«Les médias sociaux sont devenus le cigarettier du XXIe siècle»

Vous écrivez que les femmes et les hommes vivent leur solitude différemment. L’an dernier, beaucoup ont fait état du fait que les femmes avaient payé le plus lourd tribut à la pandémie. Pour quelle raison ? Mes recherches m’ont permis de constater que si tout le monde pouvait potentiellement souffrir de solitude avant la pandémie, tant les hommes que les femmes, les riches que les pauvres, les jeunes que les vieux, certaines catégories étaient beaucoup plus solitaires que d’autres. Par exemple, il est ressorti de mes recherches que les jeunes constituent en fait la génération la plus solitaire, contrairement à l’idée répandue selon laquelle la solitude toucherait principalement les personnes âgées. Les personnes à faibles revenus ou sans emploi souffrent elles aussi beaucoup plus de solitude que les autres. En revanche, il n’existait pas de différence nette au niveau du genre avant la pandémie. Pendant la pandémie, l’an dernier, nous avons constaté une aggravation du niveau de solitude dans toutes les catégories. Mais trois groupes en particulier sont devenus encore plus solitaires : les jeunes, les personnes à faibles revenus et les chômeurs, et les femmes, qui se sont senties particulièrement seules pendant la pandémie. Plusieurs raisons à cela, probablement. Tout d’abord, nous avons constaté une augmentation de la violence domestique. Deuxièmement, nous savons que les femmes souffrent davantage sur le plan économique. Troisièmement, les femmes ont souvent dû s’occuper principalement seules des enfants et des tâches ménagères, en plus de leur emploi. Par conséquent, bon nombre d’entre elles ont éprouvé le sentiment d’être invisibles, inaudibles et peu appréciées, et donc de se sentir seules chez elles. [scald=28247167:sdl_editor_representation] Et comment expliquez-vous la solitude chez les jeunes ? Si j’ai écrit ce livre, c’est notamment parce que j’ai remarqué que de plus en plus d’étudiants venaient dans mon bureau et me confiaient qu’ils se sentaient très seuls. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans, lorsque j’ai commencé à enseigner. Et lorsque je me suis occupée des études scientifiques, il m’est apparu clairement que depuis 2010, nous constations une augmentation nette de la solitude chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Il s’agit indéniablement d’une conséquence de l’arrivée des smartphones et de l’utilisation des médias sociaux. Pour autant, il a longtemps été difficile de prouver scientifiquement cette relation de cause à effet. En 2019, une vaste étude a été menée à l’université de Stanford auprès de plus de 3.000 étudiants : 1.500 constituaient le groupe témoin. Il leur a été demandé d’utiliser Facebook comme à l’accoutumée. Les 1.500 autres ont été invités à quitter la plateforme pendant deux mois. Les résultats ont été très clairs. Le groupe qui avait cessé d’utiliser Facebook a passé beaucoup plus de temps à partager des moments de la vie réelle avec ses amis et sa famille. D’après les chercheurs, quitter Facebook serait 40 % plus efficace qu’une thérapie. Depuis cette étude, un certain nombre d’autres recherches similaires ont confirmé ces résultats. Et n’oublions pas le facteur d’accoutumance : ces plateformes sont conçues pour instaurer une dépendance. Elles accaparent votre attention au détriment des personnes qui vous entourent et de vos interactions avec le monde réel. Au début de mes recherches, je n’avais aucune idée préconçue quant au rôle des médias sociaux, mais après avoir étudié le sujet pendant quelques années, je suis à présent fermement convaincue que les médias sociaux sont, à bien des égards, devenus le cigarettier du XXIe siècle. Quelles sont vos conclusions concernant l’après-pandémie ? Nous avons tous vécu des mois d’isolement collectif et nous parlons désormais plus ouvertement de la solitude. Mais le changement ne se produit pas en vase clos : c’est aux gouvernements, aux entreprises et à nous-mêmes d’agir. Les gouvernements doivent investir dans les infrastructures : nous avons besoin de lieux publics, physiques, où nous rassembler en tant que société. La conversation de 30 secondes que vous avez avec le libraire de votre quartier, etc. : ces micro-échanges sont de la plus haute importance. Et nous-mêmes disposons de nombreux moyens d’action. Les adolescents ne sont pas les seuls à être accro à leur téléphone portable. Nous pouvons décider de mettre nos téléphones portables de côté afin de passer de nouveau des moments ensemble.

Votre compte

«Les médias sociaux sont devenus le cigarettier du XXIe siècle»

Découvrez la suite, 1€ pour 1 mois (sans engagement)

Avec cette offre, profitez de :

Le fil info

0 Commentaire

Aussi en LéNA

La mobilisation déguisée de mercenaires par l’armée russe défaillante

Entretien «La société hongroise n’est pas aussi homophobe que le gouvernement qui la dirige»

Reportage A Mitrovica, la Berlin des Balkans, «la guerre n’est que retardée»

Entretien Le Premier ministre du Kosovo: «Nous risquons la guerre. La Serbie est soutenue par Poutine»

Une équation mathématique pour arriver de bonne humeur au boulot

Allez au-delà de l'actualité

À la Une

Sécheresse: pourquoi le retour de la pluie n’est pas forcément une bonne nouvelle

Entretien Ai Weiwei sur Salman Rushdie: «La liberté est un combat permanent, qui donne de la valeur à l’humanité»

France: une jeune Belge tuée dans un accident de la route

Emploi: la «grande démission» ne touche pas (encore) la Belgique

Les effroyables accusations du procureur à l’encontre de Benjamin Mendy

L’autoroute E411 partiellement refermée à cause d’une reprise du feu

Gestion des salaires : quand la Belgique est à la pointe de la technologie

Combiner travail et études : voici vos droits et obligations

Voiture de société et grandes vacances : tout ce qu’il faut savoir

Les sections du site

Les services

Groupe Rossel