Petit « bleu » parmi nos Diables Enzo Scifo est au Heysel comme dans son jardin

Lundi 1er juin 1984 Samedi, seize heures trente. La plupart des internationaux conviés par Guy Thijs à une petite partie d’entraînement contre les « espoirs» ont déjà déserté un vestiaire dont ils connaissaient les moindres recoins. Enzo Scifo, lui, prend son temps. Sans trahir aucun signe d’émotion, sans se retourner sur la prestigieuse pelouse qu’il vient de fouler pour la première fois, sans penser à hier ni à demain, il quitte les douches pour un nouveau bain de foule. Un autographe par-ci, une photo par-là. Insensiblement, le pas s’accélère. Sur le parking du Heysel, des dizaines d’admirateurs, les yeux pleins de rêve, figés comme des mannequins dans une attitude un peu infantile, observent leur idole. Enzo se prête à ce rituel avec une décontracté équivoque. Indifférence, résignation, gentillesse, professionnalisme ? Nul ne sait exactement ce qui se passe dans la tête â cette jeune vedette déjà si loin de l’enfance. Dix-huit ans ! A seize ans, Pelé disputait la coupe â Monde, à dix-sept ans Maradona enfilait la vareuse de l’équipe nationale, à dix-huit printemps, le génie sicilien entre par la grande porte dans le club très prisé chapeauté par Guy Thijs. Il y a dix mois, seuls quelques habitués du parc Astrid devinaient la carrière exceptionnelle qui lui tendait les bras. Dans neuf jours, toute l’Europe du football se gavera de ses exploits. En attendant, Enzo a fait connaissance avec ses nouveaux coéquipiers et livré une brillante prestation sur le flanc droit de la ligne médiane. Problèmes d’adaptation ? Connais pas ! - J’ai été très bien accueilli ici, avoue-t-il. Même sur le terrain. Il faut dire que la présence de cinq autres Anderlechtois a particulièrement facilité les choses. En ce qui concerne mon placement, mes déplacements et mon style de jeu je ne craignais dès lors aucun contretemps. La classe est, il est vrai, la meilleure arme contre l’isolement. Trouvant immédiatement ses marques, Scifo s’est intégré instantanément dans un ensemble dont il ne tardera pas à devenir le pôle d’attraction. A condition, bien sûr d'obtenir dans les plus brefs délais ce passeport belge attendu comme une passe-partout par nos responsables fédéraux. Les dernières informations sont très encourageantes, affirme Enzo. La procédure suit rapidement son cours, et tout n’est plus qu’une question de détails. Je ne disposerai pas encore de mes papiers belges pour le match de mercredi, mais l’attente ne se prolongera pas au-delà du 9 juin. Je pourrai donc m’aligner à Lens, contre la Yougoslavie. Ceci dit je ne suis encore sûr de rien. M. Thijs se trouvait à Marseille jusqu’à ce matin, et nous n’avons pas encore discuté de l’avenir. Je n’ai reçu aucune garantie concernant une éventuelle titularisation. Il serait toutefois surprenant de retrouver sur le banc des substituts un élément pour lequel on a remué ciel et terre, sollicité la clémence des hautes instances européennes et entrepris une telle somme de démarches en tous genres. Pareille effervescence témoigne bien de certaines intentions... Et puis, Enzo serait cruellement déçu d'avoir délibérément renoncé à cette « Squadra Azzurra » dont il rêvait depuis si longtemps pour suivre le championnat d’Europe des Nations de l’autre côté de la ligne de touche… — Non, je ne regrette rien, déclare-t-il cependant. Je devais effectuer un choix, et il ne sert à rien de se poser trop de questions. J’ai bien pesé le pour et le contre, puis j'ai pris ma décision en mon âme et conscience. L’argument déterminant qui m'a poussé à opter pour la nationalité belge ? Un contrat de cinq ans que m’ont proposé les dirigeants du Sporting d’Anderlecht. Je suis encore très jeune, et cette marque de confiance représentait la sécurité ainsi que la récompense de cette extraordinaire saison qui m’aura apporté tant de surprises et de satisfactions. A présent, je vais essayer de m’imposer au sein de l’équipe nationale. Une tâche qui ne me fait pas peur ! Sur ces paroles impressionnantes de confiance et de résolution, Enzo Scifo prit congé de nous et de ses nombreux supporters, s’installa au volant de la somptueuse BMW qu'il vient de s’offrir, et fila comme un bolide sur l’avenue baignée de soleil. Tout un symbole...

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