Le fantastique budget militaire secret de Poutine
Ces énormes dépenses sont-elles une menace pour les voisins ou un cache-misère ?

Le formidable réarmement de la Russie est auréolé de mystère. Pourquoi la 10e économie mondiale en termes de PIB (selon le FMI) se classe-t-elle à la 3e place en termes de dépenses militaires (derrière les Etats-Unis et la Chine) ? Et pourquoi les trois quarts de ces dépenses sont-elles placées sous le sceau du secret ?
Des experts de l’Institut indépendant Gaïdar à Moscou ont décortiqué le dernier projet de loi budgétaire 2015, pour y trouver que 58 milliards de dollars sur un total de 84 milliards du poste défense sont placés sous le sceau du « secret défense ». Le tout dans un contexte de crise, puisque le PIB se contracte à un rythme annuel de 4,3 %. La défense mord d’autant plus cruellement dans les budgets de la santé, de la science et de l’éducation, au grand dam des experts.
Pour l’économiste libéral Sergueï Gouriev, l’économie russe ne peut pas se permettre de consacrer 4 % de son PIB à la défense, même en période faste. Alors à plus forte raison lorsque le prix du pétrole (principale exportation russe) et les sanctions coupent aux sociétés russes l’accès au crédit. « Il est vrai que l’opinion publique ne réagit guère à l’explosion des dépenses de sécurité. Les mass media russes répètent depuis maintenant un an et demi à la population que l’Otan se presse aux portes du pays et que l’Ukraine se trouve entre les mains de néo-nazis. Les sanctions occidentales contre l’entourage de Vladimir Poutine sont présentées comme les preuves d’une russophobie généralisée en Europe. »
L’idée du président russe Vladimir Poutine consiste à relancer la croissance à travers le secteur militaro-industriel, qui était au cœur de l’économie soviétique. « Nous pouvons et nous devons faire pour l’industrie de la défense ce que nous avons fait pour Sotchi », a indiqué Poutine le 12 mai, en référence aux 50 milliards de dollars dépensés par le pays pour l’organisation des jeux olympiques d’hiver.
Une guerre ? Mais avec qui ?
A la vue du programme de dépenses, les commentateurs russes ont parlé « d’économie de mobilisation » préparant une guerre. Mais avec qui ? La Russie ne cesse de répéter qu’elle n’a jamais eu la moindre activité militaire en Ukraine et qu’elle respecte scrupuleusement les lois internationales.
L’objet des dépenses militaires est essentiellement caché, mais la mobilisation comporte un élément quantifiable : les hommes. Depuis 2011, le nombre de militaires professionnels a crû de 25 % pour atteindre 850.000 hommes. Et l’objectif est d’atteindre le million le plus rapidement possible. En tout, les structures de sécurité russes (armée, police, douane, sécurité d’Etat) totalisent 4 millions d’employés sur une population active de 87 millions d’individus.
Il faut y ajouter les 2,5 millions de personnes travaillant dans le complexe militaro-industriel, selon l’Institut Gaïdar. Poutine vient d’annoncer la formation de « bataillons industriels » constitués d’appelés du contingent, qui travailleront à l’œil dans les usines militaires au lieu de s’entraîner dans les casernes.
Le programme de réarmement est vanté par le vice-Premier ministre Dmitri Rogozine, chargé de l’espace et de l’industrie militaire. Il ne se passe pas un jour sans qu’il annonce la création ou les prouesses d’une nouvelle arme secrète dont l’évocation fait trembler de Berlin à Washington. Lors de la récente célébration du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Russes ont pu admirer – entre autres – pour la première fois le nouveau tank d’assaut « Armata ». Pour divertir les Moscovites, le ministère de la Défense construit en toute vitesse un grand parc d’attractions où les spectateurs pourront admirer des manœuvres militaires grandeur nature. Le coût provisoire du parc « Patriote » (318 millions d’euros) a été dévoilé jeudi, et a fait grincer les dents.
Et si le « secret défense » avait surtout pour fonction de masquer un gigantesque gaspillage de deniers publics ? « Poutine est manipulé par les (avocats) du complexe militaro-industriel. Plutôt que d’admettre une erreur, ce qui est culturellement impensable, mieux vaut tout mettre sous le tapis, explique Vassili Zatsepin, expert des questions militaires à l’Institut Gaïdar. Le budget dépasse largement les capacités de l’industrie et cet argent repose actuellement sur des comptes bancaires ». Le vrai problème, c’est que le Kremlin ne sait comment relancer l’économie. « Ils n’ont pas beaucoup d’idées, c’est pourquoi ils reviennent aux vieilles recettes soviétiques », conclut l’expert.
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