30 avril 2009 : «Les Néerlandais sont groggy»

Un émoi silencieux. Un deuil pudique. Jeudi matin, à Apeldoorn (centre), les quelques dizaines de personnes qui se recueillent sur les lieux de l’« attaque » ne laissent guère échapper que des murmures, parfois quelques larmes. Des centaines de bouquets de fleurs jonchent un parterre improvisé, entouré de barrières Nadar. On peut y lire des messages d’encouragement à la reine Beatrix. Mais aussi un hommage à des collègues décédés la veille, des appels à la prière. « Ce 30 avril qui avait commencé par une fête magnifique a fini dans la violence et le chaos », a écrit une main bouleversée, manifestement inspirée par l’allocution que la Reine a livrée quelques heures après l’agression. L’« attaque » – puisque tel est le mot que reprend la presse – s’est, rappelons-le, déroulée mercredi, peu avant midi, dans un grand carrefour situé au nord d’Apeldoorn, proche du palais Het Loo. La voiture de l’agresseur, Karst T., a fendu la foule. L’homme tentait de percuter l’impériale où se trouvait la famille royale. Sa course folle s’est arrêtée contre une statue. Hier soir, le bilan s’établissait à 7 morts, dont l’auteur de l’agression. « J’étais là-bas. J’ai tout vu. C’est terrible », dit un homme avant de se retirer pour essuyer ses larmes. Ses fillettes étaient présentes elles aussi la veille, venues dans ce joli quartier boisé admirer leur coqueluche, Maxima, l’épouse du prince héritier Willem-Alexander. La belle Maxima à laquelle des affiches couleur carmin souhaitaient hier encore la bienvenue. Prostrée, une dame raconte combien la princesse était rayonnante lorsque soudain des corps ont été projetés en l’air. « Maxima, elle se tenait le visage comme cela, la main sur la bouche, frappée par l’effroi. » A cette conversation imagée répondent jeudi matin les clichés particulièrement durs reproduits par les quotidiens néerlandais. Clichés d’une fête gâchée, ensanglantée par un homme qui décédera à son tour des suites de ses blessures, dans la nuit qui a suivi le drame. Le quotidien local De Stentor publie sa photo, le visage couvert de sang, recevant les premiers soins que lui prodigue un agent de police à travers les vitres brisées de sa voiture. Les Pays-Bas sont groggy. On n’a pas vu à Apeldoorn les scènes de tristesse qui avaient accueilli la mort de Theo Van Gogh en 2004, a fortiori celle de Pim Fortuyn trois ans plus tôt. Hier, la vie suivait tranquillement son cours dans la petite ville située à quelques kilomètres des lieux du drame. Les familles profitaient du soleil pour faire du vélo dans la forêt. Mais les déclarations officielles et les questions posées aussitôt par les journaux après l’agression en disent long sur l’état d’esprit du moment. Le pays semble à nouveau renvoyé à une vaste introspection. «Est-ce la fin d’une tradition ? », s’interrogeait hier le NRC-Next. « On ne verra plus jamais une reine et sa famille que la foule peut librement approcher », embrayait De Volkskrant. Trouw rappelait pour sa part que la Reine a coutume de se mouvoir parmi son peuple sans recourir à une armée de gardes du corps. Ce temps-là semble bien fini, à en croire les quotidiens. Un constat que Trouw résume ainsi : « Le coût de cette attaque sera la perte de la spontanéité. » La question est fatalement posée : le drame d’Apeldoorn aurait-il pu être évité ? « Cela fait partie de ces choses contre lesquelles on ne peut pas s’armer », avait estimé mercredi le maire de la ville. Reste que les Pays-Bas vivent depuis des années dans la crainte d’un attentat terroriste et n’ont pas oublié la vague de violence qui avait éclaté au début de la décennie dans certaines villes lorsque le modèle multiculturel avait été remis en cause par Fortuyn. La maison d’Orange Nassau n’a plus fait, il est vrai, l’objet d’attentats depuis l’assassinat en 1584 de Guillaume d’Orange. Quant aux motivations de l’agresseur, elles ne semblent plus guère faire de doute. Si un attentat terroriste organisé par un groupe islamiste avait été évoqué dans un premier temps, l’enquête a rapidement mené les policiers à Karst T. L’homme, un ancien agent de sécurité au chômage, avait tout perdu Il n’avait selon les premiers indices aucun lien avec une organisation terroriste. Son acte serait celui d’un désespéré. Enfin, le drame n’a pas manqué de raviver les interrogations sur une éventuelle abdication de la reine Beatrix. Aujourd’hui âgée de 71 ans, elle pourrait céder le trône à son fils Willem-Alexander. Les spéculations vont bon train depuis quelque temps. Mais la Reine est restée très discrète sur ses intentions. La Fête de la reine, qui fait office de fête nationale, célèbre depuis 1949 l’anniversaire de la défunte Juliana, la mère de Beatrix. Des festivités sont organisées dans tout le pays. Les événements de mercredi risquent bien de réécrire l’histoire de ce véritable rite. Karst T. un chômeur « timide » L’agresseur est mort des suites de ses blessures. Karst T. avait 38 ans. C’était un agent de sécurité au chômage. Le matin même où il a commis son agression contre la famille royale, un nouveau locataire devait venir visiter sa maison de Huissen, à 25 kilomètres d’Apeldoorn. Il n’avait plus les moyens de régler le loyer. Karst T. a pu livrer une partie des motivations qui l’ont poussé à agir de la sorte, mercredi peu avant midi. Il semble qu’il ait décidé de son acte en pleine conscience. Des idées républicaines lui ont été un instant prêtées, mais celles-ci n’ont pas été confirmées. Il n’aurait pas davantage appartenu à un groupe terroriste. Aucun explosif n’a été retrouvé chez lui. Au volant de sa Suzuki Swift noire, il a fendu la foule à 100 km heure, tuant directement plusieurs personnes. Mais il a manqué l’impériale de la reine et est allé percuter une statue. Il devait mourir de ses blessures dans la nuit de mercredi à jeudi. Ses voisins de Huissen l’ont décrit comme un célibataire « sympathique » et « calme », bien qu’introverti et «timide ». (article paru le 2 mai 2009)

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