«L’archéologie ne se contente plus d’illustrer l’histoire»

Laurent Olivier est archéologue et historien français. Conservateur en chef du patrimoine, il est responsable des collections d’archéologie celtique et gauloise du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Il passe pour avoir un certain franc-parler. [scald=28027833:sdl_editor_representation] Sans préjuger des fouilles pratiquées ces derniers mois en Egypte, on comprend qu’il y a différentes manières d’aborder l’archéologie. Comment s’y retrouver ? L’archéologie explore en principe l’inconnu passé. Or, bien souvent, on pense que ce passé est connu. A tort. On a cru ainsi que les premières fouilles de Pompéi ne nous apprendraient pas grand-chose sur l’époque romaine. Il suffisait soi-disant de remuer les cendres et de dégager les murs. Aujourd’hui, on se rend compte que l’histoire est aussi une post-histoire, qu’il faut prendre en compte la manière dont les objets de fouille se sont transformés et ont évolué. Or, c’est le sol qui nous apprend cela. J’ai eu l’occasion de faire des fouilles en Chine et de voir les archéologues chinois se contenter d’identifier les objets trouvés en fonction des dynasties, sans s’embarrasser de coupes stratigraphiques. En réalité, tout compte, depuis l’état initial du site – sa préhistoire – jusqu’à son état présent. Sous Mussolini, lorsqu’on a évacué le forum romain, on a enlevé toute l’architecture médiévale et renaissance présente sur les lieux car cela n’avait supposément pas d’intérêt. L’archéologie doit au contraire s’intéresser à l’histoire dans la longue durée. C’est un travail laborieux, tout le contraire d’un boulot de dégagement. L’archéologie procède, dit-on, d’une vision de la société actuelle. Paradoxal, non ? La pratique de l’archéologie est profondément sociale. Je dirais que c’est un révélateur extrêmement puissant de l’état mental des sociétés. Ce qui se passe en Egypte avec la découverte de cette « cité perdue » n’a rien d’étonnant. Ce défilé insensé de chars automobiles portant des momies renvoie à un mauvais péplum américain. Pour les régimes forts, le passé est aussi un élément de valorisation du présent. En Egypte, le pouvoir voudrait que les antiquités soient le miroir d’une grandeur présente. Il s’agit pour lui de valoriser une image existante, sans chercher à connaître vraiment le passé. Idéalement, comment faut-il procéder ? Pendant très longtemps, on n’a pas gardé les ossements d’animaux trouvés sur les sites de fouilles. De la même manière, lorsqu’on s’intéressait à la Grèce et à Rome, on ne conservait que la céramique décorée ou peinte, pas la céramique grossière. Or, en agissant ainsi, on jetait de l’information. Un os animal peut vous renseigner sur l’ADN, le cheptel, la technique d’abattage, etc. Un simple bol de céramique peut vous apprendre ce qu’il contenait via une analyse chimique. Cette manière de faire a perduré en France jusqu’à la fin des années 70. On ne gardait que les éléments exposables, suffisamment beaux. Mais l’influence des préhistoriens a changé la donne. André Leroi Gourhan, un ethnologue à l’origine, a compris en étudiant les campements de chasseurs de rennes du paléolithique supérieur que le sol sur lequel ils s’étaient établis avait enregistré leur mode de vie, leur culture, leur ethnographie. Depuis, le sol se lit comme une scène de crime. Ce fut une révolution. L’archéologie a suivi, et ne se contente plus d’illustrer l’histoire. Le rôle de l’archéologue a donc évolué. Est-ce toujours en bien ? Le rôle que tient aujourd’hui l’archéologue dans le processus qui mène aux travaux d’aménagement (autoroutes, zonings, centres commerciaux…) pose un autre problème. Là où des grands travaux ont lieu, l’archéologie préventive est appelée. Elle fouille alors et enlève ce qui va être détruit, mais elle n’a pas vocation de dire comment aménager ces endroits. Et pourtant, le chantier qui va suivre son passage va détruire des millénaires de mémoire. Je pense que l’archéologie a des choses à dire sur l’équilibre des lieux. Elle n’est pas là que pour mettre des tessons dans des boîtes. Chez nous, l’archéologie a été transformée en un business. Les aménageurs de grands travaux paient en réalité les archéologues pour des fouilles préventives qui les débarrassent de la contrainte archéologique. L’archéologie est là pour effacer l’archéologie d’une certaine manière… Mais on ne peut pas de toute manière tout conserver ? La question n’est pas là. La seule justification pour en appeler à l’archéologie est que le patrimoine appartient à tout le monde. C’est sa seule valeur. Or si l’archéologie est dévoyée par le business, elle est en conséquence désocialisée. Elle ne s’occupe plus du patrimoine de tous. Elle devient un objet de marché. C’est pourquoi aujourd’hui elle apparaît souvent comme le bras armé des aménageurs. Elle intervient parfois dans des zones très contestées, par exemple là où se battent les défenseurs de l’environnement. Les archéologues se retrouvent alors du côté des aménageurs. Leur position devient très ambiguë dans un tel contexte.

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