C’est du belge: Christine Aventin, la Fifi Brindacier made in Liège

En pianotant sur la toile, on peut retrouver un document de l’INA montrant l’interview de la jeune Christine Aventin, 16 ans, juste après la parution de son roman Le cœur en poche. Jeune fille souriante, un peu gauche, un peu naïve, mais qui pourtant livrait, via ce roman, l’univers dur de la jeune Alexandra dont la mère, prostituée, a été tuée par son souteneur. Oubliez ce visage poupon et encore enfantin : Christine Aventin, aujourd’hui, c’est autre chose. Une bagarreuse, une penseuse, une radicale qui rejette la mascarade féministe blanche néolibérale. Elle l’avait déjà montré dans Breillat des yeux le ventre en 2013, où sa voix et celle de la cinéaste se mêlent comme celles de sœurs siamoises (et où aussi elle affirme que, pour ses deux premiers romans, « elle a signé l’œuvre de son père »). Elle insiste avec pugnacité, érudition et foutraquerie dans son essai FéminiSpunk . Spunk ? C’est un mot qu’elle a trouvé dans Fifi Brindacier. Plutôt dans le texte original d’Astrid Lindgren, parce que la traduction française a fait de ce « spunk » un « warou » qui lui ôte toute connotation subversive. Spunk, en anglais, c’est en effet le cran, le courage, les couilles si on veut, et aussi le sperme en argot. La traduction édulcore totalement les mots de Lindgren. On se demande d’ailleurs pourquoi Pippi Långstrump, qui veut dire Longues-Chaussettes, est devenue Brindacier. Pour Christine Aventin, Fifi est le modèle même de la fille qui refuse la conformité, l’insoumise, celle qui choisit d’être pirate plutôt que dame bien élevée, celle qui ne répond à aucune catégorie, qui refuse d’entrer dans un moule, et particulièrement celui du langage. Parce que le langage enferme. Soit les mots sont imprégnés d’un substrat auquel on ne peut échapper. Soit ils perdent de leur signification, et donc de leur substance. Certains, queer, drag, fem, witch, sista, sont devenus mainstream et, donc, récupérés et dévoyés. Quels mots employer pour désigner la féministe d’aujourd’hui ? « La langue est un outil insurrectionnel : inventer les mots qui nous manquent, détourner les mots qui nous marquent », dit Christine Aventin. Alors spunk ! C’est subversif, ça permet de penser autrement, c’est radical. Et ça véhicule aussi des images de je-m’en-foutisme et d’ironie. « Et je tremble » Et c’est tant mieux. Le sujet du féminisme est, évidemment, tellement sérieux, documenté, étudié, décrypté, analysé : « Etre une femme, c’est être frappée de suspicion. C’est subir le regard de la honte. C’est porter sur son visage un sexe barré par la censure, voilé par la religion, surveillé par la famille, contrôlé par la médecine et la loi », écrit la présentation de Breillat des yeux le ventre dans l’édition d’Espace Nord. Et Aventin en a lu des ouvrages, des articles, des essais dont elle distille la quintessence dans le sien. Mais heureusement, elle écrit comme une corsaire élégante, interrompant sa narration pour laisser d’autres voix prendre la parole, des amies, son fils, racontant des aventures personnelles. Comme cette opération au crâne qu’elle dut subir pendant l’écriture de l’essai, dont elle est sortie crâne mi-rasé, spunk punk en quelque sorte. Et qui a nourri son recueil de poèmes Scalp . Elle y raconte en effet sa maladie, son opération, l’hôpital. Elle pense à la mort. Et à la vie : « Et je tremble je vous jure jusqu’au tréfonds du thorax d’une joie doutant de son nom Car me savoir survivante tient du désastre et de l’enchantement. » Et à sa vie, son père, la mémoire, le passé, le maintenant, l’écriture, la solidarité, les amantes, le confinement, le tatouage, la kora de Sona Jobarteh… Elle caracole, Christine Aventin, sur la crête de la langue, elle invente, elle rend la prose médicale poétique, elle pratique l’humour : « Total de Glasgow : 10 – coma léger – détaillé E5V1M4 (On dirait une plaque d’immatriculation luxembourgeoise, non ? » Et si on soufre avec elle, on sourit aussi avec elle, et on est heureux de la lire. [scald=28089867:sdl_editor_representation] [scald=28089868:sdl_editor_representation]

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