Moyen-Orient: quel jeu Netanyahou joue-t-il dans le dossier iranien?

Binyamin Netanyahou joue-t-il avec le feu dans le dossier iranien ? L’actualité récente alimente les spéculations et cette question à propos de la stratégie du Premier ministre israélien se retrouve dans les journaux de l’État hébreu non sans une pointe d’inquiétude. Le contexte est bien connu : le régime des ayatollahs suscite depuis longtemps la méfiance de nombreux pays pour plusieurs raisons dont la première concerne ses ambitions nucléaires militaires supposées. Les principales puissances occidentales, avec la Russie et la Chine, avaient conclu un accord en juillet 2015 avec la république islamique d’Iran pour limiter ses possibilités d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. En 2018, Donald Trump avait dénoncé l’accord, jugé insuffisant et trompeur, et réimposé des sanctions économiques drastiques, à la grande satisfaction d’Israël et de plusieurs pétromonarchies comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’Iran, en réponse, a progressivement augmenté son pourcentage d’enrichissement de l’uranium (le stade des 60 % a été annoncé ce 16 avril, il en faut 93 % pour faire une bombe). De son côté, Joe Biden, qui a évincé Trump à Washington, entend réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien et de difficiles négociations indirectes ont débuté à Vienne. [scald=28026070:sdl_editor_representation] Ce nouveau revirement américain ne plaît pas à Israël, et surtout pas à Netanyahou, le sempiternel Premier ministre qui a fait des menaces « existentielles » iraniennes son fonds de commerce depuis une bonne dizaine d’années. Depuis plus de deux ans, a-t-il officieusement fait savoir ces jours-ci, des dizaines de navires iraniens transportant diverses marchandises comme du pétrole pour l’allié syrien ont été attaqués par l’armée israélienne. Un important responsable scientifique nucléaire iranien a été assassiné près de Téhéran en novembre dernier, alors que l’usine nucléaire iranienne de Natanz, où l’essentiel de l’enrichissement d’uranium est centralisé, a été victime de deux attaques, en juillet 2020 puis ce 11 avril. Cette dernière attaque, à la bombe, a provoqué des dégâts considérables, des milliers de centrifugeuses auraient été détruites et nombre d’autres mises hors-service. Fin de la « politique d’ambiguïté » Ce qui inquiète une partie des responsables israéliens et certains journaux ne concerne pas ces méthodes d’action mais le fait que Binyamin Netanyahou a décidé de rompre avec la « politique d’ambiguïté » traditionnelle. Jusqu’ici, l’État hébreu ne revendiquait jamais aucune action secrète de ses services ou de l’armée. Il frappait, parfois fort – deux centrales atomiques en construction avaient notamment ainsi été détruites, en Irak en 1981 et en Syrie en 2007 – mais sans confirmer son implication, ce qui permettait aux pays concernés d’éviter l’humiliation en plus des destructions. L’Iran, ici, s’est bien senti humilié puisqu’il a déjà cherché à répliquer en attaquant dans le Golfe depuis six semaines – sans les détruire – trois bateaux commerciaux appartenant à des hommes d’affaires israéliens. [scald=28026069:sdl_editor_representation] Yossi Melman, journaliste israélien, estime ainsi sur le site Middleeasteye.net que « tant que les missions de sabotage israéliennes étaient effectuées clandestinement et sous les radars de l’opinion publique, il était plus pratique pour l’Iran de les ignorer et de faire comme si rien ne s’était passé. Mais lorsque les fuites dans les médias ont commencé, il était clair pour les dirigeants de l’armée et de la diplomatie israélienne qu’il s’agissait d’un jeu dangereux avec un possible effet boomerang ». Le 15 avril, Yaacov Katz, rédacteur en chef du quotidien israélien conservateur The Jerusalem Post, posait crûment la question : « Pourquoi la responsabilité [israélienne des attaques contre l’Iran] est-elle prise et l’implication admise avec fanfaronnade et bravade ? Qu’est-ce qui a changé pour que l’on pousse l’Iran à répondre ? Si, jusqu’à présent, les réponses iraniennes ont été de faible ampleur et ont visé des navires privés, que dirons-nous lorsqu’Israël sera frappé par des drones explosifs et des missiles de croisière, que l’Iran a utilisés pour frapper l’installation de traitement du pétrole d’Aramco en Arabie saoudite en 2019 ? Il serait erroné et à courte vue de penser que cela ne peut pas arriver. » Les deux motivations de Netanyahou Selon Katz, Netanyahou – et lui seul – a décidé de clamer (officieusement quand même) haut et fort l’implication d’Israël dans les actions en Iran pour deux raisons : d’abord pour saboter les tentatives américaines de revenir à l’accord international de 2015 sur le nucléaire iranien et ensuite (sinon surtout) pour convaincre, par le déclenchement d’une crise de dimension « existentielle », de possibles partenaires politiques d’accepter de rentrer dans le nouveau gouvernement qu’il cherche désespérément à mettre sur pied en Israël. [scald=28026067:sdl_editor_representation] Depuis deux ans et quatre élections, le Premier ministre israélien cherche à réunir une majorité parlementaire qui lui octroierait l’immunité judiciaire. Son triple procès pour corruption s’est en effet ouvert et les premiers témoignages se sont révélés accablants pour lui. D’où le titre de l’article déjà cité de Yaacov Katz : « Netanyahou bat les tambours de guerre pour son profit personnel », qui comporte aussi ce constat amer : « On a l’impression, à l’heure actuelle, qu’Israël cherche délibérément à entrer en conflit avec l’Iran »… Le 12 avril, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz, rival de Netanyahou dans l’actuel gouvernement intérimaire, déclarait que « la question des bavardages porte atteinte aux intérêts sécuritaires d’Israël » (…), ajoutant que la politique d’ambiguïté d’Israël en ce qui concerne ses actions clandestines à l’étranger était compromise. « Il n’y a pas eu de discussion sur la politique d’ambiguïté. Je pense que c’est un comportement imprudent. Si cela découle d’intérêts personnels ou politiques, c’est extrêmement grave. » [scald=28026068:sdl_editor_representation] Dans le Haaretz, le célèbre commentateur Yossi Verter évoquait ce 13 avril la même piste à propos de Netanyahou : « Cette fois, il s’agit de son avenir et de sa liberté. La série d’incidents de sécurité impliquant l’Iran, et les fuites qui ne laissent aucun doute sur l’identité de leurs auteurs, donnent le sentiment que Netanyahou a perdu le peu de retenue qui lui restait. Dans le monde politique et de la sécurité [en Israël], la discussion est désormais ouverte : le Premier ministre cherche-t-il à déclencher une guerre avec l’Iran ou avec le Hezbollah au Liban pour pouvoir créer un gouvernement d’urgence ? » Tension avec Mr Biden Binyamin Netanyahou, ce faisant, opte pour un très possible bras de fer avec Joe Biden. Une sorte de remake des tensions qui ont persisté entre l’Israélien et un certain Barack Obama entre 2009 et 20017. Le président américain semble se tâter quant à l’attitude à adopter envers le Premier ministre israélien qui conteste sa politique iranienne jusqu’à tenter de la saborder. Le pensionnaire de la Maison-Blanche ira-t-il jusqu’à provoquer une crise frontale ? Rien n’est moins sûr.

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