ils mettent en place une usine au Pérou pour traiter la stevia (édulcorant naturel). Je vous prie d’accélérer le transfert », écrit l’employée de Mossack Fonseca Pérou. « Salut Susan, merci de me faire prendre conscience de l’importance de l’affaire. Je veillerai à sa mise en œuvre rapide. Je suis à votre service pour toute question/aide supplémentaire », répond sa collègue du bureau central panaméen. En moins d’une semaine, l’affaire est bouclée. Selon que vous serez puissant ou misérable… La créatrice Dans les Panama Papers, on trouve également un contrat entre une maison de haute couture italienne et une créatrice de mode « internationalement réputée ». Cette dame, via sa société luxembourgeoise, est chargée de designer des sacs et des ceintures en cuir pour les collections automne/hiver 2014-2015, printemps/été 2015 et automne hiver 2015/2016. La charge de travail est de « 132 jours par an, au maximum ». Ce qui laisse pas mal de temps libre. Et le job est grassement rémunéré : salaire fixe de 50.000 euros par mois, soit 600.000 euros par an. On lui rembourse aussi ses déplacements (classe économique en avion, première classe en train). Et « en cas de transport en limousine, notamment quand l’individu (la créatrice) vient de sa résidence à Lugano », le service sera « payé directement » par la maison de haute couture. Dites, vous engagez ? La carte Jean-Denis Sarraquigne (ex-propriétaire du Sénéquier, à Saint-Tropez) est propriétaire d’un yacht logé dans une société aux îles Vierges britanniques. Fait rare : en septembre 2015, l’antenne locale de Mossack Fonseca reçoit un courrier adressé à Mentore Inc, l’offshore qui possède le yacht. L’employé de Mossack s’adresse alors à Sarraquigne, via son conseiller. Mossack peut lui transférer le courrier, mais le service est payant : « 30 dollars pour ouvrir, scanner, et envoyer par mail le contenu de chaque enveloppe reçue. Cela inclut 5 pages scannées. Chaque page scannée supplémentaire sera facturée 5 dollars. Une surcharge de 15 dollars est d’application si l’original doit être envoyé par avion. » On n’a pas intérêt à recevoir un bouquin… M. Sarraquigne acceptera de payer 30 dollars pour recevoir par mail une copie de ce courrier daté du 10 septembre 2015. « Joyeux Noël et Bonne année », peut-on simplement y lire sur une carte en italien. Si on commence à envoyer des bons vœux en septembre… Le parano William est belge, la cinquantaine. Avec sa mère il détient un compte chez HSBC Luxembourg. Enfin, il détient plutôt l’offshore panaméenne, White Horse Consulting, dans laquelle est logée ce compte. C’était HSBC qui s’occupait de tout, jusqu’au jour où William en a eu marre : il n’apprécie pas le « virage pris par HSBC » qui pourrait « compromettre son anonymat ». Il décide donc de se passer d’intermédiaire, et de travailler directement avec Mossack Fonseca (et dire que cette société assure qu’elle ne traite jamais avec des particuliers !). Seule une employée de Mossack Luxembourg obtient sa confiance. Dans un mail, elle écrit : « Il (William) ne veut pas qu’on l’appelle du Panama. Il veut que notre bureau (au Luxembourg) soit utilisé comme point de contact. Il vit en Belgique mais peut venir au Luxembourg pour la paperasse. Il ne veut recevoir aucun courrier à son domicile, il préfère que les factures arrivent dans notre bureau ». Son diagnostic : « William est paranoïaque à l’idée de donner des détails sur lui-même. (…). Il a fallu lui tirer les vers du nez pour le faire compléter » un document d’identification. La marge Les échanges de mails avec Mossack Fonseca ne sont pas toujours tendres. Surtout lorsque des sous-traitants de Mossack by-passent la société panaméenne. Exemple : Mossack avait mandaté un bureau chypriote pour réaliser la comptabilité d’une société détenue par un Belge. Mais, au lieu d’envoyer sa facture à Mossack, le comptable chypriote a directement contacté le client belge. Et là : colère ! « Quand un bureau de Mossack vous demande de contacter directement un client, vous ne pouvez qu’envoyer des procédures, des délais, des exigences, mais RIEN à propos des tarifs ». Ce qui prête à sourire, c’est la raison pour laquelle Mossack s’enflamme. Le bureau refuse en fait que les factures soient envoyées au client car la société panaméenne prend systématiquement une marge sur tout service qu’elle rend. Quand un avocat québécois demande 1.650 dollars à Mossack pour créer une société, Mossack facture 2.000 dollars à son client. Selon le service, la marge oscille entre 25 et 50 %. Pas mal quand le job consiste simplement à transférer des mails et des factures…

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