Euro 2020: Jorginho, le maestro de la Squadra Azzurra

Jorge Luiz Frello Filho a quitté son pays natal, le Brésil, à 15 ans, avec Kaká comme modèle. À Vérone, où il avait abouti avec la bénédiction de sa maman, une ex-joueuse, son premier coach avait une autre perception de son développement. Il lui a montré des vidéos du Milan d’Ancelotti en attirant son attention sur un joueur en particulier : « Tu seras le nouveau Pirlo. » À 29 ans, Jorginho a effectivement pris la baguette de maestro. À ses premiers instants sur le banc de la « Nazionale », inaugurés le 28 mai 2018 face à l’Arabie saoudite, faute de « 10 » de sa propre trempe ou de celle de Zola, Del Piero ou Totti, Roberto Mancini avait exhibé son manifeste : l’équipe s’appuierait sur deux meneurs de jeu reculés, Jorginho et Verratti. Sur la qualité technique et la possession de balle. Les délicatesses musculaires du Parisien ont contrarié la présence simultanée des deux joueurs, mais, jamais, le sélectionneur n’a, pour ainsi dire, renoncé à Jorginho. Son métronome. Avec lui dans le cœur du jeu transalpin, le ballon va vite s’il en a décidé ainsi, il ralentit au contraire s’il a choisi de faire baisser le tempo. « Dans cette équipe, Jorginho est intouchable. Il rend tout très simple », dit de lui Verratti. « Des joueurs avec ses caractéristiques, il en existe très peu. Il hausse le rendement des joueurs qui évoluent à ses côtés, quels qu’ils soient. Il mérite de figurer sur la liste des candidats au Ballon d’or. » 11 kilomètres par match À un jour de la confrontation avec l’Espagne, à Wembley, la comparaison avec Sergio Busquets semble opportune et pertinente. Jorginho est un joueur tout aussi cérébral que le 3e larron du trio magique, que le « pivote » de la « Roja » formait avec Xavi et Iniesta. Jorginho est tout aussi sobre que le Catalan. Il ne cherche pas les arabesques, mais bien le partenaire libre pour le joindre le plus rapidement possible et maintenir ainsi une circulation fluide du ballon. Il rend meilleur ses partenaires parce qu’avant même de le recevoir, il sait déjà ce qu’il va en faire en fonction du rapide état des lieux auquel il a procédé. Il gagne plusieurs fractions de secondes et, par conséquent, en fait aussi bénéficier le destinataire de sa passe. Cette sobriété dans son jeu, cette implication athlétique qu’il réduit à l’essentiel, préférant interrompre les passes par un positionnement préventif, le font, aux yeux de certains, passer pour un joueur effacé. Rio Ferdinand l’avait ainsi sévèrement épinglé. « Il n’apporte rien, ni à un bout ni à l’autre du terrain. Il fait 2000 passes, mais zéro assist. » Pour contextualiser cette critique, l’ancien défenseur de Manchester United avait émis celle-ci à la fin de la lune de miel entre la Premier League et le « Sarriball. » Le jeu de possession de Chelsea avait perdu de sa « hype » après le « Boxing Day » 2018, et Jorginho, que Sarri avait entraîné à Naples (2015-2018) et voulu à Londres l’été précédent, était le punching-ball idéal pour stigmatiser le jeu « lent et ennuyeux » du technicien toscan. Un doute s’était installé au sujet de Jorginho : et si, finalement, il n’était que le joueur d’un seul système, voire d’un seul entraîneur ? Les difficultés avec le successeur de l’Italien en juin 2019, Frank Lampard, tendaient à étayer cette hypothèse. Sauf que le Chelsea de la légende de Stamford Bridge était trop déséquilibré pour tenir la route et contraignait Jorginho à trop de duels ou de courses de compensation. La contre-preuve en a d’ailleurs été magistralement délivrée dans la seconde partie de la saison écoulée avec l’arrivée de Thomas Tuchel à la tête des « Blues ». Pour se hisser sur le toit de l’Europe à Porto, Jorginho a fait déjouer tour à tour les équipes de Simeone, Zidane et Guardiola… Avec un solide coup de main de son partenaire, N’Golo Kanté que Jorginho revoit en Nicolò Barella. « Grâce à eux, à leur générosité, je dois moins courir. » Ce qui ne veut pas dire qu’il court peu – en moyenne, dans cet Euro, il a couvert 11 kilomètres par match –, mais l’activité du joueur de l’Inter lui évite d’avoir à le faire en devant défendre avec le terrain ouvert. Qui sait si cette étiquette de « Homme de Sarri » n’a pas retardé non plus son avènement en équipe nationale. Convoqué la toute première fois par Antonio Conte le 24 mars 2016 (amical contre l’Espagne, 1-1), il ne recevra qu’une seconde invitation de celui-ci pour un total de 24 minutes et, surtout, un rejet pour l’Euro 2016. Citoyen italien en vertu d’un aïeul, mais surtout d’une profonde conviction – « je n’ai pas choisi l’Italie par défaut » –, il devra patienter encore un an et demi avant de revêtir à nouveau le maillot « azzurro », dans la double confrontation historique contre la Suède de novembre 2017. Le prélude à la renaissance « mancinienne » dont il est la « boîte noire. » À la barre d’une équipe qui est tout sauf lente et ennuyeuse. Indicatif aussi de la confiance que Mancini a en lui, Jorginho est un des rares joueurs que le sélectionneur n’a pas besoin de coacher pas pendant les matches. Contre la Belgique, pour prendre l’exemple le plus récent, il a, en un tournemain, en se positionnant un cran plus haut, déjoué la ligne resserrée des 3 attaquants belges censée l’isoler pour la relance.

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