Chez Lefevere, le mieux est l’ennemi du bien

Derrière son masque et sous ses cheveux d’argent, Patrick Lefevere souriait et comptait ses sous en même temps, en assistant, radieux, au triomphe de son Danois. Car en marge de la victoire, capitale pour des sponsors flamands au Ronde, l’équipe Deceuninck-Quick Step est en phase de (re)construction. 26 des 30 coureurs, dont Kasper Asgreen, sont en fin de contrat. Et en dépit de sa bonne volonté, Lefevere ne pourra conserver tout le monde. Le succès colossal de son Wolfpack fait des envieux voire des jaloux. Il n’est pas toujours simple d’être la meilleure équipe du monde et de ne disposer « que » du septième budget du WorldTour. Le Flandrien connaît cette musique depuis 30 ans. Il jongle avec des sponsors endémiques, généralement des partenaires qui ont pignon sur l’E17 entre De Pinte et Courtrai et qui fabriquent d’ailleurs vitrines, châssis ou vérandas. Comme lorsqu’on « montait » des équipes dans les années 80 avec différents motifs sur les maillots, le contexte a peu changé. « J’ai une seule fois reçu une offre qui m’aurait permis de voir plus large avec le groupe Franke », répète-t-il souvent, « mais cela ne s’est pas fait pour des raisons que je regrette toujours amèrement. » Des raisons qui ont poussé Lefevere à traduire trois collaborateurs du quotidien « Het Laatste Nieuws » (2009) en justice après une enquête à charge dont le titre était sans équivoque : « Lefevere, 30 ans de dopage ». Les 500.000 euros obtenus devant le juge n’ont pas effacé l’ardoise d’un investissement estimé à 15 millions d’euros, une somme colossale à l’époque. Lefevere a donc repris son bâton de pèlerin, son sens des affaires, sa noblesse bourguignonne autour d’une table et d’un bon vin pour attirer des partenaires. Deceuninck, le dernier en date, a ouvert ses portes, ses fenêtres, en même temps que son entrée en Bourse avec le même succès que les coureurs. Les parquets Quick Step ne sont pas en reste, les magasins Lidl ont explosé en France et certains en viennent même à comparer la bière Maes 0.0 à un breuvage digne d’un festin pascal. Mais on reste loin d’un « major sponsor » comme Ineos, UAE, Astana, Jumbo-Visma. La success story de Lefevere s’explique donc en partie par la volonté des coureurs d’arrondir leurs fins de mois… en gagnant des courses. Le confortable salaire garanti n’est pas la tasse de thé du patron qui préfère, comme il nous le disait récemment, maintenir le feu sous le cul des coureurs (sic). En revanche, celui qui « ramène » un monument peut négocier ensuite d’inclure dans le contrat de l’année suivante, la totalité de la prime d’un Tour des Flandres par exemple. « Je peux déchirer le contrat que j’étais sur le point de préparer à Philippe Gilbert », annonça-t-il ainsi en 2017 après la victoire de l’Ardennais au Ronde. Il a pratiquement dit la même chose, dimanche soir, après avoir enlacé le champion du Danemark. Car Asgreen, qui est forcément convoité par d’autres formations, aura le choix entre un portefeuille mieux garni ailleurs et des garanties sportives là où il est arrivé en 2018 en remplaçant Florian Sénéchal au pied levé à Waregem. Admiratif de Cancellara et… de Gilbert, dingue de pavés, où pourrait-il aller d’autre ? Cet homme qui cultive de surcroît l’art de l’équipier de luxe, comme Terpstra le fit avant lui (le Néerlandais avait, lui aussi, réussi le doublé E3-Ronde en 2018) ne viendra pas réclamer des garanties à son patron en termes d’encadrement, d’équipiers etc. Et l’expérience de Terpstra, précisément, parti monnayer son talent chez Total Direct Energie lui servira de pare-feu. C’est la force de Lefevere, aussi, de convaincre ses stars de leur… dépendance au Wolfpack. Julian Alaphilippe aurait déjà pu partir deux fois. Des équipes françaises lui ont proposé un pont d’or. Il a chaque fois prolongé chez Lefevere. Le mieux est l’ennemi du bien et le champion du monde l’a parfaitement compris. Équipier de luxe au Ronde, parce qu’il aurait été incapable de faire mieux, le Montluçonnais a maintenant la clef du magasin Deceuninck. Son équipe a fait le plus dur en remportant le Tour des Flandres dont van der Poel et Van Aert étaient les favoris. Elle lorgne désormais sur les classiques ardennaises, dont la tête de gondole, Liège-Bastogne-Liège, hante les nuits de Julian Alaphilippe depuis qu’il a stupidement présumé de sa victoire, l’année dernière, au confluent de l’Ourthe et de la Meuse.

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