Hanne Claes, détours de piste

Il s’en est fallu de peu. Sans un voyage initiatique autour du monde, fin 2016, pour panser ses plaies au moral après avoir loupé pour la deuxième fois une participation aux Jeux olympiques, Hanne Claes ne sait pas trop bien où elle serait. « J’ai étudié à la KU Leuven pendant 8 ans, d’abord l’éducation physique, puis le management des affaires. J’aurais peut-être pris l’une de ces directions-là… » Aujourd’hui, elle ne pense plus à ces années universitaires et aux débouchés qu’elle a laissés sur le bord du chemin. Elle se félicite plutôt tous les jours de cette rencontre improbable il y a cinq ans avec deux kinés australiennes, Jill Cook et Ebony Rio, croisées à Melbourne lors de son périple post-burn out, qui ont attiré son attention sur ces exercices corporels qu’elles estimaient néfastes pour elle, lui ont concocté de nouveaux programmes, et ont relancé involontairement sa carrière athlétique. Un vrai petit miracle qui lui permettra, cet été, à 30 ans, d’enfin atteindre le walhalla dont rêve chaque sportif. « C’est vrai », reconnaît-elle, « disputer ses premiers Jeux olympiques si tard, ce n’est pas commun en athlétisme. Je sais ce que je dois à Jill et Ebony, qui continuent à me suivre malgré la distance. On se parle parfois par Skype. Et je n’oublie jamais de les remercier après chaque saison en leur envoyant une carte et des fleurs ! » [scald=28247958:sdl_editor_representation] Hanne Claes a la reconnaissance des jambes depuis qu’elle a enfin vaincu les maux qui l’ont tenaillée pendant la première partie de sa carrière, au dos d’abord, aux tendons d’Achille ensuite, puis lors de la deuxième, à la cheville, qu’elle a dû laisser opérer en juin 2020, et qui lui a joué des tours cette saison où elle l’a jouée prudente en courant très peu. Elle ne rêve plus d’exploit majuscule, mais est contente d’être là, forte de sa renaissance opérée depuis 2017 et son passage dans le groupe d’entraînement de Jacques Borlée. « Depuis que je suis chez lui, je suis plus calme dans ma tête », soutient-elle. Une chica du Costa Rica Une tête bien faite qui a vu le jour à Hasselt, il y a trente ans, ce qui, elle se tue à le dire, ne fait pas d’elle une Limbourgeoise. « A l’époque, mes parents, tous les deux bio-ingénieurs, qui y avaient été envoyés pour développer un projet pour les Iles de Paix, vivaient en Amérique centrale et ma mère est rentrée au pays pour l’accouchement parce que je me présentais en siège et qu’il fallait que je naisse par césarienne », raconte-t-elle. « Je suis née à Hasselt, mais j’ai passé l’essentiel de ma vie à Louvain, que je considère comme “ma” ville et où je suis récemment revenue, et au Costa Rica, pays où je suis restée jusqu’à 6 ans et pour lequel j’ai gardé un amour profond. J’essaie d’y retourner au moins tous les trois ans. » [scald=28247957:sdl_editor_representation] Elle a gardé de cette période enfantine le souvenir du vrai bonheur, bercée par une douce insouciance, élevée en partie par une « grand-mère » de là-bas dans ce paradis, où, malgré son statut de « petite blonde au milieu des Latinos », elle était comme chez elle. « J’étais parfaitement intégrée », insiste-t-elle. « Tellement que quand mes parents m’apostrophaient en néerlandais, je leur répondais toujours en espagnol, une langue que je parle toujours aujourd’hui malgré le temps qui a passé ! » Elle a aussi conservé de l’exemple donné par ses parents une conscience universaliste et une ferme assurance de l’impact social que peut générer le sport. « C’est pour ça que je n’ai pas hésité une seconde quand on m’a proposé de soutenir l’ONG Plan International qui prône l’égalité filles-garçons et vise à améliorer les droits des enfants. » L’athlétisme comme pis-aller La rentrée en Belgique, elle s’en souvient, fut loin d’être une évidence au mitan de l’enfance, et pas seulement pour une question d’idiome. « Ce fut un véritable choc culturel », dit-elle. « Les premiers mois à l’école primaire furent assez compliqués. Au bout du compte, je suis assez fière de n’avoir jamais dû redoubler. » Obligée par ses parents, à son retour au pays, de choisir un sport, Hanne Claes, qui n’avait jamais été confrontée à ce dilemme jusque-là « parce qu’au Costa Rica, il n’y avait que le football et qu’il était réservé aux garçons, pas aux “chicas” », va longtemps hésiter. « J’ai essayé la danse, la natation et le tennis, mais rien ne m’intéressait. Je ne me suis résolue à opter pour l’athlétisme qu’à 13 ans après avoir vu Marleen Renders (NDLR : la détentrice du record de Belgique du marathon) remporter les 20 Kilomètres de Bruxelles, où j’étais allée encourager ma maman. Je me suis affiliée au Daring de Louvain. Mais je ne voulais courir que dans un but ludique. La compétition me faisait peur. » [scald=28247956:sdl_editor_representation] Une peur qui ne va pas s’atténuer après sa première expérience internationale, en 2009, à l’Euro junior de Novi Sad, où elle s’arrête juste avant le premier obstacle en finale du 100 m haies. « J’étais arrivée trop près… », explique-t-elle. A cette époque, elle avait opté pour le sprint, avec ou sans haies, mais une croissance trop rapide va lui jouer des tours. « Je n’ai pas supporté les changements hormonaux qui allaient de pair avec ma prise de centimètres », avoue-t-elle. « J’étais trop maigre, j’avais peu de réserves et, mal accompagnée médicalement, j’ai commencé à souffrir de périostites à répétition. » Des douleurs qui jouent sur son moral et sur ses résultats. De blessures en résurrections temporaires en passant par quelques rendez-vous manqués, elle finit par perdre la confiance de Sport Vlaanderen qui, fin 2014, ne renouvelle pas le contrat d’étudiante-athlète qu’elle lui avait offert pendant deux ans. Douze mois plus tard, c’est au tour de son équipementier de raccrocher. Une frustration de plus pour celle qui est consciente de ne pas avoir donné la pleine mesure de son potentiel. [scald=28247959:sdl_editor_representation] « Même mon club de l’époque ne croyait plus en moi… C’est pour cette raison que j’ai commencé à chercher à m’en aller et que j’ai opté pour l’Excelsior à la fin de l’année 2016. » A l’ombre de l’Atomium, où, passée sur 400 m haies, elle s’entraîne seule pendant plusieurs mois, Hanne Claes finit par décider de se mettre en quête d’un nouveau coach. On lui conseille de s’adresser à Jacques Borlée, mais elle hésite. En fait, elle a peur de lui. Pendant quelques saisons, lorsqu’elle courait sur 200 m, elle a été la principale adversaire d’Olivia, sa fille aînée, et elle craint que cette rivalité ait laissé des traces. « J’en ai parlé à Olivia, qui m’a tout à fait rassurée. Quelques jours plus tard, je suis allé voir Jacques qui a été très clair avec moi sur ses méthodes et ses exigences. Il m’a dit “Tu as une semaine pour te décider”. Il est vrai que l’on était déjà en mars. J’ai choisi de foncer. » Le relais, ce beau projet Jamais, depuis ce jour, elle n’a regretté ce choix qui l’a transformée après lui avoir pourtant imposé tant d’ajustements – « De nouvelles méthodes d’entraînement, beaucoup plus en souplesse, un groupe d’entraînement que je devais découvrir, un déménagement à Watermael-Boitsfort pour être proche du stade des Trois-Tilleuls avant un retour aux sources quand le groupe est passé à la Ligue flamande ». « Je n’ai eu mal qu’un jour, le premier ! », s’amuse-t-elle. « Et si ma toute première compétition avec Jacques a été catastrophique – un 400 m haies en… 1 minute 03 à Ninove ! –, deux mois plus tard, je courais en 57 secondes. Grâce à lui, je suis devenue une autre athlète. Et une autre personne. » [scald=28247960:sdl_editor_representation] Depuis, la courbe de ses performances a suivi celle de sa confiance retrouvée et son record personnel pointe aujourd’hui à 55.20, à 25 centièmes du record de Belgique. Elle affirme se sentir de nouveau elle-même, même si elle a dû se battre pour chasser ses doutes jusqu’à cette 4e place à l’Euro de Berlin 2018, tant sur 400 m haies que sur 4 x 400 m, avec le groupe des Belgian Cheetahs qu’elle a relancé en compagnie de Camille Laus, sa compagne de fortune, avec la bénédiction de la coach Carole Bam. « L’Euro, j’y étais partie sans grandes attentes. Je voulais simplement prendre du plaisir après toutes ces blessures qui m’avaient freinée. Cela a été une belle surprise. » [scald=28247961:sdl_editor_representation] Le relais féminin, c’est l’autre grand projet de Hanne Claes, aussi important pour elle que sa carrière individuelle. Une belle histoire à laquelle elle a cru dès le départ avec Laus et qui a provoqué dans la corporation des coureuses belges de 400 m une prise de conscience salvatrice dont elle n’est pas peu fière, surtout après la 5e place et la qualification olympique arrachées aux Mondiaux de Doha, en octobre 2019. Un relais dont elle ne sera que réserviste à Tokyo en raison de son manque de compétition cette année, mais dont elle souligne l’héritage transmis. « Si cela a provoqué un déclic chez certaines, tant mieux. De toute façon, c’est tout bénéfice pour le groupe. Aujourd’hui, on a de la réserve ! » Et un bel horizon. NDLR : la vidéo insérée dans cet article a été réalisée en 2020, avant l’annonce du report des JO de Tokyo.

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