Elisabeth Leonskaïa, une pudeur qui cache des braises incandescentes

Un port altier, un jeu engagé sans concession mais parcouru de sentiments subtilement rendus, une énergie farouche maîtrisée par une pudeur racée. Il y a du feu dans cette femme mais celui-ci grésille toujours derrière une retenue légendaire. Elisabeth Leonskaïa est un pur produit de l’école russe, un outil pédagogique incomparable à ses yeux. « Il repose sur une culture et son langage. L’artisan qu’est un instrumentiste doit tout connaître de son instrument, savoir ce que représente un “expressivo”, un “legato” ou un “portamento”, ce que signifie pour Beethoven un “sforzando”. Alors vous pouvez commencer à lire correctement un texte, à comprendre le rôle d’un phrasé. C’est alors qu’intervient la seconde étape quand on se demande pourquoi ces choses sont demandées. C’est alors qu’un texte prend sa signification par-delà les formes et entre les notes et que l’artisan devient un artiste. Chacun aura sa propre démarche mais toutes correspondront à la même formation d’excellence de base. Et à une exigence qui vient du cœur du fond de notre culture : la musique vient du cœur et cette réalité appartient à notre vécu de chaque jour. C’est ce qui fait que l’école russe au travers des générations, des influences et des régimes politiques ». Leonskaïa s’impose les préceptes de cette démarche jusque dans ses exigences les plus extrêmes mais ses interprétations, pensées en profondeur, refusent tout exhibitionnisme. Elles peuvent choquer, bouleverser, passionner mais elles gardent toujours une ligne pure. En ce sens, elle s’inscrit dans la grande lignée russe des Guilels et Richer. Avec une attention particulière pour ce dernier. « Il a beaucoup compté pour moi. Une profonde amitié nous unissait. C’était une personne, adorable, une personnalité éblouissante et un artiste souverain. Il était droit et pur sans concession et osait assumer jusqu’au bout ses choix ». Elle se produit en duo avec lui. On vient de rééditer leurs enregistrements de Mozart et Debussy. Dans une époque où l’Union Soviétique cherche à fabriquer des bêtes à concours, elle semble appartenir à un monde révolu mais qu’elle perpétue avec une foi inébranlable. En 1978, elle saute le pas et s’installe à Vienne au cœur du pays qui a créé la musique chère à son cœur. Elle est occupée et réenregistrer tout Schubert et se dit fascinée par l’évolution du compositeur.« A ses débuts, on pense d’abord à Haydn et puis le discours évolue. Il évoque Beethoven mais va ailleurs, il module sans arrêt transformant l’écoute en un perpétuel voyage. Il se fait lyrique dans ses adagios et dansant dans ses évocations de ländler, les moments de danses populaires autrichiennes. Parce que tous ces ingrédients sont pour lui émotionnellement importants. Mais sur la fin, un horizon nouveau se déploie : l’avant-dernière sonate D 959 est déjà du Bruckner et la D 960 est ailleurs, partie pour un voyage sans retour ». A Bruxelles, cette grande amoureuse du répertoire romantique jouera le concerto de Schumann : le plus instinctivement romantique du répertoire car il épouse toujours la sensation de l’instant. Mais attention, son maître, la grande Maria Youdina lui a appris que la notion n’est pas restrictive : le cours qu’elle y consacrait allait de Bach à Bartók ! En récital, Leonskaïa, nous offre un Schubert, celui de la sonate D 568 encore imprégné de sa fraicheur naturelle, le Brahms concentré et introspectif des Fantaisies op.116 et la 2e sonate de Tchaïkovski. « Sa plus grande œuvre pour piano, souvent délaissée parce que sa filiation classique dérange. Elle correspond pourtant si bien à la vie tourmentée de ce compositeur ». Et ainsi va Elisabeth Leonskaïa, indispensable et incontournable, parce qu’elle ne cesse d’aller à l’essentiel. Schumann, Concerto, ONB, Boreyko ; PBA, vendredi 22 et dimanche 14 à 15H ; Schubert, Brahms, Tchaikowski ; PBA mardi 26. Réservation 02 507 82 00 ou www.bozar.be

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